Une autre Europe : en a-t-on seulement besoin ?

Le point sur le constat ne portait pas trop à débat. Il est assez largement partagé par les alternatifs. Mais il y a une question plus délicate : celle de l’utilité de l’Europe. Certains commencent à douter de l’idée d’Europe même, qu’ils remettent totalement en question.
Le mythe de l’impuissance des nations
C’est une des réussites de l’entreprise de démolition des Etats-nations que d’avoir fait passer le message que le monde était désormais trop vaste pour nos petites nations. Beaucoup de nos compatriotes ont fini par accepter cette théorie qui conduit inéluctablement au besoin d’Europe pour pouvoir agir sur notre destin. Pourtant, comme le soutient Frédéric Lordon « en appeler au gouvernement mondial est le plus sûr moyen d’avoir la paix –entendre – pas de gouvernement du tout ».
On le voit de plus en plus, ce n’est pas le transfert du pouvoir vers de grands ensembles supranationaux qui permet une quelconque prise des citoyens sur leur vie. Au contraire, ce transfert organise leur absence d’influence sur le cours des choses. En réalité, les Etats-nations restent clairement le meilleur moyen pour les peuples d’agir sur leur destin, mais à la condition fondamentale de garder des frontières, qui leur permettent alors de garder une autonomie politique.
Par exemple, lors de la crise asiatique des années 90, la Malaisie a choisi de restaurer un contrôle des mouvements de capitaux contre l’avis du FMI. Cela lui a permis d’éviter la potion amère imposée par le Fonds aux autres pays et d’éviter un désastre économique, tout comme la Chine qui n’avait pas (et n’a toujours pas) levé toutes les restrictions aux mouvements de capitaux. Enfin, la Corée du Sud maintient des barrières assurant que 95% des voitures vendues sont produites localement.
Les cas de la Malaisie et de la Corée du Sud sont intéressants car il s’agit de pays nettement moins riches que la France, ce qui montre qu’il est parfaitement possible, encore aujourd’hui, y compris pour des pays bien intégrés dans l’économie mondiale, de mener des politiques autonomes. Mais cela est rendu possible par l’existence de frontières car il est évident qu’en abandonnant tout frontière (commerciale, humaine ou financière), alors l’Etat perd une grande partie de sa capacité d’action.
L’apport de l’Europe
Mais malgré tout, l’Europe peut apporter quelque chose à la France. En effet, plusieurs centaines de millions d’habitants pèseront toujours un peu plus que soixante-cinq, à la condition bien sûr que le grand ensemble aille dans la même direction et repose sur une véritable légitimité. Aujourd’hui, s’il serait possible d’introduire une taxe Tobin en France en restreignant les mouvements de capitaux à nos frontières du fait du montant élevé de l’épargne des Français, la finance européenne s’en remettrait.
En revanche, si la France arrivait à monter une Zone Européenne Financière avec l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne, alors, c’est bien la face de la finance européenne et possiblement mondiale qui serait transformée. Bien sûr, cela ne se fera jamais avec la construction européenne telle qu’elle est conçue aujourd’hui, mais l’échelle européenne apporte une possibilité d’action supplémentaire. De même, si nous voulions créer un successeur au Concorde, l’hexagone serait peut-être un peu limité.
D’un point de vue commercial, la France peut, seule, introduire de nombreux éléments protectionnistes à travers la fiscalité (TVA sociale, taxe verte…). D’un point de vue monétaire, en reprenant notre autonomie, nous pourrions également recourir à la monétisation et mener une politique conforme à nos intérêts. Mais, là encore, la coordination européenne (dans une forme radicalement différente, j’y reviendrai demain) nous permettrait sans doute d’aller plus loin.
En effet, on peut imaginer qu’il ne serait possible qu’à l’échelle du continent de revenir à des parités fixes par rapport aux grandes monnaies internationales alors que la France seule aurait du mal à le faire pour le franc. L’Europe est aussi le bon échelon pour mettre fin au privilège du dollar. De même, la mise en place d’un protectionnisme régional prenant en compte les différences salariales, si elle n’est pas impossible à l’échelle nationale, serait sans doute plus facile à une échelle continentale.
Bref, si je crois qu’aujourd’hui, pour peu que la France rétablisse ses frontières, notre pays a encore une immense capacité d’action sur son destin, je pense que l’échelle européenne peut encore nous apporter une possibilité d’action supplémentaire et qu’en cela, nous avons besoin de l’Europe.
Je reviendrai demain sur l’architecture institutionnelle de cette nouvelle Europe.
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