Quand la Suisse commence à déraper
Il est des "oui" qui veulent dire non. Lors d'un référendum organisé ce dimanche, 50,3% des Suisses se sont prononcés en faveur d'une limitation de l'immigration, notamment européenne. Un séisme pour l'Union Européenne mais également pour la Confédération désormais coupée en deux entre la Suisse romande, ouverte, et la Suisse alémanique plus favorable au repli.
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Au cœur de l'Europe, les Suisses s'interrogent sur leur identité. Sur 8 036 917 habitants, la Suisse recense1 868 962 étrangers. L’immigration participe à 45 % de l'accroissement annuel de la population (1,1%). Enfin, un enfant sur quatre qui né dans le pays est étranger.
La conséquence classique, c'est la crainte d'un effacement, d'une dilution des valeurs et caractéristiques du pays. Ainsi, le référendum, lancé à l'initiative du parti UDC (droite populiste) visait à un rétablissement des quotas et de contingents et donc à ce que soit mis fin à l'accord de libre-circulation des personnes signé avec l'UE qui s'est traduit par une immigration massive d'Européens en Suisse.
Classique aussi dès qu'on parle d'Europe, malgré le front commun du patronat, des syndicats et de la quasi majorité des partis politiques qui avaient appelé à voter "non", le "oui" a obtenu la double majorité requise, soit la majorité des cantons et la majorité des électeurs.
Les futurs plafonds seront fixés dans les trois ans en fonction des "intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect de la préférence nationale". "Nous ne voulons pas fermer nos frontières, mais nous voulons les contrôler" a déclaré le vice-président de l'UDC, Claude-Alain Voiblet. Le Front national en avait rêvé, les Suisses l'ont fait.
Plus qu'une gifle, c'est un terrible camouflet pour l'Union Européenne dont la libre-circulation est l'une des pierres angulaires de sa construction.
A quelques mois des élections européennes, ce résultat va apporter un peu plus d'eau au moulin du discours eurosceptique Front national. Au-delà, c'est la mondialisation actuelle qui est rejetée. Un paradoxe car la Suisse est probablement l’un des pays les plus internationalisés au monde, et qui en tire le plus d'avantages économiques.
Ce vote confirme un peu plus la fracture grandissante chez les européens entre les élites et des populations inquiètes de l'évolution de leur environnement.
Pour le politologue suisse, Pascal Sciarini, "les villes où il y a le plus fort taux d'immigration ont voté contre l'initiative, tandis que les campagnes qui vivent sur le fantasme d'une immigration qu'elles ne voient pas nécessairement, ont voté oui. On est en présence d'un vote identitaire. Ils ont peur de voir disparaitre ce modèle helvétique. Le leader de l'UDC Christoph Blocher incarne cette idée d'une Suisse qui risque de se dissoudre dans l'Europe".
Le professeur à l'Université de Genève déclare ainsi dans les colonnes du quotidien Le Temps (Genève), "le vote de dimanche n'est pas un vote contre l'Europe mais bien contre l'immigration. La problématique de l'immigration se retrouve dans d'autres pays européens. C'est rendu visible en Suisse par le recours à la démocratie directe. Si on procédait au même vote dans d'autres pays, on risquerait d'avoir le même résultat. Jusque-là, notre démocratie directe est restée à l'abri des dérives populistes, mais ça commence à déraper".
Quand la Suisse commence à déraper, il y a de quoi être inquiet. Comme si dans sa décadence relative et son vieillissement, la vieille Europe faisait le choix suicidaire de ne plus être un acteur du monde mais un simple spectateur autocentré, replié, barricadé. Cette recherche d'une protection illusoire est vieille comme l'histoire. Aucun mur qu'il soit d'Hadrien, de Berlin ou de l'Atlantique n'a tenu dans le temps. Ils ont au plus marqué le début d'un compte à rebours.
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