La recherche est comme le temps. Le meilleur moyen de la sauver est de la perdre.
Le meilleur moyen de sauver la recherche française est, sans le moindre doute, de la perdre, en apparence du moins, car les vrais problèmes ne sont pas dans les individus, mais dans les structures, aussi archaïques qu’inadaptées, ce que tou le monde sait, même si nul n’ose le dire.
Nicolas Sarkozy a donc eu tort de s’en prendre, comme il l’a fait, aux chercheurs, même s’il y a beaucoup à dire sur les chercheurs du CNRS (où, naguère encore, on progressait souvent, plus vite et plus sûrement, en faisant du syndicalisme que de la recherche !) et des EPST, comme sur les enseignants-chercheurs des universités, dont on peut admettre, à la louche, que près de la moitié, surtout hors des sciences dures, ne satisfait guère à ses obligations statutaires en la matière. Rappelons ici que, normalement, un enseignant-chercheur, comme son nom l’indique, doit consacrer la moitié de son temps de travail à la recherche (les obligations administratives se déduisant de l’un et de l’autre). Ce n’est pourtant guère le cas dans certains secteurs, comme le droit, où nombre d’enseignants sont avocats, conseillers, consultants, experts, etc. en tout et n’importe quoi.
Le problème des enseignants-chercheurs des universités est donc rendu complexe par la diversité des disciplines ; toutefois, l’idée d’imposer un service d’enseignement plus lourd à des professeurs qui choisissent de ne pas faire de recherche, le plus souvent pour exercer une autre activité plus rémunératrice, n’a donc rien de choquant, bien au contraire.
Le malentendu, exploité de façon très consciente, est venu de l’expression « mal évalué ». Comme l’évaluation n’est jamais pédagogique, mais uniquement scientifique (à partir des publications), un enseignant est « évalué » là-dessus et là-dessus seulement. S’il n’a aucune publication, son évaluation ne peut être que « mauvaise », ce qui ne veut nullement dire qu’il est un mauvais professeur, mais simplement qu’il ne fait que la moitié du service pour lequel il perçoit l’intégralité d’un traitement.
Est-ce tolérable ? Est-ce équitable à l’égard de ceux qui remplissent l’ensemble de leurs obligations ? Lui demander d’enseigner plus est donc non seulement logique, mais juste, en particulier vis à vis de ceux de ses collègues qui, tout en enseignant autant que lui, consacrent le reste de leur temps à des travaux scientifiques, qui font partie du service, mais qui, naturellement ne leur assurent pas des compléments de rémunération.
J’en reviens donc à la question des chercheurs à plein temps qui relèvent du CNRS ou des EPST (IRD, INSERM, etc .). Le seul point que je voudrais aborder tient à une de ces contre-vérités que les chercheurs eux-mêmes mettent en avant et que les médias reprennnent aussitôt, sans rien vérifier, comme toujours.
Les syndicats de chercheurs, comme les autres, ne connaissent qu’une revendication : « Plus de postes et plus de moyens ». Désormais, ils jouent aussi volontiers à faire peur, en prédisant la fuite de nos jeunes chercheurs. Ces derniers seraient, en effet, si bien formés en France et si mal payés en début de carrière, que les pays étrangers se les disputent et que, comme les rémunérations sont supérieures à l’étranger, tous vont déserter la France.
Je laisse de côté ici les Etats-Unis, faute de données mais aussi en raison du fait que, si les salaires peuvent y être effectivement très supérieurs, cela ne veut pas dire grand chose, car les disparités sont là-bas énormes suivant les structures scientifiques prises en compte (un chercheur peut gagner 50.000 $ ou 500.000 $ selon le laboratoire où il est employé). En outre, les situations et les garanties qui s’attachent à ces emplois ne sont pas du tout les mêmes non plus. Si l’on est recruté à 28 ans au CNRS par exemple, on sait qu’on y coulera des jours paisibles jusqu’à la retraite, quoiqu’il arrive et quoiqu’on fasse, y compris rien du tout ! Il en est évidemment tout autrement aux Etats-Unis !
Tenons-nous en donc à l’Union européenne, puisque des chiffres précis sont disponibles et que les choses sont, sinon identiques, du moins proches. Voici les donnnées. Les salaires (charges incluses) sont indiqués successivement, de 0 à 4 ans après la thèse, de 8 à 10 ans et plus de 15 ans (toujours après la thèse).
Norvège - 51.400 62.500 73.700
Danemark 42.500 61.800 81.000
France 28.200 51.600 75.000
Finlande 26.100 41.000 56.000
Pays-Bas 25.600 56.900 88.200
Suède 27.600 56.400 85.200
Royaume-Uni 24.600 53.600 82.500
Allemagne 24.500 51.200 78.000
Espagne 14.000 32.000 49.900
Italie 12.300 32.000 52.000
Pologne 6.600 12.000 17.400
(Source : Commission européenne, 2006).
On constate donc que, si l’on met à part la Norvège et le Danemark, Etats faiblement peuplés et à qui le pétrole et le gaz de la Mer du Nord permettent de vivre sur un très grand pîed, la France se classe en tête pour la rémunération des jeunes chercheurs en début de carrière et dans le peloton de tête pour les milieux et fins de carrières.
Comme on nous parle sans cesse de ces jeunes chercheurs qui vont traverser la Manche et de l’attrait du Royaume-Uni, on doit supposer que nos jeunes savants, si brillants par ailleurs, ne savent pas compter pour envisager d’aller travailler dans des laboratoires anglais où ils seront moins bien payés qu’en France !