Pour un vote au Parlement du Traité de Lisbonne
La France du Non est minoritaire en Europe. N’ayant pas été capable de proposer une alternative, elle n’a plus d’autre choix que d’avaliser le nouveau Traité ou de bloquer délibérément la construction européenne.
Après le Non au référendum de 2005, que faire et que penser du Traité de Lisbonne, de sa soumission au vote du Parlement dont le résultat sera très certainement contraire ? A lire les quelques réactions actuelles, je suis une fois de plus frappé du caractère franco-français des analyses qui ne prennent tout simplement pas en compte la dimension évidemment européenne du Traité de Lisbonne.
Mettons-nous à la place de nos partenaires qui ont voté Oui au Traité constitutionnel. Pour faire simple, on va dire l’Allemagne.
Je suis l’Allemagne. Après le Non de la France au référendum, j’attends les élections présidentielles françaises, car je sais que Chirac n’a plus les moyens politiques de faire évoluer la situation. Pendant ces 2 ans d’attente, j’observe qu’aucun projet n’a vu le jour : aucun contre-traité, aucune contre-proposition, que l’on aurait pu discuter. J’observe aussi qu’aucun des candidats à l’élection présidentielle n’a présenté de propositions alternatives. Par conséquent, je suis dans une situation où je dispose d’un texte et de la légitimité de mon Oui à ce texte. Un Oui tout aussi légitime et respectable que le Non de la France : En 2007, 18 pays ont voté pour le Oui, représentant les 2/3 de la population européenne. Je n’ai donc qu’une seule base de travail, le traité, et un rapport de forces favorable au Oui. Par ailleurs, une Europe amputée de la France est gravement blessée et peut être condamnée. Ce n’est pas mon intérêt ni celui de l’Europe. Négocions avec la France. Négocions sur les seules bases existantes, à savoir ce traité, mon obligation de respecter le Oui de mes concitoyens à ce traité, et l’absence de propositions de la France.
De mon point de vue d’Allemagne, il n’est donc pas question de modifier l’esprit et le fond d’un Traité, approuvé par les 2/3 des Européens, pour faire plaisir à une France qui n’a même pas présenté de projet alternatif. Je n’ai pas non plus de mandat pour infléchir un texte qui a été approuvé par un vote légitime de mon peuple ou de ses représentants. Je n’ai donc pas le droit de le faire, et le rapport de forces ne m’y incite pas. Un toilettage du texte suffira à sauver la face de chacun, en échange de l’assurance que la France votera ce "nouveau" texte ; c’est-à-dire en échange d’un vote au Parlement français. Ce qui fut fait à Lisbonne. Comme je suis magnanime, je laisse le nouveau petit coq français chanter une victoire qui n’est pas la sienne.
La vérité est que la France n’a pas eu les moyens ni la volonté de construire un autre projet. Aucun des candidats à l’élection présidentielle n’a proposé quoi que que ce soit dans ce sens. Elle s’est mise dans une position où elle n’a eu qu’à se soumettre ou se démettre.
Revenons en France :
- le candidat Sarkozy a clairement énoncé qu’il re-négocierait un Traité et le soumettrait au vote du Parlement. Il a été élu ;
- il a effectivement "re-négocié" le Traité suivant ces bases ;
- une majorité parlementaire a été également élue en approuvant cette proposition ;
- cela fait donc 2 votes au suffrage universel qui prennent en compte ces propositions clairement exposées ;
- le Parlement est légalement apte à ratifier ce Traité ;
- un vote par référendum est biaisé par des considérations extérieures à la question. Le référendum était aussi un référendum entre les anti-Chirac et les pro-Chirac. Un nouveau référendum serait également un référendum pro ou anti-Sarkozy. Mais un vote parlementaire est également biaisé, dans le sens où les parlementaires sont tout autant influencés par leur dépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et de ses moyens de coercition à travers les investitures et toute une gamme de moyens de pression. Le Parlement et ses quelques centaines de membres est plus facilement manipulable que le suffrage universel.
Face à cet état de fait, quelques arguments :
- la France a voté Non à 54,67 % lors du référendum du 29 mai 2005 ;
- le président comme les parlementaires sont élus par le suffrage universel, qui a donc une légitimité supérieure au vote indirect des parlementaires, puisque ce vote populaire en est la source ;
- on élit un candidat, comme une majorité, en tant que représentant d’un compromis acceptable, en tout cas le moins mauvais, de ce que l’on souhaiterait réellement. On n’élit pas pas un candidat, en bloc, avec toutes ses propositions. En ce sens, si Sarkozy a été élu, rien n’autorise à dire que sa proposition à propos du Traité européen est également majoritaire. La démocratie ne se limite pas au suffrage universel et elle s’exprime quotidiennement par les opinions et les manifestations d’opposition. Pour prendre un exemple historique, on se souvient que François Mitterand retira son projet d’étatisation de l’école privée face à des manifestations vigoureuses des partisans de l’école privée. Il comprit qu’il blessait gravement les convictions de ce qui n’était qu’une minorité politique et électorale, et qu’il outrepassait le mandat pour lequel il avait été élu. L’actualité montre que la question des régimes spéciaux se heurte également à une opposition vigoureuse (même si l’on peut contester les moyens). Un compromis sera trouvé entre un programme annoncé et la défense d’intérêts légitimes, qui exprimera le rapport de forces entre ces deux expressions démocratiques. On ne constate rien d’équivalent à propos du Traité européen ;
- un vote du Parlement, presque certainement positif, constitue en fait un déni démocratique face à un vote de type référendaire dont le résultat négatif est quasiment aussi certain
On peut se prêter au jeu stérile de refaire l’histoire.Le candidat Sarkozy aurait pu ne rien dire et re-négocier quand même : il aurait trahi ses électeurs.
Il pourrait re-soumettre au référendum un traité non-modifié (il n’a aucun moyen d’imposer un nouveau texte). Dans ce cas, il s’expose à coup sûr à un vote négatif. On ne met pas au référendum un texte dont on est presque certain qu’il sera refusé. Donc, il serait obligé de ne rien faire, ni référendum, ni autre expression légale. Il bloquerait délibérément l’Union européenne. Faute de solutions, l’Europe ne pourrait que se geler ou se déliter dans un processus où chacun reprend ses billes. Il n’est pas impossible aussi que l’Europe se disloque en blocs du Oui, du Non, d’intérêts divergents qui ne tarderaient pas se transformer en rivalités, pour ne pas dire pire. Qui peut prendre cette responsabilité ?
Le candidat Sarkozy a donc proposé la seule issue politiquement raisonnable, dont on ne se cachera pas qu’elle constitue une violation du vote référendaire du 29 mai 2005. Il prend acte de l’inaction de la France. Une France qui n’a pas été capable de proposer une autre solution à travers des candidats représentant une force visible et représentative aux élections présidentielles. Une force visible en France et un petit peu convaincante au niveau de l’Europe. Rien de tout cela n’a vu le jour.
Il prend acte de la supériorité de fait de l’Union européenne par rapport au vote référendaire du 29 mai.
Voilà un fait scandaleux, mais qui n’est pas vraiment nouveau. Pour en revenir à François Mitterand, on se souvient comment il fit abolir la peine de mort face à une opinion majoritairement opposée (et qui l’est peut-être encore). Qui le lui reproche ? La France est une et indivisible. Quel que soit un désir hypothétique des Corses ou des Bretons, un vote populaire pour leur retrait de la République serait considéré comme illégal.
La France du Non est minoritaire en Europe. Elle peut toujours sortir de l’Europe, mais elle n’a aucun moyen de modifier le contenu d’un texte qui a été approuvé par une majorité d’autres pays. Elle ne peut pas imposer une volonté qui n’est même pas exprimée clairement, et qui ne se traduit pas par une représentation politique identifiée. Elle a juste un pouvoir de blocage.
Il n’y a pas d’autres politiques possibles alors ? Si, mais deux seulement : sortir de l’Union européenne, ou se donner le mal de définir, de proposer et de convaincre nos partenaires qu’un autre texte est possible. On ne voit aujourd’hui pas l’ombre du commencement de ce type d’action. Un action qui, néanmoins, reste ouverte et possible avec l’approbation du Traité de Lisbonne qui ne constitue qu’une étape dans la construction européenne.
Démocratie contre Union européenne ? Oui. Les partisans d’un nouveau référendum doivent aller au bout de leur logique qui est un blocage et sans doute une désagrégation de l’Europe. Les partisans du vote parlementaire doivent aller au bout de leur logique qui est un forçage de l’expression du référendum. Ce forçage ayant été largement, mais pas totalement, validé par 2 élections successives. Les rapports de force comme le respect de l’expression démocratique des autres pays ne laissent pas de place à d’autres alternatives pour l’instant. Je soutiens le vote parlementaire. Le débat est ouvert.
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