Législatives : David s’attaque à Goliath à Rueil
Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, le succès ou la survie du projet de François Bayrou dépendra du troisième tour : l’élection législative de juin prochain. Avec 27 députés, contre 366 à l’UMP, le groupe UDF actuel fait figure de nain, malgré sa pugnacité. Ses candidats, qu’ils soient sous l’étiquette UDF ou sous celle d’un nouveau grand parti démocrate qu’appelle de ses vœux François Bayrou, devront donc gagner impérativement de nombreuses circonscriptions, notamment au détriment de l’UMP actuelle. L’exemple de Rueil-Malmaison illustre ce défi.
Patrick Ollier est inquiet. Pourtant, en ce mercredi 7 mars 2007, il a toutes les raisons de se réjouir : il vient d’être élu président de l’Assemblée nationale ! Titre honorifique et position éphémère puisque l’Assemblée ne siège plus, et qu’il s’agit simplement d’expédier les affaires courantes jusqu’à la prochaine élection de juin prochain. Reconnaissance néanmoins d’un long parcours sans faute pour cet homme, qui a gravi patiemment les échelons du RPR puis de l’UMP, et qui a toujours su se placer dans le sillage des puissants sans faire de vagues. L’actuel député-maire de Rueil-Malmaison, ville agréable des Hauts-de-Seine de près de 80 000 habitants a ainsi pris la succession du gaulliste historique qu’était Jacques Baumel, d’abord comme député en 2001, puis comme maire à mi-mandat de ce dernier. Il est ensuite devenu le puissant président de la Commission des affaires économiques de l’assemblée, s’illustrant notamment dans la défense des projets de privatisation des autoroutes ou de Gaz de France et du CPE, avant donc cette consécration du 7 mars.
Pourtant, la fête est gâchée. Car le cauchemar de Patrick Ollier a un double visage : l’un s’appelle François Bayrou, et l’autre André Cros. En ce 7 mars, Patrick Ollier a probablement en main les résultats du sondage CSA qui paraîtront le lendemain : François Bayrou, à 24%, talonne Ségolène Royal à 25% et surtout Nicolas Sarkozy à 26% d’intentions de vote. Pire, Bayrou écraserait Sarkozy au second tour, 55-45, et l’éventuelle victoire du candidat UMP sur sa rivale PS au second tour 54-46 n’est pas pour autant rassurante, tant elle risque d’inciter les électeurs de gauche à choisir Bayrou au premier tour. Crime de lèse-UMP donc ! Comment ce Béarnais à peine dégrossi peut-il menacer ainsi un plan de carrière si bien huilé ?
Quant à André Cros, ne le cherchez pas dans le Who’s who ! Le candidat UDF qui ose se présenter contre Patrick Ollier dans cette septième circonscription des Hauts-de-Seine (qui regroupe, outre Rueil-Mailmaison, Saint-Cloud et Garches, deux autres villes solidement aux mains de l’UMP) n’est pas le genre à fréquenter les dîners mondains. La soixantaine, ce fils de paysans du Lot a une étrange ressemblance avec le patron de l’UDF : solide, direct, chaleureux mais simple et fuyant les salons feutrés au profit du terrain, pas étonnant qu’il inquiète Patrick Ollier. D’autant que s’il est un parfait inconnu au plan national, André Cros s’est taillé une exceptionnelle réputation à Rueil : conseiller municipal puis maire-adjoint aux affaires économiques depuis l’arrivée de Jacques Baumel en 1973, il est à l’origine de l’extraordinaire succès économique de la ville. Président d’une petite PME jusqu’il y a quelques années, André Cros connaît son affaire : des dizaines de grands groupes internationaux, des centaines d’entreprises attirées et créées, notamment grâce à un système précurseur d’aide à la création, et les quelque 40 millions d’euros de taxe professionnelle annuelle, c’est lui ! Les 37 000 emplois de la ville, un taux de chômage de deux pour cent sous le taux national, encore lui. Depuis qu’il a en charge l’emploi, une charge arrachée en 2004, il a ainsi mis en place un système de mise en relation entre employeurs et demandeurs d’emploi de la ville qui a connu un succès foudroyant.
Mais s’il est ainsi estimé par les Rueillois, André Cros demeure largement inconnu des habitants des communes voisines. Qu’est-ce qui a donc pu inciter ce simple maire-adjoint à défier l’un des plus puissants barons du parti gaulliste ? La première réponse tient d’abord dans la situation quasi désespérée de l’UDF. Le financement des partis politique est largement lié au nombre de voix recueillies aux élections législatives. Une raison pour laquelle l’UDF avait prévu dès 2006 de présenter un candidat dans chaque circonscription. Celle de Rueil-Malmaison, riche en cadres et professions intellectuelles, donnant des scores pour l’UDF assez proches de ceux de l’UMP dans tous les scrutins nationaux, il était impensable de ne pas avoir de candidat, ni de ne pas présenter celui ayant le meilleur potentiel électoral. Approché en novembre 2006, André Cros donnait ainsi une réponse positive début 2007, alors que les sondages n’indiquaient François Bayrou qu’à 10% d’intentions de vote. Mais André Cros partage avec François Bayrou une autre caractéristique : l’obstination. Celui qui ne s’est jamais couché devant Jacques Baumel, défendant avec âpreté ses prérogatives et son appartenance à une UDF minoritaire, n’allait pas se laisser intimider par quelques menaces voilées de l’autre camp. Et si quelques personnalités locales de l’UDF, comme le premier adjoint de Rueil, François Leclec’h, prenaient prudemment leurs distances en refusant de le soutenir, d’autres, dont plusieurs élus et de nombreux militants, souvent arrivés récemment à la politique, lui offraient un soutien enthousiaste.
Tout aurait pu en rester là, avec une victoire de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle, un raz-de-marée UMP aux législatives, et un candidat UDF renvoyé à ses affaires municipales avec un score honorable. Et puis est arrivé la surprise de cette élection. La rencontre d’un homme, François Bayrou, avec l’aspiration des Français pour une autre politique. Il suffisait de regarder les militants UDF distribuer leurs tracts sur le marché le week-end dernier pour comprendre : reconnaissables à leur sourire-banane, la dizaine de jeunes et moins jeunes UDF n’avaient pas besoin d’alpaguer le client... le client venait à eux. Les militants PS qui vendaient du Ségolène Royal avaient moins de succès. Quant à l’UMP, pas une trace à l’horizon...
Etrange alchimie que celle qui se forme entre un homme, un projet et un peuple. Peut-être de la part de citoyens si longtemps déçus, méprisés ou oubliés, un dernier sursaut, un dernier espoir, comme si après avoir essayé alternativement le PS, l’UMP, le vote extrême, il ne restait plus que cette dernière solution, non pas celle du « ni-ni » mais celle du « et-et », tous ensemble, avant l’explosion.
Pour le député-maire de Rueil-Malmaison, l’inquiétude est donc là, persistante, croissante, au point, selon certaines sources, d’aller quémander auprès du président du groupe UDF à l’Assemblée, Hervé Morin, le retrait du candidat André Cros, au nom de quelques vagues faveurs ou sentiments.
Pour le candidat de l’UDF, l’heure est à la surprise, à l’inattendu, aux coups bas qui ne manqueront pas d’arriver, à la défense d’un projet trop novateur pour être encore perçu comme crédible par les vieux routards de la politique.
Pour l’électeur, c’est encore l’incertitude qui domine, le partage entre raison et passion, passé et futur, un choix complexe, déterminant, mais avec ce souhait profond de changement.
Mais une chose est sûre, en ce début mars 2007, la peur a changé de camp, l’espoir aussi.
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