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Retour sur la réalité grecque

Voici la première publication d'une série de trois articles, rédigés au cours de mes séjours en Grèce et en Irlande, pour la réalisation des Chroniques d'un hiver européen .

(premier article : http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/passage-a-athenes-le-choc-114322)

(Chroniques d'un hiver européen est une série de documentaire radiphoniques racontant la vie des citoyens de différents pays subissant "l'austérité" décidée par les institutions européennes. Trois épisodes sont déjà en ligne sur le site du projet : http://hivereuropeen.wordpress.com/ . Deux autres sont à venir.)

Dans ce deuxième article, je décrivai l'hiver denier mes impressions en rentrant de tois semaines de tournage documentaire à Athènes. C'était le 3 Janvier 2012.

Après trois semaines très intenses à Athènes, me voici de retour chez moi après des fêtes de fin d’année entre famille et amis, en Allemagne. Le contraste est étrange. La situation vécue à Athènes est tellement inédite qu’il est difficile d’en rendre compte à des gens vivant en dehors de ce contexte. J’ai eu la désagréable impression d’incommoder pas mal de monde en cherchant à rapporter ce que j’ai vu lors de mon voyage : on a plusieurs fois réagi comme si je déballais des drames sur la famine en Afrique ou le travail des enfants au Pakistan à un moment inopportun. On essaie de rapidement changer de sujet. Mais c’est peut être bien ce qui est en train de se passer : le drame social qui se déroule s’éloigne de la réalité des gens bien portants (financièrement), tant qu’ils le sont encore. C’est tout à fait compréhensible : qui voudrait gâcher sa vie en se préoccupant trop en avance d’une catastrophe potentielle, mais pas certaine ? Mais de mon point de vue, un changement notable est que l’appartenance à l’ensemble « union (monétaire) européenne » n’est plus synonyme de destin commun, comme ce fut le cas lors de ma vie étudiante en plein dans la « génération Erasmus ». Les sociétés qui font le plongeon de l’austérité sont observées d’un regard très lointain par celles qui sont encore du bon côté du précipice.

Mais si j’ai eu la désagréable impression d’être un trouble fête lors de mon retour, j’ai au moins acquis la conviction que ce travail pourra servir à quelque chose, au vu des regards abasourdis et incrédules des personnes qui m’ont laissé le temps de leur raconter quelques détails de ce que j’ai vu et entendu. Entendre ceci raconté directement de la bouche de ceux qui le vivent pourra difficilement laisser indifférent.

C’est exactement ce qu’il s’est passé au cours de l’année passée en Grèce. Tout le monde vous le dira là bas : il y a un an jour pour jour, on vivait encore dans le déni collectif de ce qui était en train d’arriver. Austérité, réduction du niveau de vie, menace d’une dégradation rapide de la société : tout était encore abstrait en Décembre 2010. Les statistiques montraient déjà l’évolution des choses, mais pour la majorité de la population, c’était encore dans des piles de journaux et de rapports que cette réalité se cachait, ou derrière l’écho lointain de personnes ayant déjà perdu leur emploi. Puis, au fil de l’année 2011, les menaces ce sont rapprochées du quotidien : ce sont des parents qui ne pouvaient plus payer leur loyer, des amis ayant perdu le tiers ou la moitié de leur salaire, un(e) conjoint(e) n’ayant pas été payé depuis six mois, un café apprécié ou la boulangerie du coin qui a fermé, des amis qui n’ont plus de chauffage dans leur immeuble, la voisine qui déménage à la campagne… Toute personne vivant en Grèce entend toutes ces histoires de première main. Chacun est menacé, tout le monde vit ces changements dans sa propre vie.

Et cela change complètement le regard sur les événements ayant lieu. Le mode de vie, les modèles de pensée, la confiance accordée à l’information classique, les idées établies, les plans de vie : tout vacille très vite. On parle en Grèce de « désillusionnement » généralisé. Le monde connu auparavant fait partie du passé, et les derniers espoirs d’un retour « à la normale » se sont évanouis les derniers mois. Et la nécessité de démarrer quelques chose de radicalement neuf très prochainement est maintenant une évidence pour une majorité.

En moins d’un an, on est passé de l’autre côté du miroir. En France ou en Allemagne, on perçoit cette étrange réalité depuis notre ancien univers bien connu. Comme c’était le cas en Grèce en 2009 ou en 2010. Et créer un lien tangible entre les deux univers n’est pas évident.

Chroniques d’un hiver européen

3 Janvier 2012

Dix jours après être revenu d’un séjour de trois semaines à Athènes

 

Image : Gerorge Laoutaris, Creative Commons BY-ND


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11 réactions à cet article    


  • Patrick Samba Patrick Samba 18 juin 2012 11:42

    Bonjour,

    « j’ai eu la désagréable impression d’être un trouble fête lors de mon retour »

    C’est ça vous troublez la fête. La fête, l’insouciance devenue dictature comme dirait Attali.

    Regardez l’écran autour de votre article : farniente devant une mer verte, des couples joyeux dont l’un jusqu’au bonheur, un sourire de belle femme qui vous regarde d’une manière qui ne vous laisse pas insensible, quand ce ne sont pas des petites culottes en défilé qui tentent de s’imposer à votre regard...
    Et dans le corps de votre article une femme déprimée au teint gris...
     
    Alors évidemment vous dérangez.
    Mais continuez, ce que vous racontez c’est tout autant la réalité, et sans doute un peu plus... 


    • Patrick Samba Patrick Samba 18 juin 2012 12:05

      Je n’y avais jamais porté attention et d’écrire mon commentaire précédent m’a permis de me rendre compte que les photos publicitaires changent tout le temps !!


    • Jean-Paul Foscarvel Jean-Paul Foscarvel 18 juin 2012 21:58

      Pour évacuer la pub, sur Mozilla :

      Lien

      ça marche !

      Finies les fifilles débiles qui vous proposent un prêt gratuit financé par la dette grecque.


    • kriké 18 juin 2012 11:45

      Beaucoup ont peur de la pauvreté


      • Le Yeti Le Yeti 18 juin 2012 12:16

        « Beaucoup ont peur de la pauvreté »

        C’est fait pour.
        Notre irrépressible cerveau reptilien se résume principalement à un mécanisme de fuite ou de recul stimulé par la peur.

      • Le Yeti Le Yeti 18 juin 2012 12:10

        " Austérité, réduction du niveau de vie, menace d’une dégradation rapide de la société : tout était encore abstrait en Décembre 2010. Les statistiques montraient déjà l’évolution des choses, mais pour la majorité de la population, c’était encore dans des piles de journaux et de rapports que cette réalité se cachait, ou derrière l’écho lointain de personnes ayant déjà perdu leur emploi. Puis, au fil de l’année 2011, les menaces ce sont rapprochées du quotidien : ce sont des parents qui ne pouvaient plus payer leur loyer, des amis ayant perdu le tiers ou la moitié de leur salaire, un(e) conjoint(e) n’ayant pas été payé depuis six mois, un café apprécié ou la boulangerie du coin qui a fermé, des amis qui n’ont plus de chauffage dans leur immeuble, la voisine qui déménage à la campagne…
        [ ...]
        On parle en Grèce de « désillusionnement » généralisé. Le monde connu auparavant fait partie du passé, et les derniers espoirs d’un retour « à la normale » se sont évanouis les derniers mois.
        « 

        Et pourtant ... Où est le changement ?

        Voici le verset qui m’a -et de loin- le plus frappé dans Les Révélations de St jean de Patmos (L’Apocalypse v9-20) :
         » Quant aux survivants de ces fléaux, ils ne renoncèrent même pas à leur façon d’agir, ils ne cessèrent d’adorer les démons et les idoles d’or, d’argent, de bronze, de pierre et de bois, bien incapables de regarder, d’écouter ou de marcher  ; (21) ils ne regrettèrent pas non plus leurs meurtres, leurs maléfices, leurs débauches ni leurs vols.« 

        NB : Je ne dis pas que ce texte biblique est fondé ! Je dis juste que le scénario a déjà été évoqué et ce avec une pertinence dérangeante. On ne peut donc pas dire que c’était »inimaginable".

        Et je vous rappelle que depuis 92, on ne parle plus de Grèce, de France ou autre mais d’UE ...

        Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et même une pendule arrêtée a raison deux fois par jour...


        • luluberlu luluberlu 18 juin 2012 13:30

          çà peut servir votre témoignage.


          • miha 18 juin 2012 17:24

            Et malgré tout ce que nos amis grecs subissent, on a réussi à leur faire croire qu’il fallait continuer dans la même voie : ils ont été encore trop nombreux à voter dans ce sens. (même Hollande leur a porté la « mauvaise » parole, sur leurs écrans de télé, avant le jour du scrutin).

            ND, PASOK (et LAOS) se sont unis pour former un gouvernement qui continuera à s’agenouiller devant la Troïka et à sacrifier sans vergogne l’intérêt du peuple.

            Pauvres Grecs ! Pauvres de nous qui allons subir la même descente aux enfers !

            Quand sortirons-nous de cette Europe-là ?


            • Zakari Zakari 20 juin 2012 13:13

              Merci pour ce partage. J’ai lu avec attention l’article précédent qui montre aussi la réalité sur le terrain. Comme vous le dites, le déni collectif est très présent dans certains pays tel que la France, ce qui se passe actuellement en Grèce arrive lentement mais surement vers les autres pays. Je pense qu’a ce moment, la désillusion sera brutale, les Français ne sont pas comme les Grecs.

              Les périodes difficiles comme en Grèce peut amener une ascension vers une société plus « prospère » , beaucoup de Grecs changent radicalement de vie, protestent et se réveillent.

               


              • Raymond SAMUEL paconform 24 juin 2012 17:07

                Une question principale est celle-ci : Quelles seront, lorsque surviendra l’échéance, nos compétences pour y faire face ?


                Allons-nous, en nombre suffisant, comprendre qu’il n’est plus possible d’exiger une feuille de paye et que le logement, la médecine, la nourriture etc...ne nous sont pas dus mais sont à fabriquer de nos mains au sens propre du mot, comme nous serons responsables de l’eau qui coule au robinet, de l’énergie qui sort de la prise de courant ?
                Saurons-nous oublier le TGV et l’avion ? 
                Serons-nous convaincus assez rapidement que la prospérité/surconsommation que nous avons vécue était une illusion, une anomalie inventée par la finance pour son propre usage et que ce mécanisme infernal est à bout de souffle et ne se renouvellera pas ?

                A plus ou moins brève échéance nous serons tous des Grecs.

                • alinea Alinea 24 juin 2012 22:27

                  J’ai la nette impression que les français ( en tout cas eux), porteraient plus d’intérêt aux grecs s’ils n’avaient pas la trouille que leur sort devienne le leur.
                  Il intéresserait beaucoup plus les allemands si ceux-ci ne s’en sentaient pas, partiellement du moins, responsables.
                  C’est le : « jusqu’ici, tout va bien ! »

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