Jacques Chirac, un bilan médiocre pour l’Europe
Ce 11 mars 2007, le président de la République Jacques Chirac annonçait qu’il renonçait à solliciter un troisième mandat. L’un des messages qu’il a souhaité donner aux Français à cette occasion concernait l’Europe. Pourtant le bilan de sa présidence de ce point de vue s’avère particulièrement consternant.
Revenant sur le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen,
Jacques Chirac déclare : « Mon troisième message c’est l’Europe. Lors du
référendum, vous avez exprimé vos doutes, vos inquiétudes, vos attentes. Il est vital de poursuivre la construction européenne. Les nationalismes qui ont fait tant de mal à notre continent peuvent renaître à tout moment. Et ce n’est pas seuls que nous ferons face aux bouleversements économiques du monde. La France doit affirmer l’exigence d’une Europe puissance. D’une Europe politique. D’une Europe qui garantisse notre modèle social. C’est notre avenir qui est en jeu. Portons toujours cet idéal et cette volonté ».
Le chef de l’État avait aussi, vendredi 9 mars à Bruxelles, défendu son bilan
sur les enjeux européens, notamment l’euro, la défense et l’écologie, tout en
regrettant de n’avoir pas pu éviter le « non » au référendum, lequel a eu pour conséquence de suspendre la ratification du traité constitutionnel européen et de provoquer une crise sans précédent.
Une politique européenne incohérente
Le journal Libération publiait vendredi 9 mars un article de Jean Quatremer [1] récapitulant les faits marquants de la présidence de Jacques Chirac en matière européenne.
Pour mémoire les « faits d’armes » du président sortant :
- suspension des accords de Schengen à son arrivée au pouvoir ;
- mise à l’écart de nos partenaires allemands lors des grandes décisions de politique de défense (reprise des essais nucléaires, suspension du service national...) ;
- sabotage de la réunion du Conseil européen devant nommer le président de la BCE en imposant un demi-mandat pour Wim Duisenberg au profit de Jean-Claude Trichet, et ce contre toutes les règles de fonctionnement décidées en commun ;
- immobilisme sur la politique agricole commune aux dépends du chancelier allemand ;
- présidence du Conseil de l’Union européenne en 2000 qui aboutit dans la douleur à la signature du calamiteux traité de Nice ouvrant les portes à un élargissement mal préparé ;
- arrogance envers les nouveaux pays membres de l’Union européenne lors du débat sur l’Irak en 2003 : " Je crois qu’ils ont manqué une bonne occasion de se taire. Si sur le premier sujet difficile, on se met à donner son point de vue indépendamment de toute concertation avec l’ensemble dans lequel par ailleurs on veut entrer, alors ce n’est pas un comportement bien responsable. Ce n’est pas très bien élevé "le 17 février 2003, au sujet des pays candidats à l’entrée dans l’Union européenne qui avaient apporté leur soutien à une intervention militaire internationale en Irak.
- échec du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel suite notamment à une intervention télévisée pathétique d’un Président incapable de proposer une vision cohérente de l’Europe.
La fin du partenariat privilégié qui s’était jusqu’à sa présidence établie dans
le cadre de l’amitié franco-allemande a eu pour conséquence la disparition du « moteur » de l’Union européenne qui permettait, en conciliant en amont des
sommets deux pays fondateurs importants, de contribuer à la formation de
compromis européens susceptibles de maintenir la dynamiquecommunautaire. Au lieu de cela, on a assisté à une multitude de croc-en-jambe visant souvent des questions de détail ou des enjeux mineurs mais contribuant à gripper le délicat mécanisme européen. En rentrant dans le jeu des discussions de « marchands de tapis » que deviennent parfois les sommets européens, Jacques Chirac a considérablement affaibli l’influence politique que pouvait jouer la France - et le couple franco-allemand - dans l’Union.
Après l’échec du Conseil européen d’Amsterdam en 1997, qui n’a aboutit qu’à un traité anecdotique, déjà sous la présidence de Jacques Chirac, il restait indispensable de réformer l’Union avant d’y accueillir en 2004 dix nouveaux États-membres. Lors du Conseil européen de Nice, il est vrai avec la participation de Lionel Jospin et de Hubert Védrine, il pousse à l’adoption d’un compromis bancal plutôt que de remettre la conclusion d’un acord à une autre présidence. Alors que ce traité accentue tous les disfonctionnements institutionnels de l’Union et ne répond à aucun des objectifs fixés, il déclare sans rire : « vous verrez que ce sommet de Nice restera dans l’histoire comme un grand sommet par l’ampleur et la complexité des problèmes qui ont été réglés ». [2]
La présidence de Jacques Chirac avait commencé trois ans après le référendum de 1992 sur le traité de Maastricht où déjà l’Europe avait sentie le vent du boulet. Plutôt que d’en tenir compte, l’Europe restera à l’écart du débat public pendant dix ans. L’accueil de dix nouveaux pays membres en 2004 s’est fait sans débat et sans information, en dépit de la dimension historique de l’événement qui voyait des peuples libérés enfin du joug du communisme rejoindre la famille européenne.
Pourtant, alors que le public n’est guère familier des questions européennes, et
que le gouvernement Raffarin est particulièrement impopulaire, Jacques Chirac convoque un référendum sur le nouveau traité devant corriger l’échec de Nice. Il se montre cependant incapable d’expliquer convenablement les enjeux et laisse les nationalistes occuper le devant de la scène et désinformer le public sur le traité.
Un européisme verbal
Il convient néanmoins de souligner que le langage de Jacques Chirac relativement à l’Europe a évolué au cours de sa carrière. Alors que l’ Appel de Cochin de 1978 (dénonçant l’Europe comme le « parti de l’étranger ») relevait du nationalisme le plus conservateur, le dirigeant gaulliste a depuis évolué vers un européisme lyrique de bon ton, reprenant même une fois président de la République, la tradition instaurée par François Mitterrand de s’exprimer devant le drapeau européen aux côtés du drapeau français. On ne peut que saluer cette évolution positive comme le message du 11 mars 2007 sur l’Europe.
Vivement demain !
Les pro-Européens authentiques célèbreront cependant le départ de Jacques Chirac de l’Elysée en mai prochain en espérant que son successeur fera ce que Chirac disait et non pas ce que Chirac faisait. La pratique européenne du
futur-ex-président de la République était caractérisée par une absence complète de vision de l’avenir de l’Europe et d’une incompréhension profonde de la spécificité de l’Union européenne en comparaison des autres cercles
internationaux.
Outre les maladresses, les coups de canifs à répétition au contrat de mariage
communautaire ont révélé une approche conservatrice et inappropriée de l’enjeu européen. Jacques Chirac n’était pas un simple Gaston Lagaffe mais aussi et surtout un adepte d’une conception intergouvernementale de l’Europe et du « gimme me money back », préoccupé uniquement des intérêts à courts termes de sa circonscription et non pas des intérêts collectifs à plus longs terme.
Son comportement lors des trois négociations institutionnelles s’étant déroulées lors de son mandat ont en dépit des incohérences démontré un refus des solutions permettant d’avancer vers une Europe politique et démocratique, affaiblissant le camp progressiste et venant en renfort des gouvernements eurosceptiques.
Alors que l’Europe traversait une période décisive de son histoire il eut été
indispensable que la France soit dirigée par un homme d’État profondément
désireux de faire avancer l’Europe et prêt à y consacrer son action. À la
place, l’Europe a eu Jacques Chirac.
Valéry-Xavier Lentz
[1] « Coups de poignard en série contre l’Europe »
[2] in Les maîtres de
l’Europe de Jean Quatremer
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