JO : et l’Europe dans tout ça ?
Vue de l’Hexagone, la question européenne, faute de passionner les foules, ne manque pas d’une riche actualité, marquée pêle-mêle par la ratification du Traité de Lisbonne, la prochaine présidence française de l’Union (1er juillet 2008), ainsi que par la proximité du renouvellement du Parlement européen en juin 2009. Si Nicolas Sarkozy annonce avec force que la présidence française sera l’occasion du « retour de la France en Europe » avec, parmi les quatre priorités, le renforcement de la politique européenne de la défense, ce qui sous-entend également le développement d’une politique étrangère communautaire, il y a fort à parier que ces vœux seront assez vite contrariés par les dissensions internes, la question de l’Otan et l’absence de réelles innovations en la matière dans le texte lisboète. De ce point de vue, la brûlante question de la Chine et de ses relations avec le Tibet donne un nouvel aperçu de l’extrême difficulté du Vieux Continent à parler d’une seule voix, mais surtout à coordonner ses actions.
Officiellement le Traité de Lisbonne, qui entrera en vigueur début 2009, change la donne en matière de politique étrangère européenne, supprimant le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et le Commissaire européen chargé des relations extérieures au profit d’un unique Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, censé donner un visage à la diplomatie communautaire. Si, hormis la création d’un titre assez sportif à retenir, cette initiative est sans doute dictée par le bon sens, on se demande en quoi ce brave personnage pourra orienter la politique étrangère de l’Europe, étant entendu que le Traité de Lisbonne stipule : « que les dispositions concernant la politique étrangère et de sécurité commune, y compris pour ce qui est du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ainsi que du service pour l’action extérieure, n’affecteront pas la base juridique existante, les responsabilités ni les compétences de chaque État membre en ce qui concerne l’élaboration et la conduite de sa politique étrangère, son service diplomatique national, ses relations avec les pays tiers et sa participation à des organisations internationales, y compris l’appartenance d’un État membre au Conseil de sécurité des Nations unies. La Conférence note par ailleurs que les dispositions concernant la politique étrangère et de sécurité commune ne confèrent pas de nouveaux pouvoirs à la Commission de prendre l’initiative de décisions ni n’accroissent le rôle du Parlement européen. »
A ce stade-là, et en dehors de la reconnaissance de la personnalité juridique de l’Union européenne (il était temps), permettant sa représentation officielle auprès de pays tiers ou d’institutions internationales, on ne voit pas très exactement en quoi le traité de Lisbonne apporte la moindre innovation par rapport aux textes antérieurs, la règle de l’unanimité subsistant notamment en matière de politique étrangère, bien qu’assouplit par une « clause passerelle » permettant au Conseil européen de passer de la règle de l’unanimité au vote à la majorité qualifiée sur certaines questions, la défense et la sécurité étant néanmoins exclues du champ de cette clause.
Nous sommes donc face à un statu quo déguisé et en proie à la cacophonie qui avait marqué la position européenne au moment de la guerre en Irak et mis en avant le poids bien supérieur de l’alliance atlantiste au regard de l’alliance communautaire. Même si la question de l’Otan n’était pas directement au centre du débat, la France avait pu se soustraire à la guerre avec d’autant plus de facilité qu’elle n’était pas, contrairement à l’Allemagne, membre de l’institution. Au final, l’Union s’est exclue d’elle-même de l’épineuse question irakienne, alors même qu’elle avait un rôle primordial à jouer dans cette affaire, pour peu qu’elle consente enfin à s’assumer comme une entité autonome et supérieure aux alliances précédemment nouées par ses Etats membres. Car, en vérité, il faudra un jour l’admettre, tant que l’Europe ne pourra se prévaloir d’une véritable politique étrangère, elle n’existera pas autrement que sous la forme d’une communauté économique plus ou moins homogène, forte pour émettre des réglementations tatillonnes sur le « sexe des anges », mais inapte à apporter ses « lumières » sur la scène internationale ou sur la question de la régulation sociale de la mondialisation, l’empressement de Nicolas Sarkozy à négocier le Traité de Lisbonne ayant renvoyé le volet social aux calendes grecques.
Le dernier épisode en date témoignant, bien que dans une moindre mesure que la guerre en Irak, de l’incohérence et de l’absence de l’Europe en tant que véritable entité internationale est la sombre affaire des jeux Olympiques et de la situation du Tibet.
Depuis quelques années, un certain consensus règne dans la gestion des relations entre la Chine et le Vieux Continent sous la forme d’un partenariat de plus en plus étroit en matières économique et stratégique (intégration de la Chine au programme Galileo, positions communes sur la question de la prolifération des armes de destruction massives, soutien chinois à la France et à l’Europe dans le choix du site du réacteur nucléaire Iter), allant même jusqu’à reconsidérer un temps, à l’initiative de la France, l’épineuse question de l’embargo européen sur les ventes d’armes à la Chine. Evidemment, ce rapprochement progressif et encore très succinct (le poids de la Chine dans l’économie de l’UE étant bien plus faible aujourd’hui qu’on le pense et réciproquement) s’est toujours bâtie en évitant soigneusement de mettre la question des droits de l’homme au cœur du débat, en dépit du vote d’une résolution, en septembre 2006, regrettant que le renforcement des relations commerciales avec la Chine ne s’accompagne pas de progrès significatifs en la matière, pointant particulièrement les questions de la peine de mort et du Tibet. Mais tant que seuls les domaines économiques et stratégiques étaient en jeu, à l’image du rapport paradoxal mais fructueux qu’entretiennent les Etats-Unis et la Chine (se combattant tout en étant leurs principaux partenaires commerciaux réciproques), l’Europe semblait parler d’une seule voix, se hissant ainsi au-dessus des simples considérations nationales de ses Etats membres. Et vlan !!! Il a fallu, que la flamme olympique tente, cahin-caha, de traverser Paris et Londres, éclairant à nouveau les zones d’ombre du régime chinois, pour que cette belle unité vole en éclats, marquant au surplus la différence d’appréciation entre le Parlement européen et la Commission.
En quelques jours, chacun est monté au créneau, compliquant une fois de plus l’action de l’Union au nom de ses intérêts particuliers, lui conférant le rôle accessoire dont elle se contente à chaque crise, avant de devoir participer à la réparation de la vaisselle cassée par ses propres membres.
Angela Merkel et Gordon Brown ont annoncé qu’ils ne se rendraient pas à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques, engageant ainsi ouvertement leur pays dans la contestation de l’attitude de la Chine. En France, dans une joyeuse confusion, tandis que Nicolas Sarkozy, pourtant censé porter la question du boycott au niveau européen à partir de juin, mais gêné aux entournures par les réactions courroucées de la Chine, a envoyé son trio de choc, Raffarin, Poncelet, Levitte, faire quelques génuflexions devant l’athlète Jin Jing et le président Hu Jintao, Bertrand Delanoë a fait adopter, dans un certain désordre, une résolution au Conseil de Paris, attribuant au Dalaï-Lama le titre de Citoyen d’Honneur de la ville de Paris, provoquant l’ire de la Chine en même temps qu’elle saluait l’initiative peu courageuse du président français, elle-même défendue par l’équipe de choc de LVMH composé de Bernard Arnault et Christophe Girard (à la fois peu confortable adjoint à la Culture de Bertrand Delanoë et directeur de la stratégie chez LVMH) - ouf, il faut suivre ! Dans le même temps, la Commission européenne, elle, s’apprête à envoyer José Manuel Borroso et neuf commissaires pour faire part aux autorités chinoises de l’inquiétude du Vieux Continent concernant la situation tibétaine. Ce même Barroso qui, en dépit du vote par le parlement d’une résolution appelant les dirigeants européens à boycotter la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques, s’est ouvertement prononcé le 26 mars dernier contre ce même boycott, tout en souhaitant une position commune des 27 sur le sujet...
Quelques semaines plus tôt, le Premier ministre suédois, Fredrik Reinfeldt, s’était également rendu à Pékin pour y affirmer son opposition à toute notion de Boycott, faisant part de sa grande confiance en la Chine pour faire de l’événement un succès planétaire. En Italie, Berlusconi, dont la récente victoire aux côtés d’une Ligue du Nord très hostile à l’idée européenne ne risque pas d’arranger la situation, s’est lui fendu de tirades aussi mémorables qu’incongrues sur les « enfants bouillis du régime de Mao »*, livrant ainsi indirectement une opinion assez tranchée sur les JO. Quant aux nouveaux membres de l’Union, émanant de l’ancienne galaxie soviétique, ils semblent attendre les consignes de... Washington pour véritablement exprimer leur opposition aux JO, afin de mieux s’affranchir de l’ombre du voisin russe, de plus en plus proche de Pékin. Cela dit, les Américains étant en période électorale et les candidats (particulièrement Obama qui danse un joli pas de deux sur la question du boycott) restant très frileux sur cette question, la réponse risque de manquer de précision.
A l’arrivée, si chacun et particulièrement la France, exprime son opinion sans se référer à l’Europe, ce n’est pas tant pour protéger des intérêts personnels moins immédiatement menacés qu’il n’y paraît, mais bien dans le refus d’envisager l’Europe comme une entité politique autonome et la considération qu’une diplomatie commune demeure une fable. Pourtant, c’est cette même fable qui sera racontée au mois de juin 2009 à tous les citoyens de l’Europe des 27, au moment où les contingences électoralistes serviront de trêve olympique à la Realpolitk... Cette même fable que soutiendront des dirigeants qui s’ingénient quotidiennement à détricoter l’idée européenne et lui découvriront de manière bien éphémère des charmes insoupçonnés.
* « In Cina, ai tempi di Mao, i bambini venivano bolliti per ricavarne concime per i campi » / « En Chine, à l’époque de Mao, les enfants étaient bouillis pour servir d’engrais dans les champs. »
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