TVA à 5,5% dans la restauration : parlons un langage vrai
Depuis des années, le sujet de la TVA réduite à 5,5 % dans la restauration française est un thème récurrent.
Le dossier est régulièrement porté à bout de bras par les présidents et les gouvernements français qui se succèdent comme s’il était des plus stratégiques.
Presque vingt ans d’inertie, c’est aussi un bon indicateur pour mesurer la réactivité et la vélocité du “système décisionnel européen” et de sa capacité à intervenir et à trancher.
C’est aussi et surtout un écran de fumée cache-misère, qui masque d’innombrables autres problèmes parfois plus sérieux, mais ayant moins de relais médiatiques.
Parlons un langage vrai.
- Est-ce qu’une TVA réduite dans la restauration va créer de l’emploi ?
J’affirme que non car les entreprises de restauration ont besoin de générer de la marge, je ne parle pas de profit ou de bénéfices, je parle simplement de marge. De quoi sécuriser leur activité et leur investissement. Par ailleurs, on sait qu’il n’y a pas de main-d’œuvre qualifiée, formée et motivée immédiatement disponible. Le contrat d’embauche de type CDI est pire que la peste aux yeux des patrons, et on ne peut pas leur donner tort en observant ce qui se passe dans les tribunaux prud’homaux. Qui peut conseiller aujourd’hui à un patron en le regardant droit dans les yeux “n’hésitez pas à embaucher du personnel au travers un contrat de type CDI, allez-y même les yeux fermés !” Et ce raisonnement n’est bien sûr pas valable uniquement dans le domaine de la restauration, hélas.
- Est-ce qu’une TVA réduite va favoriser la baisse des prix pour le consommateur ?
J’affirme là encore que non, puisque, pour les raisons évoquées ci-dessus, la priorité absolue désormais pour les entreprises de restauration, c’est la protection de la marge, surtout en période d’inflation. En aucun cas les prix ne vont baisser (en théorie, une note de 100 € taxée à 19,6 % devrait passer à 88,21 € taxée à 5,5 % soit une baisse de moins de 12 % sur le prix total pour le client final). Dans la réalité concrète, les prix n’évolueront quasiment pas à la baisse, ou en tout cas de manière très insignifiante dans la majorité des restaurants. Quelque temps après la baisse de TVA dans la restauration, j’explique déjà que les prix continueront même à progresser, encore plus vite. La mécanique est très simple. Aujourd’hui, un restaurateur a d’énormes problèmes de conscience lorsqu’il augmente son prix car il sait qu’avec une TVA à presque 20 %, l’impact sur le tarif client est immédiatement ressenti. Demain, avec une TVA réduite à 5,5 % il n’y a plus de problème de conscience, et l’augmentation de prix est d’autant plus facile à appliquer.
Pire. Je vois un autre problème, jamais soulevé, à destination des entreprises. En effet, une grosse partie du marché de la restauration concerne les professionnels qui fréquentent les restaurants et récupèrent la TVA sur les notes. Aujourd’hui, sur une note de 100 €, l’entreprise récupère 16,39 € de TVA et voit sa charge passer à 83,61 € alors que demain, si l’on considère que globalement les prix ne baisseront pas, l’entreprise verra sa charge passer à 94,78 €, soit une hausse de plus de 13 %. Comment réagiront les entreprises qui envoient leur personnel prendre leurs repas dans les restaurants ? Elles augmenteront les prix de leurs produits, pour protéger leur propre rentabilité, une fois de plus.
- Est-ce que la TVA réduite est juste pour un restaurateur français ?
Évidemment que oui, car une majorité de pays en Europe pratiquent déjà la TVA réduite inférieure bien souvent à 10 %, voire super-réduite à 3 % (non vous ne rêvez pas) : privilège du Luxembourg. Ces différences fiscales ne sont pratiquement jamais évoquées sur la place publique et elle ne semblent pas passionner le débat. Pourtant, qui peut défendre ces injustices, l’Europe argumente depuis toujours en expliquant que c’est pour “préserver la fiscalité initiale des pays concernés au moment de leur intégration à l’Europe”. Totalement idiot comme raisonnement, puisque l’objectif absolu en Europe devrait être l’uniformisation rapide et cohérente du système fiscal sur le marché intérieur, pourquoi pas branche par branche.
- Est-ce que la TVA réduite dans la restauration aura un impact sur le marché intérieur ?
Objectivement oui, un impact énorme même, surtout dans les larges zones frontalières où la concurrence est très inégale et injuste, puisqu’il peut favoriser l’égalisation et l’équilibre concurrentiel. C’est justement dans ces zones frontalières où l’Europe prend tout son sens, puisque c’est là que la mixité et le brassage des peuples d’Europe se pratique, et où tout peut se comparer très facilement. L’idéal serait qu’en France, comme au Luxembourg par exemple, à qualité égale, le prix d’un repas soit globalement le même et que surtout l’entrepreneur, le patron du restaurant, qu’il soit Français ou Luxembourgeois, puisse vivre dignement et tirer avantage de son investissement coûteux et risqué, de manière acceptable.
- Est-ce que la TVA réduite dans la restauration est juste par rapport aux autres métiers ?
Je suis convaincu que non, et pire, cela va forcément générer des convoitises sur le plan national, et même sur le marché intérieur. On peut même raisonner plus globalement : pourquoi tel métier mérite une TVA à 5,5 % alors que tel autre mériterait une TVA normale à 19,6 % ? Ou encore, pourquoi tel métier mérite une TVA réduite dans tel pays, et le même métier une TVA normale dans tel autre pays au sein de l’Europe ?
Le traitement égalitaire, la justice et l’équilibre fiscal restent plus que jamais une problématique centrale en Europe.
Alors oui pour un taux super-réduit à 3 % dans la restauration, partout en Europe...
Olivier RIMMEL
Analyses & Stratégies
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