Europe, réveille-toi !
Plus de cinquante ans après le traité de Rome, l'Union européenne (UE) connaît une période de désintégration économique, qui est très profonde et structurelle. Dans ce contexte, l'euroscepticisme est latent et a toutes les raisons de continuer à prospérer compte tenu du contexte politique, économique et social. Alors l’Europe est-elle au bord de l’implosion ? Une chose est sûre le processus européen est bel et bien en panne du fait de l'absence de nouvelles perspectives ou de nouvelles solutions à la crise.
Cette vision négative de l'Union européenne qui se propage, bloque l'émergence d'une nouvelle étape dans sa construction. En réalité, cet épisode indique que dans une société fragmentée comme la nôtre les relations entre l'individu, l'Etat et l’UE deviennent autrement plus complexes. Beaucoup de citoyens des pays européens sont inquiets et pensent qu'ils ont plus à perdre qu'à gagner à rester dans l’Europe. Il ne faut pas oublier d’ailleurs le Traité constitutionnel de 2005 qui marque encore bien des esprits. Les élections du 25 mai dernier témoignent de cette crise de légitimité de l’Europe et traduisent, une fois de plus, un malaise profond au sein du Vieux Continent. Aussi, mal comprises et ignorées du plus grand nombre, on reproche aux institutions communautaires tantôt leur caractère intrusif, lorsqu’elles réglementent à outrance, tantôt, à l’inverse, d’être le cheval de Troie de toutes les déréglementations et de tous les dumpings. L’importance de l’UE pour ses habitants est donc tout sauf unanimement partagée. Pourquoi un tel euroscepticisme ?
Le comportement des banques et de la finance- outre-Atlantique, les bulles immobilières en Espagne, la crise grecque auxquels s’ajoutent les insuffisances démocratiques de la construction européenne, expliquent, grandement l’euroscepticisme. On pourrait également incriminer la rigidité du marché du travail, l’excès des dépenses publiques ou les prélèvements obligatoires. De toute évidence, le mal est bien profond. De façon perverse, la libéralisation des capitaux a prévalu sur la moralisation du capital. Il en résulte une Europe accablée par la dette et les déficits et dont on ne peut ignorer le déclin manifeste.
Non seulement l'Europe ne va pas bien, mais elle va moins bien que les autres, et ce depuis longtemps. Force est de constater aussi que l’Union européenne ne parvient toujours pas à se relever et à se renforcer suite à la crise de 2008. Pourquoi l’Europe a-t-elle été frappée plus sévèrement et pendant plus longtemps que les autres par la crise mondiale ?
Le déclin de l'Europe a connu en réalité avec la crise de 2008 une brutale accélération. L'Europe devait s'unifier pour se présenter, plus forte, face aux pays émergents, elle s'est plutôt désintégrée. De fait, la violence de la crise financière et ses conséquences économiques et sociales ont été désastreuses en Europe. Les institutions européennes ont été incapables de faire front. Pire encore, l’oligarchie européenne et française n’a eu de cesse de masquer cette dure réalité, afin de cacher sa propre responsabilité dans le déclin européen. Il est temps d’ouvrir les yeux : les technocrates de Bruxelles se trompent et nous trompe.
Une insuffisance en matière de productivité et d'innovation
Le déficit le plus inquiétant, pour l'Europe, c'est celui accusé sur le front de l'innovation. De fait, l'Europe est aujourd'hui directement menacée par la montée des pays émergents, qui sont aussi désormais, reconnaissons le, des pays innovants. L'Europe stagne là où l'Amérique et l'Asie restent dynamiques. Le monopole de l’innovation et de la technique n’est plus l’apanage des Européens. Ce cataclysme est loin d’être un accident et on peut le voir comme quelque chose qui était de loin prévisible de part la mondialisation. En effet, si l’on y regarde d’un peu plus près, les politiques économiques menées par les différents gouvernements ont accéléré la déstructuration du tissu industriel. Des pans entiers de l’industrie française ont été sacrifiés sur l’autel de la libéralisation de l’économie. L’industrie française est passée de 35% du PIB dans les années 1980 à peine 18% en 2012, alors qu’en Allemagne elle se maintient autour de 24%. Non seulement l’UE n’a pratiquement plus d’industrie sur son sol, mais ses plus belles pièces (Arcelor mittal) sont peu à peu raflées par de riches investisseurs étrangers. Il est donc urgent d'intensifier les politiques en faveur de l'innovation.
Avec 505 millions d’habitants, l’Union européenne ne représente actuellement que 7,3% de la population mondiale. Elle a le taux de croissance démographique le plus faible au monde et vieillit à vue d’œil. Dans un futur proche, de nombreux États membres vont voir leur population décliner en raison de la chute des taux de natalité, c'est pourquoi les politiques d'immigration commencent à évoluer pour répondre aux problèmes socio-économiques que cela pose.
Les déficits enfin. On pense immédiatement à ceux des finances publiques. D’où la nécessité que l’UE ait plus de contrôle sur les budgets des Etats. Il faut bien le dire la surveillance budgétaire par les Etats eux-mêmes, selon les règles du Pacte de stabilité s’est révélée inefficace pour ne pas dire trompeuse.
En somme, division, démographie et déficit, sont fondamentalement à l'origine du déclin en cours de l'Europe.
Un marché unique sans harmonisation sociale et fiscale
La mondialisation ne se réduit pas à l’ouverture des marchés, en effet. Elle se traduit avant tout par une profonde modification des rapports de forces entre les continents et les civilisations. Force est de constater, que dans ces conditions l'Union européenne a la plus grande difficulté à protéger son grand marché de la concurrence des pays émergents. De surcroît, les écarts, dans un marché unique sans harmonisation sociale et fiscale conduisent les nations européennes à l'affrontement économique et à l’individualisme plutôt qu'à la coopération. Comment convaincre les marchés et, même, instaurer un climat de confiance entre les Etats de l’Union européenne dans ces conditions ?
Sans même évoquer la faiblesse des institutions communautaires et les contentieux internes entre les Vingt-huit sur bien des sujets, les économies du bloc européen suivent des stratégies de développement très différentes, sans réelle coordination de leurs politiques économiques et débouchant finalement sur une intensification des divergences et dysfonctionnements structurels. Ces divergences de politique économique ont alimenté les excédents commerciaux d’un côté, les déficits de l’autre. Il en résulte une absence de véritable coordination économique au service d'une politique de croissance européenne. Or, et il faut bien le comprendre, c'est plutôt la croissance qui permettrait de résoudre les difficultés dites structurelles de l'Union Européenne, dans le domaine des finances publiques comme de l'emploi ou de l'innovation. Un vaste plan européen de croissance s’impose donc. Cette impulsion en faveur de la croissance et de l'emploi constituerait le meilleur moyen de rendre l'Europe populaire et de relever notamment le défi représenté par la poussée actuelle du populisme, dont elle est une cible privilégiée.
Certes, le recours à des politiques d’austérité drastiques est incontournable si l’on choisit de rester dans l’Euro et son contexte ultralibéral. Mais la baisse du pouvoir d’achat qui en résulte aggrave encore la situation en asphyxiant un des moteurs de la croissance qu’est la consommation. Ces politiques d’austérité ne peuvent donc être une réponse crédible à la crise. Il est néanmoins d’une impérieuse nécessité de marier rigueur budgétaire et croissance.
Par ailleurs, ce déclin contribue à éclairer les succès électoraux d'une extrême droite nationaliste en Europe. Les dernières élections européennes en sont la preuve. Les inquiétudes nationales devant le processus d'élargissement à outrance de l'Union, les interrogations sur l'identité de l'Europe ravivées par la question de l'entrée de la Turquie dans l'Union, les réticences ou les hostilités à une démarche fédéraliste présente dans le projet de Constitution européenne contribuent également à l’Europhobie. Or il faut, à mon sens, précisément davantage de fédéralisme en Europe. Sans encadrement européen des choix budgétaires et économiques nationaux, la pérennité de la monnaie unique est menacée. Il suffit pour s’en convaincre de nous rappeler des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne ou encore l’Irlande qui aujourd’hui encore portent les stigmates de cette crise économique.
Le problème fondamental des vingt-huit États qui partagent le même marché est celui de la solidarité. Paradoxalement les États européens semblent unis dans leur volonté de renouer avec la croissance, mais profondément désunis dès qu'il s'agit de définir une stratégie ou une politique commune. À l'occasion de la crise financière puis de celle des dettes souveraines, la création d'un Fonds européen de stabilisation financière, auquel succèdera un mécanisme de stabilité financière, consacrent des avancées importantes dans le sens d'une organisation plus solidaire. De surcroît, la crise grecque a révélé notre interdépendance et notre capacité, même dans les moments les plus difficiles, à être solidaire.
Le tableau est sombre et on ne peut que déplorer l’appauvrissement et la régression sociale historiques sur l'ensemble du continent européen. Il est important de souligner, à cet égard, que des millions de personnes survivent, en Europe, avec les aides de l´État. Il convient d’affronter avec lucidité la situation actuelle sans se laisser aller à des postures réactionnaires. Ainsi, certaines belles promesses formulées par les partisans de la construction européenne - notamment lors de la ratification du traité de Maastricht de 1992, ont été démenties par le monde réel. Cette Europe qui n’a pas réussie à éradiquer : pauvreté et insécurité. Jamais le destin de l’Europe et sa place dans l’économie mondiale n’auront été autant liés à la vision –ou l’absence de vision– de ses responsables politiques. Or, l’idéal européen ne doit plus apparaître comme l’instrument d’une mondialisation accélérée mais bien un projet d’unité au service des peuples.
Je ne suis pas fondamentalement pessimiste et je ne crois pas que la construction européenne apparaît comme une tentative désespérée pour enrayer le déclin du Vieux Continent. L’Europe, à mon sens, n’est pas une option mais bien une nécessité. Et de belles promesses se sont réalisées, et non des moindres. En effet, l'UE a su tisser entre les peuples d'Europe occidentale des liens suffisants forts pour éviter le retour des guerres récurrentes qui les ont déchirés dans le passé. L’Europe est aussi une chance et on ne saurait nier sa dimension qualitative comme la qualité de la vie, l’accès à l’éducation et aux soins, l’existence d’un État de droit, d’un système judiciaire non corrompu, d’infrastructures facilitant les transports, etc. De nombreux projets ont vu le jour grâce au soutien financier européen.
Il est donc urgent que l'Europe franchisse une autre étape dans son processus d'orientation et qu'elle œuvre à la construction d'une Europe de la solidarité. Chacun, au fond, rêve d’une autre Europe. Il appartient aux politiques de convaincre que la réponse aux défis de l’avenir passe par plus d’Europe. Mais que l’on ne s’y trompe pas les solutions à la crise économique doivent venir de l’Union européenne. Il faut tracer une feuille de route précise pour les mois et les années à venir, et amorcer dès aujourd’hui certains des changements nécessaires, en particulier une réforme de la gouvernance de l’Union. Ainsi parviendra-t-on à dessiner les grands traits de l’Europe de demain ?
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON