Politique et société civile dans la relation contrainte entre l’Europe et l’Etat-nation
Article déjà publié sur le site web « EUROPE MAINTENANT ! » intégré sur le portail d’internet « Tribune de la société civile européenne ».
Depuis un certain temps, la politique et la société civile pratiquent une position à l’égard de l’Europe caractérisée par une certaine perturbation, par des doutes et des points de vue et résolutions freinant parfois leurs positions. Assez souvent on accuse la manque de transparence et de démocratie au « niveau » européen et l’UE et certains de ses politiques sont loués ou critiqués. La politique comme aussi la société civile cherchent chacun pour soi des méthodes et des contenus aptes à se confronter à ces « manques » et aptes à être investis à la construction de cette Europe souhaitée par tous. Nombreux sont ceux qui en voulant réaliser le « rêve européen » constatent après un certain temps une certaine impuissance de leur propre stratégie et comportement. Parfois la déception mène ou à une position de critique radicale ou à une résignation. Ni la politique ni la société civile ne s’avèrent capables de développer une action créative. La seule force active était et reste l’économie du marché qui en dépassant depuis longtemps les frontières européennes comme obstacles d’expansion est devenue une actrice mondiale.
Mais quelles sont les raisons qui empêchent la réalisation de l’Europe dans la mesure désirée ? Pour en avoir une réponse acceptable et probante, il faut prendre recours aux valeurs de cette Europe souhaitée aujourd’hui et prendre conscience du point de départ de l’intégration européenne.
Pendant des siècles de guerres et des luttes entre les différents royaumes et - plus tard - entre les différents États-nations pour davantage d’influence, davantage de territoires et davantage de charbon, de minerais et de pétrole, en Europe se développait à l’intérieur de ces États une politique d’expansion s’appuyant sur l’armée et l’armement. La domination des élites en Europe amenant la destruction massive de vie humaine et de la nature avait son point culminant pendant la Seconde Guerre mondiale. Après cette catastrophe, l’Europe a connu non seulement parmi les peuples battus mais aussi parmi ceux qui se trouvaient du côté des vainqueurs la profonde volonté de ne plus se laisser conduire à l’abattoir et ceci au nom du roi ou l’empereur ou à la gloire de la République ou de la patrie. Aussi les élites reconnaissaient largement la nécessité de mettre fin au développement belliciste en Europe. Ce changement cognitif fut aussi bien caractérisé par une composante de morale positive que par la reconnaissance sobre du risque garanti de l’autodestruction à la suite de nouvelles conquêtes territoriales.
Par conséquent, la fin de la Seconde Guerre mondiale a connu l’arrivée du « rêve européen »1 soit la recherche à l’issue de l’auto-déchirement des peuples européens. La Déclaration universelle des droits de l’homme, votée en 1948 par l’ONU, toujours siégeant à Paris, avait énormément inspiré cette aspiration à la paix et la liberté s’étendant en Europe et trouvant une large promotion par de nombreuses associations et mouvements populaires. Maintes personnalités politiques de positions de la gauche et socialistes promouvaient à l’époque l’Union des fédéralistes européens créée en 1948 comme base du mouvement européen.
Dès le début, toutes les aspirations politiques et civiques dans les États-nations visaient à une cohabitation pacifique avec les peuples voisins. La fusion transnationale des industries du charbon et d’acier, annoncée en 1952 par Robert Schuman et acceptée par Konrad Adenauer pour créer la CECA, a bien prouvé une raison morale interdisant la construction des canons aptes à tirer réciproquement. Cette première Communauté européenne, à laquelle adhéraient aussi d’autres pays comme la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Italie, et les autres projets communautaires instaurés d’abord et surtout pour satisfaire aux besoins de l’économie du marché, résultait toujours d’accords intergouvernementaux pour garantir une coopération transnationale. Le développement à l’Union européenne d’aujourd’hui n’a jamais mis en question l’existence des États-nations même si certaines parties de la souveraineté exécutée jusqu’à présent uniquement par les États ont été transférées transnationalement à la suite de ces accords intergouvernementaux aux institutions communautaires. Un bon exemple en est l’abolition des frontières nationales. La souveraineté ancienne exercée par l’État à ses frontières fut élargie à une nouvelle souveraineté transnationale sur de nouvelles frontières communautaires élargies. De cet élargissement, profitent tous les citoyens de cette nouvelle communauté d’États-nations rassemblés. Sont concernés non seulement les citoyens engagés dans des activités économiques, mais encore également les citoyens employés et dépendants de l’économie. Les uns en profitent matériellement et économiquement plus que les autres, mais tous profitent juridiquement d’une liberté plus large. La disparition des frontières séparant les pays voisins n’abolissait pas l’impératif souverain empreint depuis des siècles à défendre les frontières nationales et la sécurité de son propre peuple. Par contre, elle élargissait à un impératif communautaire supporté par les États liés par les accords à garantir la sécurité commune à leurs frontières communes.
Quels que soient les accords et traités qui caractérisent le chemin vers la réalité européenne actuelle, ils ont été toujours le résultat des décisions prises par les Etats-nations créant des activités transnationales. L’Europe ne se transférait ni à une fédération européenne ni à un Etat fédéral ou super-Etat. Les accords obtenus entre les gouvernements nationaux ont créé par contre toute une série de réseaux de coopération intergouvernementale dont le plus grand est sans doute l’Union européenne. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’Europe a connu de nombreux réseaux agissant transnationalement tels que le Conseil d’Europe, Euratom, l’accord de Schengen, la zone de l’Euro, l’Otan, la OSCE, etc. Ces réseaux se distinguent d’une fois par les différents sujets, mais surtout par la différence d’Etats y adhérant. Ce ne sont pas toujours les mêmes Etats qui y adhèrent, parfois un Etat adhère à deux, trois réseaux différents. La zone d’Euro ne s’étend pas à tous les Etats-membres de l’UE. L’accord de Schengen rassemble certains Etats-membres de l’UE et des Etats non-membres de l’UE. Presque tous les États-nations européens sont réunis dans l’OSCE et sont membres du Conseil d’Europe. L’Otan connaît des membres européens affiliés à l’UE et non affiliés à l’UE comme également des membres non-européens réunis pour coopérer militairement.
Même en respectant tout jugement subjectif à l’égard de ces intégrations verticales, il faut quand même prendre en considération le principe de l’égalité souveraine de chaque partenaire des traités donnant son accord national aux actions transnationales. Les plus petits Etats-nations de l’UE - Malte et le Luxembourg - avaient sans doute pris la même décision souveraine en adhérant à la communauté que celle qui a été prise par l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Si parfois certains Etats-membres essayaient de mettre en jeu leur « propre poids » pour avancer leurs intérêts nationaux, alors ils se trouvaient accompagnés par une opposition critique de la part des « petits ». Ces critiques menaient assez souvent à des compromis politiques devenant également un résultat soumis d’une critique.
Les partenaires nationaux de traités établissant les différents réseaux respectivement organisations internationales décidaient logiquement aussi sur l’établissement des institutions ayant comme objectif de surveiller la bonne exécution de ces traités sur la base des valeurs morales du départ de développement. L’Otan a connu la création du Commandement commun, l’UE celle de la Commission. Le Parlement européen a été conçu comme instrument de contrôle démocratique des activités de la Commission ; à défaut de l’existence d’un super-État européen avec un exécutif, le Parlement européen n’a pas été doté du pouvoir législatif. Les décisions relatives à la construction et structure de cette organisation intergouvernementale UE sortent uniquement de l’action souveraine des gouvernements nationaux et ceci conformément au droit international. Les institutions établies pour garantir et réaliser ces décisions agissent en concordance des intérêts communs de ces États-nations représentés par leurs chefs d’États et des gouvernements.
Au moment où les traités ou les politiques résolus par les chefs d’États et des gouvernements se trouvent en contradiction aux intérêts des citoyens d’États-nations coopérant au sein de ces réseaux européens ou au moment où les institutions n’agissent pas en concordance à ces intérêts citoyens, il faut que la juste critique ne se dirige pas au réseau en question, mais plutôt à ceux qui en prenaient la décision soit à leur propre gouvernement. Il n’existe pas un « super-État » construit démocratiquement et reconnu internationalement dont l’activité pourrait être également modifié sur la voie démocratique.
La situation juridique concrète en Union européenne n’admet une modification des traités et des politiques que par une décision commune des États concernés. Cela concerne la politique néolibérale de l’économie du marché refusée par la plupart des personnes habitant l’Europe aussi bien que la Politique étrangère et de sécurité commune contredisant complètement aux valeurs fondatrices de l’Union européenne. La position politique de chaque chef d’État et de gouvernement dépend normalement du rapport de force politique respectif de son État.
Cette position gouvernementale est assez souvent soumise à l’influence de la société civile des pays-membres de l’UE. En revanche à l’influence que les gouvernements exercent actuellement de manière transnationale sur la vie des peuples dans les 27 pays-membres, les sociétés civiles sont appelées à agir également de manière transnationale. En prenant en considération les principes démocratiques, des actions politiques concertées entre les sociétés civiles des différentes pays-membres de l’UE influenceraient les gouvernements pour aboutir finalement à de nouvelles politiques communautaires.
En prenant en considération les conditions juridiques du droit international existant également en Union européenne - cette organisation internationale d’États-nations indépendants -, la lutte politique en faveur d’une Europe de la paix et de la justice sociale aboutira uniquement à un succès au moment où les partis politiques et les sociétés civiles de ces États-nations poussent leurs propres gouvernements à une autre position politique.
Une telle attitude ne devrait pas empêcher le Parlement européen à contrôler l’activité de la Commission instituée et munie de certains droits par les Etats-membres de l’UE.
En tenant compte de son point de départ - la construction d’une Europe de la paix, de la liberté et de la solidarité - le "rêve européen" ne se réalise pas en construisant un « super-État » avec de nouvelles frontières « européennes », non plus par la création d’un « peuple d’État » européen avec une citoyenneté étatique, mais uniquement par la coopération raisonnable des États-nations indépendants et garants de la justice sociale et de la diversité culturelle de leur propre peuple désirant vivre en paix et en entente avec les peuples voisins.
Il s’avère qu’aucun chef d’État élu par les citoyens n’abandonnera la pleine souveraineté de son État au bénéfice d’un gouvernement européen « supérieur ». Une telle décision n’est pas pensable par les politiciens ni de la droite conservatrice ni de la gauche progressiste. Au moment où il n’existe ni un État européen ni un peuple européen, aucune Constitution n’est tenue à stipuler les règles de relation entre ces deux. Les règles d’une coexistence et du bon voisinage entre les États-nations européens nécessitent d’être déterminés par les forces politiques et civiques de chaque pays concerné. Les partis politiques européens et les ONG de la société civile sont tenus à rendre publiques les inconvénients se présentant transnationalement et de concerter les « réponses » transnationales.
Le processus européen de l’intégration transnationale et pacifique des États-nations résultant d’un développement historique n’as pas mis un terme avec l’Union européenne actuelle et avec son actuelle « acquis communautaire ». Un arrêt de ce processus signifiera la fin du développement. Au risque d’un naufrage, le processus d’intégration européenne est tenu de continuer et ne connaît donc ni frontières géographiques ni limites temporaires. Le développement européen dispose donc d’un caractère explicitement cosmopolitique2 indisponible à n’importe quelle politique nationaliste ou expansionniste.
Horst Grützke
Président du Réseau de citoyens européens EUROPE !
Potsdam / Allemagne
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