L’austérité : et après ?

Reniant l’une de ses promesses de campagne, François Hollande s’apprête à faire adopter le traité européen négocié par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel qui consacre la Règle d’Or comme le principe incontournable des politiques budgétaires des Etats membres de l’Union européenne. Alors que ce traité aurait un impact majeur sur la politique gouvernementale en consacrant l’austérité comme le principe de toute politique budgétaire, son adoption ne nécessiterait pas de référendum mais un simple vote du Parlement. Du moins, est-ce l’avis des membres du Conseil constitutionnel, lesquels n’allaient pas demander l’organisation d’un référendum à l’issue incertaine alors qu’ils souhaitent vivement l’application de ce traité.
Sauf retournement politique, le Traité européen devrait donc entrer en application. L’austérité deviendrait alors notre pain quotidien. Il n’y a pas d’autre mot pour qualifier les efforts immenses que sa mise en œuvre implique. La seule façon de respecter les engagements de ce traité est d’augmenter les impôts tout en sacrifiant les services publics et la sécurité sociale. En admettant que cela puisse se faire, qu’au bout du labeur, des larmes et de la sueur, on parvienne à réduire le niveau de notre endettement, à retrouver notre triple A et la sacro-sainte confiance des marchés, en serons-nous plus avancés pour autant ? Un pays qui inspire la confiance des marchés est-il plus viable qu’un pays dans lequel le chômage serait réduit, où tout risque d’explosion sociale serait écarté et qui aurait un projet pour l’avenir ?
Outre les considérations politico-économiques que l’on peut opposer à ce traité, le manque d’objectifs à long terme est son principal défaut. Ni la France, ni l’Europe ne peuvent construire une société sur le seul principe de réduction de la dette. La vraie question qu’il faudrait poser aux partisans du traité est celle-ci : à quoi nous sert-il de réduire nos déficits ? Même avec un déficit nul, nous serions toujours sous la domination des puissances financières qui nous empêchent de déterminer librement et démocratiquement notre politique. Noam Chomsky explique que les gouvernements font face à deux parlements. Le premier est le parlement que nous connaissons, qui est élu démocratiquement et qui peut connaitre l’alternance. Le second est un parlement virtuel, constitué d’investisseurs, qui, en décidant d’accorder ou de ne pas accorder de financement aux États, détiennent le pouvoir sur les politiques gouvernementales. Il est immatériel, illégitime et ne connaitra jamais l’alternance. Si nos déficits disparaissaient du fait de l’application du Traité européen, le pouvoir de ce parlement virtuel ne disparaitrait pas pour autant. Les investisseurs continueraient à exercer leur pouvoir sur les gouvernements. Ainsi, les projets audacieux mais bénéfiques sur le long terme à notre société -ceux qui ne peuvent être financés par le privé par manque de rendement à court et moyen terme- se trouveraient coincés entre deux étaux : l’application de la Règle d’Or en matière budgétaire et la réticence des investisseurs. Avec autant de contraintes, ces projets ne verraient jamais le jour. Au grand dam de nos sociétés qui auraient bien besoin d’un cap à atteindre, d’un idéal à construire, non seulement pour sortir durablement de la crise, mais pour en traiter les conséquences, en prévenir la réapparition et plus encore, pour trouver son modèle.
A l’inverse, un traité qui disposerait de la remise en cause de l’article 123 du Traité de Lisbonne (et des articles semblables dans les législations nationales et les traités européens antérieurs) permettrait aux États de retrouver leur souveraineté monétaire. Ce traité mettrait fin à l’une des aberrations à l’origine de la crise : le financement des États par les banques à des taux très élevés alors que ces banques sont financés à taux très faibles par la Banque Centrale Européenne. En permettant aux États de se financer directement à des taux très faibles auprès de la BCE (ou de leur Banque centrale pour les pays en-dehors de la zone euro), le parlement virtuel dont parle Noam Chomsky se verrait amputé de son pouvoir de nuisance. Les États reprendraient alors le contrôle ; ils pourraient trouver un objectif, mener des projets audacieux, les financer facilement et libérés de toutes les contraintes du marchés. Si l’hypothétique traité décrit ici ne fournit pas plus d’objectifs à long terme que le Traité européen sur la Règle d’Or, il ouvre néanmoins beaucoup plus de possibilités pour les peuples et leurs gouvernements. Si gouverner c’est prévoir, alors il faut savoir à quoi nous contraindrait la Règle d’Or à long terme ; et puisque gouverner c’est aussi agir, il faut rejeter les mauvais traités et en proposer de bons.
Crédit illustration : LA CRISE 7, par Pierre Marcel (CC BY-NC-ND 2.0)
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