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Le principe fédératif proudhonien opposé à l’actuel fédéralisme européen

« Le fédéralisme régional […] ce serait encore une organisation politique de haut en bas. L’organisation vraiment populaire commence au contraire par un fait d’en bas, par l’association et par la commune. Organisant ainsi de bas en haut, le fédéralisme devient alors l’institution politique du socialisme, l’organisation libre et spontanée de la vie populaire. » (Mikhaïl Bakounine, Circulaire à mes amis d’Italie)
Je trouve plus logique de parler de confédéralisme plutôt que de fédéralisme pour préciser la nature du principe fédératif proudhonien (et bakouninien). Ou bien il faut toujours insister sur le fait qu’il est question d’un fédéralisme fortement décentralisé.

Par exemple, dans l’extrait suivant tiré du Principe fédératif, Pierre-Joseph Proudhon utilise lui-même l’adjectif « confédéré » lorsqu’il explique que les pouvoirs de l’autorité centrale doivent être réduits « à un simple rôle d’initiative générale, de garantie mutuelle et de surveillance, dont les décrets ne reçoivent leur exécution que sur le visa des gouvernements confédérés et par des agents à leurs ordres ».

Pour le philosophe franc-comtois, plus la subdivision territoriale est vaste (une nation est plus grande qu’une région) plus son pouvoir doit être limité. D’ailleurs, au niveau européen, il parlait de confédération. L’Europe doit être, pour lui, confédérale. Il est certes préférable qu’elle possède un budget, une cour de justice, un marché commun (libre-échange mais taxe de compensation, liberté de résidence et de circulation) mais c’est ensuite selon la volonté populaire. En effet, l’organisation européenne ne peut que reposer sur la volonté des peuples européens qui font remonter et respecter leur choix par la démocratie directe d’abord dans leurs communes et cantons. De ce fait, l’Europe confédérale peut paraître difficile à construire. Mais au moins, cette Europe-là, si elle doit exister un jour, sera réellement démocratique.

Une nation, par rapport à ses provinces (ou régions), est confédération bien que, pour les citoyens, elle reste fédération par rapport au continent car son pouvoir est plus important. Dans l’Europe actuelle, les choses sont totalement inversées : le pouvoir de l'Union européenne est plus important que ceux des nations qui, à leur tour, sont plus importants que ceux de leurs régions – quoique, à ce niveau-là, il faut voir au cas par cas, l’Allemagne est, par exemple, un pays fort décentralisé. Par conséquent, nous pouvons tout à fait, par proudhonisme, dénoncer les institutions européennes et défendre contre elles les souverainetés nationales et, en même temps, vouloir un pouvoir beaucoup plus important au niveau régional, départemental, cantonal et communal. C’est le pouvoir d’une structure administrative plus petite qui, avec les autres de même échelon territorial, doit appuyer les décisions de la structure qui se place à l'échelon juste au-dessus du leur. La délégation du pouvoir se fait de bas en haut et non de haut en bas. En conséquence de quoi le pouvoir, pour sa plus grande partie, reste en bas. La souveraineté européenne doit être le pur reflet des souverainetés populaires donc des démocraties nationales. Icelle doit être le pur reflet des démocraties régionales, etc.

Proudhon nous dit encore : « Dans la fédération, le principe d’autorité étant subalternisé, la liberté prépondérante, l’ordre politique est une hiérarchie renversée dans laquelle la plus grande part de conseil, d’action, de richesse et de puissance reste aux mains de la multitude confédérée, sans pouvoir jamais passer à celles d’une autorité centrale. » Le but est que soit opérée une subsidiarité maximale ; autrement dit, le plus grand nombre de problématiques politiques et sociales est géré à l’entité collective la plus proche possible du citoyen. En effet, il s’agit de donner un pouvoir inédit aux plus petites structures administratives alors fédérées. Cela dit, Proudhon a bien conscience d’un « dualisme » qui se formerait entre une « loi d’unité » et une « loi de divergence ». Pourtant, il croit qu’à travers ce dernier se situe un équilibre afin que tout citoyen « empile » consciences sociale, locale, nationale et européenne.


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6 réactions à cet article    


  • César Castique César Castique 1er juillet 2015 17:31

    Ça peut paraître séduisant, mais dans une société aussi « sophistiquée » que la nôtre, on se demande ce que la subsidiarité laisse à la portée des petites communautés, hormis les heures d’ouverture des bistrots des magasins, ou la couleur des bancs dans les parcs publics...


    Outre les fonctions régaliennes, la santé publique, l’enseignement, les transports et communications, la production et le transport de l’énergie, exigent des coordinations et des moyens financiers « supra-fédératifs » que Proudhon, mort en 1865, ne pouvait pas imaginer.

    • Anthony Michel Anthony Michel 2 juillet 2015 18:26

      @César Castique


      Si bien sûr toute théorie politique a ses limites relatives à l’époque de son auteur, je pense que les idées de Pierre-Joseph Proudhon sont justement particulièrement adaptables à notre monde moderne. Déjà, on peut considérer que si certaines choses n’étaient pas gérées « au-delà » des fédérations de « communes libres » (pour reprendre une expression proudhonienne) alors, par exemple, le monde ne connaîtrait plus de guerre. En effet, à partir de quels motifs les assemblées populaires choisiraient l’envoi d’une armée nationale sur des territoires étrangers ? D’ailleurs, l’enseignement proudhonien en matière de patriotisme nous laisse considérer de façon très intéressante que la vraie nature du patriotisme est défensive, non offensive (posture qui sera reprise, de manière elle aussi intéressante, par le célèbre auteur britannique du siècle dernier George Orwell).Ce que je veux dire, plus globalement, c’est que le fédéralisme intégral n’aurait pas pu engendrer certaines injustices connues dans le monde aujourd’hui, qu’elles soient d’ordre social, économique ou politique. Car défendre la démocratie la vraie sous-entend alors que les citoyens sauront réformer ce qu’il convient de réformer mais aussi conserver ce qu’il convient de conserver. C’est ce point qui peut sembler utopique. Avec Proudhon, on fait un peu le pari sur la capacité collective au discernement positif, même s’il n’était pas naïf et qu’il faut revoir ce qu’il nous dit en matière de justice et de moralité (en effet, il ne dit pas forcément que cette capacité est innée).
      Concrètement sinon, ce fédéralisme ne peut pas naître, c’est sûr, du jour au lendemain. Il faudrait un vaste mouvement politique défendant de bonne foi — c’est-à-dire sans individualités ayant des arrières-pensées politiciennes et/ou égocentrées (car en contradiction avec les idées en question) — ce fédéralisme intégral, cette « anarchie positive » — comme disait Proudhon lui-même. 
      Une dernière remarque enfin. Si, notamment dans ses Confessions d’un révolutionnaire, il associe le centralisme au despotisme et à l’insidieux processus de représentativité, Proudhon défend en contrepartie un autre « mode » (mot qu’il emploie) de centralisation. Plus précisément, Proudhon oppose deux types de centralisation :
      – celle des États « despotiques et représentatifs » qui est « l’autorité, héréditaire ou élective, qui du Roi, Président ou Directoire descend sur le Pays et absorbe ses facultés » ;
      – celle reposant sur le contrat, celle des sociétés « d’hommes libres, qui se groupent suivant la nature de leurs industries ou de leurs intérêts, et chez lesquels la souveraineté, collective et individuelle, ne s’abdique ni ne se délègue jamais ». Dans le second cas, « l’unité sociale, au lieu de résulter [comme dans le premier cas] du cumul et de la confiscation des forces par un soi-disant mandataire du peuple, est le produit de la libre adhésion des citoyens. En fait et en droit, le Gouvernement, par le suffrage universel, a cessé d’exister ». D’où la centralisation proudhonienne s’effectuant « de bas en haut, de la circonférence au centre » avec autonomie de toutes les fonctions administratives se gouvernant, en effet, « chacune par elle-même ».

    • Gaston Lanhard 2 juillet 2015 14:09

      Ou la vraie démocratie. Celle qui vient du bas et s’impose en haut.

      Pas comme la soit-disant démocratie libérale dont on constate tous les jours les méfaits et le mépris des Peuples. Cf les Grecs qui n’ont pas droit à la décision populaire. Ou l’on constate que Sarkosy se révèle tel que l’est sa pensée a-démocratique.
      Une Europe C.E. a-démocratique soumise aux oligarchies et aux despotismes des fonctionnaires.

      • Anthony Michel Anthony Michel 3 juillet 2015 16:07

        @Gaston Lanhard

        Je vais tout-à-fait dans votre sens.
        A noter que Proudhon ne remet pas totalement en cause l’existence de l’État. A vrai dire, qu’importe, selon lui, comment nous l’appelons… Dans ses Confessions d’un révolutionnaire, il nous dit en effet : « Le gouvernement, l’État, le pouvoir, quel que soit le nom que vous lui donniez, ramené à ses justes limites, qui sont, non de légiférer ni d’exécuter, pas même de combattre ou de juger, mais d’assister, comme commissaire, aux prêches, s’il y a des prêches ; aux débats des tribunaux et aux discussions du parlement, s’il existe des tribunaux et un parlement ; de surveiller les généraux et les armées, si les circonstances obligent de conserver des armées et des généraux ; de rappeler le sens des lois et d’en prévenir les contradictions ; de procurer leur exécution, et de poursuivre les infractions : là, dis-je, le gouvernement n’est autre chose que le proviseur de la société, la sentinelle du peuple. »
        En fait, à partir de là, pour Proudhon, « le gouvernement n’existe plus, puisque, par le progrès de leur séparation et de leur centralisation, les facultés que rassemblait autrefois le gouvernement, ont toutes, les unes disparu, les autres échappé à son initiative ».
        Ainsi, « de l’an-archie est sorti l’ordre ». Nous obtiendrions plus précisément :
        – « la liberté des citoyens, la vérité des institutions, la sincérité du suffrage universel, l’intégrité de l’administration, l’impartialité de la justice, le patriotisme des baïonnettes, la soumission des partis, l’impuissance des sectes, la convergence de toutes les volontés » ;
        – une société « organisée, vivante, progressive ; elle pense, parle, agit comme un homme, et cela précisément par ce qu’elle n’est plus représentée par un homme, parce qu’elle ne reconnaît plus d’autorité personnelle, parce qu’en elle, comme en tout être organisé et vivant, comme dans l’infini de Pascal, le centre est partout, la circonférence nulle part  ».


      • Céline Ertalif Céline Ertalif 7 septembre 2015 09:40

        Excellent article, j’en approuve sans réserve les fondements.


        Mais c’est très difficile de se faire comprendre. Peut être faut-il aller un peu plus aux extrémités des nombres pour se faire comprendre, des plus petits aux plus grands, parce que la propagande des pouvoirs envahit aussi la pensée intime.

        Aujourd’hui, nous avons besoin de décisions mondiales pour protéger la planète de nos propres désordres humains, du risque nucléaire jusqu’à la destruction des forêts primaires en passant par la destruction de la biodiversité pour des raisons de profit. Ce qui veut bien dire l’utilité d’une fédéralisation à l’échelle planétaire pour nous protéger des initiatives humaines prédatrices.

        Mais nous avons un héritage intellectuel centré sur la protection par la coercition. La propagande religieuse a notamment ancré l’obéissance plus loin que la raison. A tel point que la liberté dans la famille, et dans le village, a été tellement réduite que l’expérience de nos concitoyen(ne)s indique le sens inverse de la subsidiarité : pour retrouver la liberté, il a fallu s’extraire de cet enfermement, se jeter dans l’anonymat du grand nombre sous les lumières de la ville qui permettait de retrouver un espace de jouissance avec un contrôle social desserré. Ce désir de liberté individuelle par rapport aux plus petites unité de regroupement humain a été un puissant facteur de soutien à la prolétarisation. C’est encore vrai aujourd’hui dans de nombreux pays du monde où l’individuation est à toujours à l’œuvre.

         Le temps d’un renversement est peut être arrivé, par exemple on retrouve une certaine liberté aujourd’hui par les pratiques de la colocation ou du covoiturage. Si je reprends le slogan « penser global, agir local », il me semble que nous en sommes à une relative progression de la conscience globale, mais à une inhibition encore très puissante de l’action locale pour combattre l’organisation autoritaire top/down.

        • Anthony Michel Anthony Michel 9 septembre 2015 01:38

          @Céline Ertalif

          Merci de ce très bon complément. Notamment quand vous dites ceci : « La liberté dans la famille, et dans le village, a été tellement réduite que l’expérience de nos concitoyen(ne)s indique le sens inverse de la subsidiarité : pour retrouver la liberté, il a fallu s’extraire de cet enfermement, se jeter dans l’anonymat du grand nombre sous les lumières de la ville qui permettait de retrouver un espace de jouissance avec un contrôle social desserré. Ce désir de liberté individuelle par rapport aux plus petites unité de regroupement humain a été un puissant facteur de soutien à la prolétarisation. »

          Une remarque à propos des décisions aux niveau mondial, je pense que le confédéralisme comme je l’avance — avec des références telles Proudhon ou Bakounine — doit intégrer une institution permettant à une communauté d’échelon territorial inférieur de communiquer directement des décisions à un échelon qui ne se situe pas forcément juste au-dessus. Comme exemple on peut s’en remettre — même si cela concerne un petit pays — à l’Initiative populaire fédérale en Suisse, où 100 000 habitants sur 8 millions peuvent imposer un référendum sur une modification de la Constitution fédérale.

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