La mort de Jörg Haider plonge l’Autriche dans l’inconnu (1)
Haider vient de disparaître à 58 ans. Que vont faire ses élus et ses électeurs dans une Autriche en proie à la fièvre extrémiste ? Première partie : l’enfant précoce de la politique autrichienne.
Le samedi 5 novembre 1988, alors que je me réveillais à cinq heures du matin pour un déplacement vers Paris, j’apprenais à la radio la mort dans la nuit, dans un accident de voiture, du numéro deux du Front national Jean-Pierre Stirbois, l’homme qui inséra durablement le FN dans le paysage politique français en 1983 lors des élections municipales à Dreux. Il revenait d’un meeting à Dreux justement.
J’avoue que, pour la seule fois, j’avais eu cette réaction peu respectueuse d’un mort ; je m’étais presque surpris à me réjouir de sa disparition. Car ses idées, son activisme et son efficacité mettaient en danger, selon moi, quelques valeurs simples de la République française.
Logiquement, ce fut donc son rival interne, Bruno Mégret, polytechnicien et transfuge du RPR, qui eut gain de cause au sein du Front national (jusqu’à la scission en 1999), ce qui permit à Jean-Marie Le Pen, malgré ses nombreuses petites phrases à scandale, de se couvrir d’une certaine… "respectabilité".
Mais d’une "respectabilité" bien plus faible que celle qu’a acquise Jörg Haider en Autriche dans des alliances officielles avec des partis gouvernementaux.
La disparition du leader très charismatique du populisme autrichien va-t-elle créer un vide salutaire ou, au contraire, est-ce finalement une très mauvaise nouvelle pour les démocrates européens ?
Je pencherais vers la seconde hypothèse.
Un simple accident
Comme pour Jean-Pierre Stirbois ou pour Borislaw Geremek, c’est un simple accident automobile qui a causé la mort brutale de Jörg Haider.
Revenant d’une boîte de nuit proche de sa ville natale, Klagenfurt, Haider roulait à cent quarante-deux kilomètres à l’heure quand il eut à une heure du matin, dans la nuit du 10 au 11 octobre 2008, son accident : il heurta un poteau en béton et une bouche d’incendie dans une zone limitée à soixante-dix kilomètres à l’heure.
Il était seul dans sa Volkswagen Phaeton V6 et il mourut peu de temps après de ses blessures. Il laisse une épouse et deux filles.
Le procureur Gottfried Kranz a immédiatement exclu toutes les hypothèses d’assassinat : « Toute spéculation sur d’autres causes d’accident [que la vitesse] est caduque. »
Le banal l’emporterait sur le romanesque. Tragiquement de toute façon.
Une renaissance des idées du passé
La disparition de Jörg Haider a eu lieu deux semaines à peine après des élections législatives anticipées qui avait donné une large victoire à son parti, la BZÖ, et à celui de son rival populiste, le FPÖ.
Véritable diable à deux têtes, celle de Heinz-Christian Strache et celle de Jörg Haider, l’extrême droite autrichienne avait obtenu ensemble près de 30 % des suffrages et 56 députés, soit deux de moins que le premier parti autrichien, les sociaux-démocrates de Werner Faymann.
Cette extrême droite n’a jamais fait dans la dentelle puisque ses leaders, à plusieurs reprises, avaient fait des déclarations ouvertement xénophobes, islamophobes et avaient même fait l’apologie du IIIe Reich et des Waffen SS.
Un constat qui montrerait à quel point l’Autriche, dont était originaire Adolf Hitler, n’a pas fait de travail d’introspection, comme en Allemagne après-guerre, sur la montée du nazisme et sur sa dénazification nécessaire.
Kurt Waldheim était même parvenu à se faire élire au suffrage universel direct président de la République autrichienne une quarantaine d’années après la chute de Hitler.
D’étranges hommages
Pourtant, Haider fut un homme très apprécié par ses électeurs et très respecté par ses adversaires, si l’on en juge les nombreux hommages rendus lors de l’annonce de sa mort.
Le social-démocrate Heinz Fischer, lointain successeur de Kurt Waldheim à la tête de l’État autrichien, a parlé d’une « tragédie humaine » et du « grand talent » du disparu qui a « suscité l’enthousiasme, mais aussi de fermes critiques ».
Werner Faymann, le probable futur chancelier, a évoqué un « homme d’exception » et sa mort l’a ému « profondément ».
Wilhelm Molterer, le président sortant des démocrates-chrétiens (et vice-chancelier sortant), est lui aussi « profondément choqué » et avait pour lui un « profond respect ».
Enfin, son rival populiste qui n’avait jamais caché son antipathie viscérale, Heinz-Christian Strache, a parlé de la « perte d’un homme de premier plan ».
Quand on lit ce concert de respectabilité, on ne peut être qu’étonné sur le haut degré d’hypocrisie de la classe politique autrichienne. Je doute que la disparition de Jean-Marie Le Pen susciterait une dose aussi élevée de langue de bois et de politesse.
Cela dit, il faut aussi reconnaître que, pendant la soirée électorale, l’ensemble des leaders des partis en compétition étaient réunis au cours d’un débat, chose qui n’arrive jamais en France sinon qu’avec des seconds couteaux.
Sur la même estrade avaient été en effet réunis le 28 septembre 2008 (voir photos de mon article sur le sujet) le social-démocrate Werner Faymann, le démocrate-chrétien Wilhelm Molterer, les populistes Heinz-Christian Strache et Jörg Haider ainsi que l’écologiste Alexander Van der Bellen.
Une carrière politique exceptionnelle
Bien que critiqué, l’homme Jörg Haider était un petit génie précoce de la politique. Un génie coquet, qui n’hésitait pas à s’habiller de façon souvent très originale.
De parents proches de l’idéologie nazie (son père cordonnier, Robert, était un militant actif du NSDAP en 1934), Haider devint en 1973 docteur en droit de l’université de Vienne.
Dès l’âge de 21 ans, il était (pendant quatre ans) le président des jeunes du Parti autrichien pour la liberté (FPÖ), à l’époque un petit parti contestataire qui faisait autour de cinq ou six pourcents de l’électorat.
Jörg Haider fut élu député à 29 ans (il fut le benjamin du Conseil national, l’équivalent de l’Assemblée nationale en Autriche, en 1979) et entra au gouvernement provincial de Carinthie en 1983.
Le 13 septembre 1986, Haider s’empara à 36 ans de la présidence du FPÖ alors que ce parti était dans une coalition gouvernementale avec les sociaux-démocrates depuis trois ans.
C’est à partir de ce moment que le FPÖ se tourna vers un populisme d’extrême droite, aidé du charisme de son nouveau leader.
Ce tournant crucial avait été immédiatement enregistré par le nouveau chancelier social-démocrate Franz Vranitzky qui, refusant ce glissement vers la droite du FPÖ, rompit la coalition SPÖ-FPÖ dès le 23 septembre 1986.
Le charisme de Haider a su bien faire monter les enchères puisque, le 23 novembre 1986, c’est-à-dire deux mois après son accession à la présidence, le FPÖ obtint presque 10 % soit le double du précédent scrutin du 24 avril 1983.
Pendant quatorze ans, ce fut la lente ascension de ce parti trublion, qui cassa de plus en plus (et encore il y a deux semaines) le bipartisme traditionnel de l’Autriche d’après-guerre ÖVP-SPÖ (démocrates-chrétiens du Parti populaire et sociaux-démocrates).
En 1989, Jörg Haider fut élu gouverneur de Carinthie, poste qu’il quitta en 1991 à cause des polémiques suscitées par ses louanges à méthode hitlérienne de la lutte contre le chômage, mais il accéda de nouveau à cette fonction en 1999 (la préférant à celle de ministre fédéral dans la coalition avec l’ÖVP), fonction qu’il privilégia jusqu’à sa mort.
Dans un second article, je poursuivrai la trajectoire de Jörg Haider avec l’ascension électorale de son parti, le FPÖ et surtout, l’enjeu d’une alliance entre l’extrême droite et un parti gouvernemental.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 octobre 2008)
Pour aller plus loin :
Séisme politique : 30 % pour l’extrême droite (8 octobre 2008).
Sur Kurt Waldheim.
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