Paris : Pourquoi ce meurtre d’un arbre souverain ?
Eric Donfu regrette l’abattage du Saule pleureur centenaire et monumental de l’Ile Saint Louis. L’auteur rend hommage à un arbre-personnalité qui faisait partie du paysage parisien depuis plus d’un siècle et qui ne peut partir sans un bruit. Pour Eric Donfu, la mairie de Paris doit s’expliquer sur les raisons qui ont conduit à sa disparition, il y a quelques jours.
Ce soir, j’ai le sentiment curieux d’avoir perdu un ami. J’ai vu, ou plutôt j’ai aperçu tant l’image me faisait mal, son tronc tailladé à un mètre de hauteur, entouré de copeaux de bois, devant la petite pancarte « saule pleureur ». Quelques fleurs roses avaient été jetées sur son cadavre, touchant et dérisoire hommage humain à un géant abattu.
Comme tant et tant de fois, ce dimanche soir, avec cette belle lumière d’après la pluie, je m’apprêtais à le saluer, d’un regard, d’une pensée. Saluer un arbre souverain, avec un tronc large et rainé, des branches gigantesques, et de longues tiges feuillues caressant la seine en lui indiquant le vent. Oui, complice des flots comme des tours de Notre Dame, là, il était à la dimension des lieux. Et quelle dimension ! Cet arbre était le seul être vivant de la pointe de l’Ile de la Cité capable de répondre au monuments . C’était un arbre monument.
Après avoir vu ses restes, j’ai eu des larmes rentrées. C’est drôle, je n’avais jamais pensé pleurer pour en saule pleureur. Mais il avait une vraie place dans mon cœur, ne serait-ce que par sa présence. Et je sais que ce sentiment doit être très largement partagé. Imaginez, un Saule Pleureur centenaire – et sans doute pluri-centenaire – planté là, au bout de l’ile de la Cité, sur le chemin de l’ile saint louis quand on vient de la rive gauche, et ouvrant la voie quand on traverse le pont dans l’autre sens. Sa taille ? Sans doute une quinzaine si ce n’est une vingtaine de mètres de haut, et le diamètre de son tronc, plus de deux mètres. Oui, seul et calme, il était un seigneur, toujours vert à chaque printemps, avec ses branches infinies qui dansaient dans le vent le long du quai.
Depuis plus de vingt ans que je fais ce trajet avec plaisir, ces deux ponts, je l’ai toujours cru plus fort que tout. Il a résisté à la cru de 1910, à la tempête de 1999, mais il aura donc succombé à une décision des espaces verts de la ville de Paris, pourquoi ?
Le saule pleureur (Salix babylonica) , importé de Chine au XVIIe siècle, cher à des auteurs comme Alfred de Musset, aime les bords de rivières. Et notre arbre était en pleine forme il y a quelques semaines, je peux en témoigner. J’imagine que ce meurtre – appelons les choses par leur nom s’agissant d’un être vivant – a dû être commis par surprise, un matin tôt, en début de vacances. Car s’il y avait eu un débat, s’il avait par exemple fallu voter des crédit pour consolider le quai par exemple – car j’imagine la puissance de ses racines - et bien je suis sûr qu’il serait encore là aujourd’hui, car je suis sûr que cet arbre était aimé. Une bataille se serait peut-être engagée, mais jamais il ne serait tombé comme cela. Ce soir, il n’y avait rien, juste un cadavre, sans un mot d’explication, juste quelques fleurs, et ce grand, ce très grand vide autour.
Oui, je suis triste, car je sais que ce lieu qui est un des plus beaux de Paris ne sera jamais plus le même sans lui. Plus jamais je n’observerai son bourgeonnement, cette petite couleur verte sur des branches nues qui, progressivement, produisaient de l’ombre verte avec ses feuilles douces et toujours fraiches. Il n’était pas seulement imposant et puissant, mais plein, de sagesse, celle qui fait monter la sève au ciel, celle qui plonge ses racines dans le sol, avec un ancrage plus fort que le temps, et pourtant si vivant, une promesse de vie éternelle. Si les arbres ont une personnalité, alors oui, les saules pleureurs sont des arbres romantiques. Et lui était le plus grand, le plus beau des Saules pleureurs, heureux d’être là, souverain, sur un quai exposé à tous les temps, voyant sans être vu toutes les époques, l’occupation et la libération de paris, le 21ème siècle après le 19ème siècle, des générations de parisiens et de parisiennes, et combien de déclarations d’amour sous son ombre ?
Sa disparition brutale nous rappelle que les plantes, et les arbres, sont des êtres vivants, avec leur ADN végétale. Bien-sûr, ils et elles ne protestent jamais et ne bougent jamais, mais ils vivent, et sont sensibles à leur environnement. Peut-être que cet arbre avait cru trop vite devenir millénaire, peut-être ne le pouvait-il pas et que sa chute était inéluctable ? Je pense qu’un minimum d’explications s’impose de la part de la Mairie de Paris, à qui je les demande. J’espère surtout qu’aucune personnalité influente résidant dans l’Ile Saint-Louis n’a eu la criminelle idée de « dégager » sa vue… Mais de toute façon, rien ne pourra le faire revenir, ni le remplacer.
Alors, si, comme les humains, un arbre doit naître, grandir, vivre et mourir, ayons une pensée pour cet arbre. Cela peut vous sembler curieux, mais je vous assure que la population de la Seine, les riverains mais aussi les bateliers, les pompiers ou les plaisanciers habitués ont dû sentir comme un vide.
Mais, plutôt que de l’imaginer chancelant et chutant – cela n’a pas du être facile de l’abattre- je préfère l’imaginer s’envoilant. Et cette fois, plus haut, bien plus haut que les tours de Notre Dame. Alors, adieu ami arbre, et bon envol dans la mémoire de tous.
Eric DONFU
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