350 000 Algériens immigrés clandestins en France ?
L’ambassadeur de France, M. Bernard Bajolet, a déclaré que les immigrés algériens en situation irrégulière seraient environ de 350 000 personnes. C’est une estimation inédite et qui vient bousculer tous les chiffres avancés par les uns et les autres.
Vrai chiffre ou arme de dissuasion massive ?
La déclaration de l’ambassadeur de France en Algérie sur le nombre des immigrés algériens en situation irrégulière en France, rapportée par le quotidien El Watan, dans son édition du 11 juin est, de toute évidence, à marquer d’une pierre blanche. A plus d’un titre ! L’ambassadeur, M. Bernard Bajolet, a en effet annoncé, en substance, que 350 000 Algériens environ vivent actuellement en situation irrégulière en France. Le terme "environ" n’enlève rien à l’importance du chiffre et n’a été probablement précisé que pour laisser une étroite marge d’estimation puisqu’il n’est question ni de 300 000 ni de 400 000 ni d’une fourchette qui se situerait entre les deux, mais bien d’un chiffre précis. Il est donc permis de penser qu’en l’absence d’une estimation qui se situerait entre un chiffre et un autre, l’ambassadeur s’est voulu concis, ne laissant planer presque aucun doute si ce n’est celui de cet "environ" qui ne pourrait, en l’occurrence, ne concerner quelques milliers de cas. Il est utile de préciser, par ailleurs, que ni l’ambassade ni une quelconque instance de l’Etat français n’a apporté de démenti ou de rectificatif à cette déclaration.
Même le Front national...
Pourtant, très étrangement, ce chiffre qui aurait dû avoir l’effet d’une bombe, n’a pas suscité de réactions notables, y compris de l’extrême droite française. Cette question des statistiques sur le nombre des immigrés clandestins en France est pourtant l’une des préoccupations majeures de la population française, le principal cheval de bataille de l’extrême droite et même, d’une façon plus ampoulée, de toute la droite. La déclaration de l’ambassadeur vient donc, sans plus de remous, de pulvériser toutes les records des estimations, jusqu’aux plus farfelues d’entre elles, y compris celles du Front national, qui avait tenté en vain, avec toute l’exagération et l’alarmisme qui le distinguent de faire accréditer le chiffre de 400 000 immigrés clandestins sur le sol français, toutes origines confondues. La seule estimation officielle du nombre probable des immigrés clandestins sur le sol français, très approximative, a été faite en mai 2005 par Dominique De Villepin, alors alors ministre de l’Intérieur qui avait parlé de 200 000 à 400 000 clandestins, en prenant soin d’exclure catégoriquement que cette estimation puisse être discutée à la hausse. La fourchette d’évaluation, large de 200 000 personnes, permettait de naviguer entre le minimum et le maximum d’un chiffre qui ne pouvait être qu’approximatif, puisqu’il s’agissait de clandestins, donc des personnes difficiles à cerner et qui échappent, de par leur situation même, à tout contrôle et à toute statistique fondée sur des données fiables.
Un ambassadeur considéré comme un initié des affaires franco-algériennes...
Or, voici qu’une personnalité française de premier plan, l’ambassadeur de France en Algérie, fin diplomate, connu pour son sens de la mesure autant, il faut le dire, que pour un franc parler qui a séduit les Algériens, qui a exercé des fonctions éminentes dont celle de directeur adjoint pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, mais aussi, il y a quelques années, celle de premier secrétaire à l’ambassade France en Algérie, ce qui fait de lui un initié des affaires algéro-françaises, et dont il ne viendrait à l’idée de personne de lui imputer une quelconque légèreté, vient donc, à un moment qui ne peut être fortuit puisqu’il précède de quelques jours la visite du chef de l’Etat français en Algérie, de jeter un si gros pavé dans la mare en déclarant posément que les immigrés clandestins en France, originaires de la seule Algérie, atteignent ou dépassent le chiffre de 350 000 personnes. C’est dire, en partant de ce constat chiffré, en spéculant un tant soit peu logiquement et en extrapolant sur les immigrés de toutes origines en situation irrégulière en France, dont la représentation est la plus visible, comme celle des autres pays du Maghreb, de l’Afrique sub-saharienne, de Chine et d’autres pays asiatiques, que le chiffre global de tous les sans-papiers doit dépasser allègrement la barre du million. Ceci en restant très prudent, puisqu’on partirait du postulat que les clandestins algériens représenteraient, à eux seuls, plus que le tiers de tous les sans-papiers de France. Or, selon toute vraisemblance, il n’y a aucun doute que les clandestins algériens ne représentent pas plus que le dixième de tous les sans-papiers de France. Auquel cas, s’ils sont au nombre de 350 000, le chiffre global de tous les immigrés en situation irrégulière sur le sol françis serait posément inenvisageable.
Pourquoi l’annonce d’une telle estimation ?
Ce chiffre de 350 000 étant très peu probable, on en vient à la question de savoir pourquoi ce grand diplomate, rompu aux relations très mouvementées de son pays avec l’Algérie, en serait-il venu à faire un tel constat. On en vient aussi, si tant est que cette déclaration a été intempestive, qu’elle a été mal comprise par le journaliste, ou qu’elle a été sortie d’un contexte statistique plus large, à se demander pourquoi l’ambassade ou d’autres responsables de l’Etat français n’ont pas démenti, ou du moins corrigé. L’ambassadeur persiste et signe. L’Etat français ne le contredit pas et l’Etat algérien fait mine de regarder ailleurs.
La France au secours de l’Algérie pendant les événements kabyles de 2001
Monsieur Bajolet s’est-il inspiré, pour une telle évaluation, sur des statistiques de l’ambassade, notamment sur le nombre des personnes ayant bénéficié d’un visa de séjour en France et qui n’ont plus quitté l’Hexagone ? Depuis quelle date ? Même si cela a été le cas, l’ambassadeur n’est pas sans ignorer qu’un nombre relativement élevé parmi ceux-ci a été régularisé. Tout comme il doit savoir que la France avait répondu favorablement à l’appel du pied du pouvoir algérien pendant les événements de Kabylie en 2001. A cette époque la Kabylie était en proie à de graves convulsions. Au bord de l’explosion généralisée. La confrontation avec le régime avait fait de nombreux morts et plusieurs centaines de blessés parmi les jeunes protestataires. Jamais, depuis l’indépendance du pays la situation en Kabylie n’a été aussi grave, aussi exacerbée. Sans aucune issue qui ne soit suicidaire pour le régime. Des signes d’extension de la crise faisaient leur apparition dans tout le reste du pays où des manifestations de jeunes éclataient spontanément. C’est alors, comme par un heureux hasard, que de nombreux jeunes Kabyles, plus de 100 000, purent obtenir leur visa pour la France. En l’espace de quelques mois. L’Algérie venait d’être délestée comme par miracle des jeunes parmi les plus frondeurs de la population kabyle. Privée de ses "trublions" les plus déterminés à en découdre, la révolte kabyle se dégonfla presque du jour au lendemain. Un grand nombre de ces "exfiltrés" de l’"amitié" françalgérienne fut régularisé. Ceux qui arrivèrent plus tard, à partir de 2003 et dont le nombre avoisinerait les 40 000 ont été déboutés. Une majorité d’entre eux ont rejoint les cohortes des sans-papiers. Ils représentent, à n’en pas douter, la proportion la plus importante des immigrés algériens en situation irrégulière. La moitié ou plus ! Une lecture des statistiques de l’OFPRA et de la commission de recours le montre assez clairement.
Les "Harragas" algériens sont très rares en France...
Il faut savoir, par ailleurs, que le nombre des immigrés clandestins algériens qui se sont introduit en France sans document de voyage, c’est-à-dire ceux qu’il est très difficile de quantifier, sont tres rares. Quelques centaines au plus ! Contrairement à leurs voisins marocains, dont la proximité avec les côtes espagnoles leur permet d’accoster en Europe via le détroit de Gibraltar. Les rares tentatives des Algériens candidats à l’émigration clandestine, les fameux "Harragas" qui tentent leur chance depuis les côtes algériennes et à destination du sud de la Sardaigne, de la Sicile ou de l’île de Lampedusa, à bord de fragiles esquifs se sont presque toutes mal terminées. Presque tous ces jeunes désespérés, dont les pathétiques tentatives ont été très médiatisées par la presse algérienne pour toute la détresse de la jeunesse algérienne qui s’exprime par ces évasions suicidaires de la mal vie et de la misère, ont été interceptés par les garde-côtes algériens ou rarement par les carabiniers italiens. Ceux qui ont réussi à franchir la méditerranée sans document de voyage et donc sans visa se trouvent plutôt en Italie qu’en France. Encore que la totalité de ceux-ci, presque tous interceptés par les carabiniers sur le sol italien, et donc identifiés et repertoriés, ne représentent quelques centaines.
La seule façon, par conséquent, d’évaluer d’une façon sérieuse le nombre des immigrés clandestins algériens en France se trouve dans le nombre de ceux qui ne sont pas revenus en Algérie après l’expiration de leur visa. Mais encore faut-il, ce qui n’est pas le cas, que l’ambassade de France en Algérie puisse disposer des statistiques françaises de tous ceux qui ont été régularisés, d’une façon ou d’une autre, qui ne sont donc plus des immigrés clandestins et dont beaucoup sont même devenus Français.
Baliser la visite de Sarkosy ?
Au regard de tout ce qui précède, il semble donc très peu probable que le nombre des clandestins algériens puisse avoisiner les 350 000 personnes. Voire même qu’il soit du tiers de ce chiffre ! Alors pourquoi l’ambassadeur de France a-t-il asséné une telle statistique ? Cela aurait-il un rapport avec la prochaine visite du chef de l’Etat français en Algérie ? Cherche-t-on à influer sur ce qui n’est rien d’autre qu’un rapport de forces ? A infléchir l’intransigeance des partenaires algériens qui campent opiniatrement sur leurs positions ? Serait-ce, en l’occurence, une sorte d’arme de dissuasion massive ? A l’occasion d’une visite très attendue de part et d’autre, où trois sujets parmi plusieurs tout aussi importants vont être abordés, comme celui du gaz algérien qui avoisine les 16 % des importations françaises en gaz, celui de l’Union méditerranéenne qui représente pour le président Sarkozy une future ligne force dans ses projets de politique extérieure et celui de la repentance de la France qui est devenu l’obstacle où viennent buter les meilleures volontés de part et d’autre. C’est, selon toute vraisemblance, l’explication la plus lisible de cette fracassante déclaration. Car si ce chiffre venait à être confirmé, voire seulement admis comme tel par le pouvoir algérien, cela voudrait dire que le chef d’Etat français dispose d’un atout décisif qui pourrait déstabiliser, jusqu’à un point difficile à imaginer, le pouvoir algérien. Une épée de Damoclès entre les mains du nouveau chef d’Etat français. On se laisse, en effet, aller à imaginer ce que pourrait être la situation en Algérie, qui est déjà au bord de l’explosion, si un grand nombre de jeunes algériens, qui ont tout risqué pour fuir leur pays, se trouvaient contraints à un retour forcé et massif dans ce qui est, pour eux, l’enfer qu’ils croyaient ne plus revoir. Mais pourquoi, même dans ce cas, avoir gonflé à outrance un chiffre qui de toute façon reste décisif ? Le pouvoir algérien sait très bien, de toute façon, qu’en expulsant vers l’Algérie ne serait-ce que le quart de tous ceux qui sont en situation irrégulière en France, la France provoquerait un cataclysme, dans une Algérie où il ne manque plus qu’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Mais le pouvoir algérien sait aussi, car il est loin d’être dupe, que la menace de recourir à une telle extrémité n’a aucune chance d’être mise en pratique. A moins d’une situation de confrontation extrême, ce qui est inenvisageable en l’état de la situation. La France ne dispose ni des moyens ni d’une quelconque latitude politique et encore moins morale, pour pouvoir mener une politique intense et contenue dans un temps relativement court d’expulsions massives d’immigrés clandestins vers leur pays d’origine. Alors, pourquoi cette estimation officielle des Algériens en situation irrégulière en France ? Pourquoi maintenant ? Quelles seront les positions de la France et de l’Algérie sur cette déclaration de l’ambassadeur de France ?
D.B
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