L’Union pour la Méditerranée, planche de salut d’une Europe plombée
Deux mois avant le lancement officiel du projet d’union des pays de la Méditerranée, le 13 juillet 2008, le Président de la République Nicolas Sarkozy, initiateur du projet, a dû revoir ses ambitions à la baisse. Sur ce sujet comme sur les autres (immigration, fiscalité, ogm etc.), le Président français découvre jour après jour, hébété, l’impuissance dans laquelle l’enferment les traités qu’il a approuvés depuis quinze ans. Monopole de la Commission oblige, plus grand chose ne peut être engagé, même au-delà de l’Europe, sans passer par les fourches caudines des autorités bruxelloises. Le projet présenté le 20 mai par la commissaire aux Relations extérieures Bénita Ferrero-Waldner s’était ainsi largement démarqué des propositions, bien inspirées, du Président français pour une Union méditerranéenne. Le projet n’avait d’autre dessein que de rapprocher les pays de la Méditerranée et de favoriser leur développement. Une union autour de projets, fondée sur la coopération d’Etats souverains et l’égalité des nations, dépassant l’étroite et bureaucratique Union européenne. Comme il fallait s’y attendre, la Commission y a non seulement vu une concurrente en puissance pour l’UE en crise, mais aussi inconsciemment, le signe de sa propre obsolescence - architecture, frontières, projet - au moment même où certains en appellent à juste titre à associer la Russie et l’Ukraine, où d’autres (Edouard Balladur) plaident pour une union "euro-atlantique" et où surtout le "non" irlandais comme tous les sondages confirment la défiance des peuples européens à l’égard de l’intégration supranationale.
1) Petite histoire d’une grande idée torpillée au nom de l’Europe
Lancé en 1995, le processus de Barcelone réunissait les Etats-membres de l’Union et treize états du Sud et de l’Est de la Méditerranée (Egypte, Jordanie, Israël, Autorité Palestinienne, Albanie, Syrie, Liban, Turquie, Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye.). Il prévoyait entre autre la mise en place d’une zone de libre échange à l’horizon 2010 et toute une série de coopérations en matière économique, sociale, culturelle et de sécurité. Sous doté financièrement dès l’origine, il a été stoppé net en 2005, plombé par les effets du conflit israélo-palestinien. En effet, avec ce processus de Barcelone, l’Euromed, « aucun des grands problèmes de la Méditerranée n’a été résolu et les menaces s’accumulent : risques de guerre des religions, de choc des civilisations, de catastrophes écologiques, de terrorisme, de migrations massives… », constate Henri Guaino (L’International Magazine, mars 2008)
Le projet français d’Union méditerranéenne lancé par Nicolas Sarkozy entendait dépasser les errements du processus de Barcelone, en invitant les seuls Etats riverains de la Méditerranée à créer « une union politique, économique, et culturelle fondée sur le principe d’égalité stricte entre les nations d’une même mer ». « Dans l’esprit de la France, l’Union de la Méditerranée ne se confondra pas avec le processus » de Barcelone, avait ajouté Nicolas Sarkozy. Ainsi, une Union souple aurait vu le jour à côté de l’Union européenne et à cheval sur celle-ci, dotée d’institutions et de mécanismes au service de ses Etats souverains. Ce projet est celui « d’un partenariat sur un pied d’égalité entre les pays méditerranéens, seule solution pour impliquer tous les riverains. A terme, il s’agit bien de faire de la Méditerranée le pivot d’une grande alliance eurafricaine », expliqua Henri Guaino.
Un rapport de l’Assemblée Nationale avait même avancé l’idée d’une « Agence de la Méditerranée », sorte de secrétariat central de l’union, la création d’une « Banque Euro-méditerranéenne d’investissement » autonome, issue de la FEMIP, branche Méditerranéenne de la Banque Européenne d’Investissement (BEI).
La chancelière allemande Angela Merkel, très contrariée, n’aura cessé, depuis l’automne 2007 et avec l’aide de la presse, de menacer la France, Nicolas Sarkozy et son conseiller Henri Guaino : « Il se pourrait que l’Allemagne se sente, pour ainsi dire, plus concernée par l’Europe centrale et orientale, et la France plus attirée du côté de l’Union méditerranéenne. Ceci pourrait alors libérer des puissances explosives dans l’Union européenne et cela je ne le souhaite pas », avait déclaré Mme Merkel à Berlin le 5 décembre 2007. « Je crois qu’il faudrait faire une offre en la matière à tous les autres Etats européens (…) Si tous les pays ne souhaitent pas participer, il est possible de le réaliser par le biais d’une coopération renforcée. Mais la région de la Méditerranée est notre mission à tous en Europe », recentrant le débat sur l’Union européenne le lendemain, lors d’un déplacement à Paris. En réalité, et comme l’a rappelé Henri Guaino : « La France ne va pas faire l’Union pour la Méditerranée à elle toute seule ! Depuis l’appel de Rome, c’est déjà une initiative à trois, avec l’Espagne et l’Italie. Ce projet ne peut être que le projet collectif de tous les Méditerranéens et non le seul projet de la France. » Mais pour la chancelière allemande, qui ne veut rien entendre, le projet d’Union Méditerranéenne originel aurait conduit à créer une nouvelle « frontière qui passerait entre l’Allemagne et la France » et qui départagerait « les pays tournés vers l’Est et ceux tournés vers le Sud ». Le Président Sarkozy avait fini par plier, fin janvier 2008, en répondant que « même si l’Allemagne n’est pas riveraine de la Méditerranée, ce qui ne m’avait pas échappé, lorsqu’on ne maîtrise pas les flux migratoires dans cette zone, cela concerne l’Allemagne comme les autres démocraties européennes ».
L’objectif de la Commission et à travers elle, de l’Allemagne, est atteint : garder la haute main sur le projet, articuler la nouvelle Union avec le processus de Barcelone et la Politique européenne de voisinage. Sous la coupe de Bruxelles, l’« Union pour la Méditerranée » ne pourrait plus ni concurrencer l’Union européenne, ni proposer une alternative d’intégration de la Turquie à l’UE, Ankara ayant été sur ce point rassurée par l’« Appel de Rome ». Elle redoutait de se voir troquer une adhésion à l’UE contre un fauteuil à l’Union pour la Méditerranée. « Quels que soient ses liens avec l’Europe, la Turquie est une grande puissance méditerranéenne. Tout ce qui se passe en Méditerranée la concerne directement. » estime Henri Guaino avant de conclure que « personne en Méditerranée ne regarde l’Union pour la Méditerranée comme un succédané d’Union européenne ».
2) "L’Union pour la Méditerranée", jusqu’à Glasgow et Helsinki
Le Conseil européen des 13 et 14 mars 2008 a donc adopté à l’unanimité le projet d’Union pour la Méditerranée, avec ces conclusions laconiques de la Présidence slovène : « Le Conseil européen a approuvé le principe d’une Union pour la Méditerranée qui englobera les États membres de l’UE et les États riverains de la Méditerranée qui ne sont pas membres de l’UE. Il a invité la Commission à présenter au Conseil les propositions nécessaires pour définir les modalités de ce que l’on appellera "Le processus de Barcelone : une Union pour la Méditerranée", en vue du sommet qui se tiendra à Paris le 13 juillet 2008. » L’« Union méditerranéenne » a été renommée « Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée ».
A l’origine, le projet français ne prévoyait d’accorder le statut de membre de l’Union méditerranéenne qu’aux 22 pays riverains de la Méditerranée (ainsi qu’à la Mauritanie et à la Jordanie). Les pays non méditerranéens de l’Union européenne auraient eu, quant à eux, accès à un statut d’observateur comme cela est le cas pour le Conseil des États de la Mer Baltique. Ici, tous les pays de l’UE y auront le même statut et cette drôle d’ "Union pour la Méditerranée" qui n’a plus rien à votre avec la proposition initiale, comptera trente-neuf pays, de la Méditerranée (le Liban et la Syrie ne se sont pas encore prononcés) et de l’Adriatique, jusqu’aux mers...du Nord et baltique (les 27 Etats membres de l’UE et les 12 Etats du sud et de l’est de la méditerranée, actuellement parties au processus de Barcelone), la Turquie réservant pour l’instant sa position.
La future union se donnerait pour priorité la coopération environnementale et scientifique : lutte contre le changement climatique, dépollution de la Méditerranée, agroalimentaire, énergie solaire. Par ailleurs, elle mettrait en place des coopérations pour l’éducation et la culture. Le financement des projets sera basé exclusivement sur les fonds alloués dans le cadre du processus de Barcelone, complétés par des financements issus du secteur privé, pour obtenir jusqu’à 14 milliards d’euros supplémentaires. L’Union sera coordonnée par deux directeurs en provenance d’un Etat membre de l’UE et d’un autre pays non européen de la Méditerranée. Nommés pour deux ans, ils seront à la tête d’un secrétariat léger de 20 personnes, et seront établis dans une ville du sud de l’Europe, qui pourrait être Barcelone ou Marseille. L’accord prévoit par ailleurs des sommets bisannuels, présidés à parité par un pays européen riverain de la Méditerranée et par un pays de la rive sud. La Commission européenne, garde une place centrale puisqu’elle est chargée de préparer les détails du projet en vue du sommet du 13 juillet.
Selon Henri Guaino, la nouvelle Union devra comprendre les pays riverains et les pays « qui se sentent directement concernés par l’avenir de cette région. L’Union européenne et la Ligue arabe seraient invitées à y participer ». L’exemple retenu est celui de « l’Union de la Baltique, dont l’Allemagne est partie prenante avec tous les pays riverains dont la Russie, sans que personne y voie un risque de concurrence avec l’UE ». Pour le conseiller spécial du Président, les choses sont claires : « L’Europe c’est l’intégration, la Méditerranée c’est la coopération. Où est le problème ? ». « Plus ambitieuse sur le plan géopolitique » que l’Union européenne, cette Union pour la Méditerranée s’engagerait dans des missions de coopération, notamment dans les domaines de la gestion des eaux, des transports, de l’énergie, de la sécurité civile. Sur la question du nucléaire, le conseiller du Président estime que l’on ne « peut interdire à certains peuples l’accès à cette énergie du futur », même si ce droit « doit être organisé et contrôlé. »
Il est clair que celui que l’on appelle "l’Euroréaliste de l’Elysée" a, face à Berlin et son relais bruxellois, perdu la bataille de l’Union méditerranéenne. Mais il n’a pas perdu la guerre : la réussite, malgré Bruxelles, de la nouvelle Union, n’est pas hors de portée même si son périmètre absurde et sa subordination au carcan de l’UE rend son succès moins probable. Il sait toutefois que la prise de conscience des opinions publiques européennes et le temps jouent en faveur d’une rupture avec le conservatisme et le dogme européistes. En juin 2007 dans le quartier européen de Bruxelles, Henri Guaino, déjà très mal vu pour son projet d’Union méditerranéenne et pour ses critiques de la politiques européenne de la concurrence et du rôle de la BCE, avait lâché, à quelques pas d’un porte-parole de la Commission européenne et montrant du doigt le Berlaymont, siège de la Commission européenne : "mais vous ne comprenez pas qu’un jour tout ce machin va s’effrondrer !". Un an plus tard, le référendum irlandais montrait que les "non" français et néerlandais étaient loin d’être ce que Nicolas Sarkozy avait appelé des "incidents".
Christophe Beaudouin
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