Le Royaume-Uni glisse-t-il vers la sortie de l’Europe ?
Deux ans après les deux « non » qui ont secoué l’UE, le Conseil européen des 21-23 juin a débloqué la situation. Mais dans la mesure où les chefs d’Etat et de gouvernement se sont essentiellement mis d’accord pour reprendre presque tous les éléments du Traité constitutionnel mort-né, on ne peut s’empêcher de penser que deux années de palabres ont été perdues.
Fait remarquable : le Royaume-Uni a accepté la possibilité pour certains Etats membres d’aller plus loin et plus vite que les autres dans leur coopération policière et judiciaire en matière pénale. Cette disposition contente le Royaume-Uni qui refusait de se voir impliqué dans un processus pouvant déboucher sur un parquet européen vécu comme une intrusion dans la souveraineté insulaire. Elle répond aussi aux desiderata d’autres Etats membres plus volontaristes. Cependant, cette ultime concession de Tony Blair quelques jours avant de passer la main pourrait éroder l’influence future du pays dans les affaires européennes.
Le Royaume-Uni ne participait déjà pas à l’Union économique et monétaire [1]. Son absence de la zone euro le marginalisait déjà sur le plan de la conduite des politiques économiques. Aujourd’hui, le Royaume-Uni fait le choix de « s’auto-exclure » d’un des pans les plus en vue de la construction européenne depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, du 11 mars 2004 à Madrid et ceux qui ont touché le cœur de Londres même en juillet de cette année.
Le Royaume-Uni a souvent eu une guerre en retard dans la construction de l’Union européenne [2]. Déjà, en 1955, le chancelier Butler avait dénigré l’invitation à la Conférence de Messine qui préparait le futur Traité de Rome et n’avait daigné dépêcher qu’un observateur, convaincu que le projet d’une Communauté européenne ne relevait que d’une « excavation archéologique ». En 1991, John Major s’opposa à une série d’avancées sociales voulues par les onze autres pays si bien que le protocole social ne s’appliqua pas outre-Manche. Il fallut attendre l’arrivée de Tony Blair pour que le protocole soit pleinement intégré au Traité lors de sa révision à Amsterdam en 1997 et s’applique à tous les Etats membres.
En 2004, au moment de parachever ce qui allait devenir le projet de Traité constitutionnel, le même Tony Blair s’opposa à une coopération plus poussée dans le domaine énergétique. Un an et demi plus tard, les limites de son entêtement apparurent lorsque la crise pétrolière et les désordres géopolitiques persistants poussèrent le cours du baril du pétrole à 80 $. La priorité des vingt-sept devint alors la définition d’une politique énergétique européenne.
Le fait pour le Royaume-Uni d’avoir pris l’habitude de rater le train (quand il ne l’a pas tout simplement retardé) pourrait avec cette dernière concession l’isoler comme jamais auparavant. En effet, les nouveaux Etats membres sont tous tenus d’adopter la monnaie unique si bien que bientôt, le Royaume-Uni sera avec le Danemark et peut-être la Suède les seuls pays où l’euro ne circulera pas. Aussi, lors des négociations d’adhésion des nouveaux Etats membres, leur justice plus que lacunaire a été pointée du doigt ; pour la Bulgarie et la Roumanie, il a même été récemment question d’activer les clauses de sauvegarde leur fermant temporairement les frontières et les privant momentanément des aides européennes en raison de leur corruption endémique et des réformes insuffisantes. De plus, leur longue frontière avec des pays tels que l’Ukraine et la Moldavie les rend attentifs au problème de criminalité transfrontalière. Par conséquent, si certains parmi eux considèrent l’Europe comme un tiroir-caisse ou une zone commerciale, ils semblent intéréssés par la coopération renforcée qui s’ouvre dans ces nouveaux domaines et ne sont plus prêts à suivre le Royaume-Uni comme ils l’avaient fait pour l’Irak ou la libéralisation des services en Europe.
Risque de se poser la question de la pertinence pour un Royaume-Uni de plus en plus isolé de rester dans l’Union. Après tout, une autre innovation du Traité constitutionnel [3] a été endossée par le Conseil européen : la clause de sortie organisant pour la première fois le retrait de l’Union pour un pays qui souhaiterait s’en désengager. Aujourd’hui, plus aucun dirigeant politique national ne peut honnêtement dire que l’UE est une contrainte extérieure à laquelle il n’y a pas d’alternative car ce n’est plus vrai.
On sait Gordon Brown moins Européen que le précédent locataire du 10 Downing Street [4]. Par ailleurs, bien que membre du club européen depuis 1974, les médias sont restés majoritairement hostiles à tout ce qui vient de « Bruxelles » et la population n’a jamais fait preuve d’enthousiasme à l’égard de la construction européenne [5].
Au cours des vingt-cinq dernières années, ce n’est qu’entre 1988 et 1990 qu’une majorité de Britanniques ont porté un regard positif sur leur appartenance à l’UE. En moyenne, un sur quatre jugeait que c’était une mauvaise chose. En 1999, 42 % des Britanniques jugeaient que leur pays ne bénéficiait pas de l’appartenance à l’UE (contre 29 % pensant le contraire ; moyenne UE-15 : 31 % et 46 %). En 2007, 43 % évaluent plus positivement les bénéfices retirés de l’adhésion (UE-27 : 59 %) [6].
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Londres et d’autres capitales ont exigé - et avec succès - la suppression des références à un super-Etat européen qui étaient contenues dans le Traité constitutionnel (les symboles, l’appellation « ministres européen des Affaires étrangères », le terme « lois européennes »...). Or, comme l’a fait justement remarquer l’eurodéputé vert, Johannes Voggenhuber : « Un gouvernement qui veut se débarrasser d’un symbole veut se débarrasser d’une idée »...
Cette indifférence, voire ce mépris envers l’UE donne l’impression que le Royaume-Uni crache dans la soupe ou a la mémoire courte. Il faut en effet se souvenir qu’en 1975, à la demande explicite du Royaume-Uni tout nouveau membre de l’UE et en proie à d’importantes restructurations industrielles, est créé le Fonds de développement régional. Ce fonds octroie des aides européennes pour aider les régions à se reconvertir et à se moderniser. Son action n’est vraisemblablement pas étrangère à la présence du Royaume-Uni parmi les économies les plus compétitives. Ce fonds est financé par le maigre budget européen que le Royaume-Uni avec cinq autres complices avait voulu déboursoufler fin 2003 alors qu’il aurait fallu renforcer sa dotation pour que les élargissements se réalisent dans des conditions optimales.
L’Europe politique et le Royaume-Uni, surtout celui de Gordon Brown, semblent être des causes perdues l’une pour l’autre. Gordon Brown en tirera peut-être la conclusion qu’un divorce à l’amiable prenant la forme d’une sortie de l’Union, mais avec une participation négociée aux avantages du marché intérieur, est la seule solution envisageable.
[1] Après de nouvelles études, Gordon Brown a en mars 2004 jugé que l’adoption de l’euro était contraire aux intérêts de son pays.
[2] Ce scepticisme systématique et mal inspiré a bien été résumé par Tony Blair en 2001 : « We said that it wouldn’t happen. Then we said it wouldn’t work. Then we said we didn’t need it. But it did happen. And Britain was left behind. » (speech intitulé Britain’s role in Europe, 2001)
[3] Article I-60.
[4] G. Brown, « Global Europe : full-employment Europe », octobre 2005.
[5] La question du retrait volontaire de l’UE ne se pose pas pour la Pologne car si son gouvernement peut être estampillé d’eurosceptique, ce n’est pas le cas de la population : 67 % des Polonais jugent favorablement l’appartenance à l’UE et que le pays a retiré des bénéfices de l’adhésion. La posture anti-européenne du pays pourra être corrigée à l’occasion des prochaines élections. Par contre, les Pays-Bas semblent emprunter progressivement le même chemin que le Royaume-Uni.
[6] Eurobaromètre standard 52, avril 2000, Eurobaromètre standard 67, juin 2007.
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