Après l’Egypte le Qatar et l’Inde, le Rafale armera-t-il la Suisse ?
Après le rejet du Gripen, les Suisses ont annoncé qu'ils étaient sur le point de choisir un nouveau chasseur pour leur armée de l'air. Le Rafale marque des points sur le plan militaire... Mais il pourrait décrocher face au F35 pour des raisons diplomatiques.
En 2011, à la suite d’une évaluation des différents chasseurs (Eurofighter (Typhoon), Gripen et Rafale), les Suisses avaient choisi - à la surprise générale - l’avion suédois le « Gripen »NG pour remplacer la flotte des Tiger F5. A la surprise générale car, au cours de l’évaluation technique des différents avions, le Rafale était arrivé largement en tête, suivi de l’Eurofighter et loin devant le Gripen NG qui, selon la grille d’évaluation du client, ne se qualifiait pas en terme de performances dans la mission de « Police du Ciel » du fait d’une autonomie trop faible. Le Gripen était ainsi surtout l’avion de M. Maurer, conseiller fédéral à la Défense de l’époque et certainement pas celui de l’armée de l’air et d’Armasuisse. Le groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) développa alors facilement une campagne de rejet de cette décision : il réussit à imposer une votation qui, tenue en mai 2014, se solda par la déroute de Maurer et du Gripen dans les urnes.
Mais cette annulation n’a fait que repousser - et donc accroître - l’urgence du remplacement des avions F5, totalement obsolètes en l’aggravant puisque les F-18 devenaient aussi progressivement obsolètes, malgré de très coûteuses modernisations annuelles.
La stratégie de M. Parmelin
Remettant sur le métier le dossier, le nouveau Conseiller fédéral, M. Guy Parmelin, a eu l’intelligence d’associer non seulement les opérationnels (armée de l’air, Armasuisse, industriels) dans un groupe d’experts, mais également les partis politiques dont chacun a désigné un représentant pour le groupe d’accompagnement des nouvelles études. La décision serait ainsi nécessairement collégiale.
En outre, il eut le courage d’annuler en janvier dernier le projet BodLuv de défense sol-air, qui se présentait totalement déconnecté du dossier de remplacement des avions d’armes.
Enfin, il prit la décision -en novembre dernier- de prendre des mesures de transition : les F-5 Tiger ne seraient pas retirés du service en 2018 comme prévu. Ils seraient prolongés quelques années encore. 26 devraient donc être modernisés pour un coût de 30 millions annuels. Les F/A-18 seront maintenus pour être prolongés de 1000 heures par avion (30 restants), soit un budget d'au moins 490 millions. Un crédit d’études de 10 millions de francs suisses sera inclus dans le programme d’armement 2018 afin d’évaluer les avions en lice (F-35, Gripen, FA/18 E/F et Rafale) ; était donc exclu toute option non pilotée ou mixte. L’objectif de M. Parmelin était d’aboutir à une décision en 2020, un vote au Parlement en 2021/22 pour de premières livraisons en 2025.
En mai dernier, le rapport du groupe d’experts et du groupe d’accompagnement est publié. Il propose quatre grands scenarii largement commentés :
Option 1 |
Remplacement un pour un des avions d’armes (F/A 18 et F-5) Système sol-air couvrant l’intégralité du territoire (45000km²) = 18 milliards de francs |
Option 2 |
30 avions d’armes Système sol-air couvrant l’intégralité du territoire (45000km²) = 8/10 milliards de francs |
Option 3 |
40 avions d’armes Système sol-air couvrant le tiers du territoire (15000km²) = 8 milliards de francs |
Option 4 |
20 avions d’armes Système sol-air couvrant le tiers du territoire (45000km²) = 5 milliards de francs |
Les experts ont donc inclus dans chaque option, une défense sol-air : c’est donc un projet global qui devrait être proposé, même si son déploiement sera nécessairement séquencé.
Le choix du DDPS (le ministère de la Défense suisse) rendu en septembre dernier est... l'option médiane entre les options 2 et 3 : un budget de 9 milliards de francs suisses est demandé au Conseil Fédéral par le DDPS pour acheter entre 30 et 40 avions d’armes et une défense sol-air (dont le degré de couverture n’était pas indiqué : le tiers du pays ou sa totalité ?).
M. Parmelin confirmait aussi la présence du F-35, du F/A-18 E/F et des trois autres chasseurs européens, déjà en lice en 2011. On notera deux faits majeurs pour la suite des événements : l’intégration des capacités d’attaque au sol (inexistante depuis le retrait des Hunter en 1994 du parc) et de reconnaissance, mais aussi et surtout de soumettre au Parlement une résolution sur la défense aérienne globale (avions+défense sol-air) qui, si elle était acceptée, serait alors soumise au peuple par référendum.
Ainsi, le plan global de M. Parmelin se présente-t-il de manière globale, transparente et parfaitement démocratique. Un plan dont le seul défaut... est son coût très élevé ! C’est pourquoi le Conseil Fédéral a décidé d’examiner plus en détail cette proposition qui aura des conséquences majeures d’éviction des autres budgets fédéraux (agriculture, environnement, transport notamment) et aussi sur l’armée (quid de l’armée de Terre qui veut remplacer ses chars et son artillerie de campagne ?).
C’est l’état aujourd’hui du débat politique...
L'avion doit-il être adopté par les militaires ou par les politiques ?
Sur le plan technique… Les cinq avions d’armes en lice sont de natures très différentes :
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Le F-35 est l’avion le plus coûteux, tout en étant le moins développé. Armé pour le moment son programme, est sur le plan industriel le plus fermé (les coopérations de niveau 2 et 3 étant fermées depuis des années). Critiqué par le Président Trump lui-même, le le F-35, avion furtif de pénétration, apparaît mal adapté aux missions de l’armée de l’air suisse : police du ciel, attaque au sol et reconnaissance.
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Le F-18 E/F est la version qui suit le F/A-18 C/D acquis par l’armée de l’air, mais sa taille ( 1/3 de plus que le précédent, ce qui signifie que toutes les infrastructures devront être modernisées) comme sa fin de vie opérationnelle dans l’U.S.Navy semblent le condamner d’emblée, malgré des qualités opérationnelles indéniables.
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Le Gripen NG est encore en voie de développement pour le Brésil, n’est pas « combat proven « . En outre, la Suisse n’entend pas préférer un avion produit par une autre puissance neutre : les qualités de l’appareil l’emportent donc sur le statut politique de l’avion. Enfin, le Gripen, condamné en 2014 par les opérationnels et le peuple, aura une forte pente à remonter pour convaincre de nouveau ces deux publics-clés.
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L’Eurofighter est un programme mal né : chasseur de défense aérienne, il n’est toujours pas polyvalent : la tranche 3B n’ayant pas été commandée aux industriels du consortium ; les chaînes de production en Allemagne (pays en charge de la promotion) s’arrêteront en 2018, faute de commandes. Avion sans évolution technique future et bientôt sans commandes nationales , l’Eurofighter est en outre un avion qui subit de plein fouet l’enquête pour corruption en Autriche, qui rejaillit sur l’industriel (Airbus) qui le promeut en Suisse. Les commandes du Koweit et , tout récemment du Quatar ,ne changent pas la donne . Notons enfin que l’avion n’a pas été employé réellement dans des missions opérationnelles : limité à la seule police du ciel dans les conflits passés et actuels, il n’a pas fait la démonstration d’un emploi large (reconnaissance, attaque au sol, frappe à longue distance).
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Le Rafale, enfin, apparaît de nouveau comme le bon choix en particulier après la réaffirmation faite par le rapport de Mr. Parlemin de l’importance en sus de la mission de la « police du ciel » de celle d’intervention au sol et du renseignement : le Rafale est un avion d’armes « combat proven » depuis 2011 sans discontinuer, commandé par trois armées de l’air étrangères à 84 exemplaires ( Qatar, Inde, Egypte) et également pour les années futures par l’armée de l’air française , il possède un potentiel de développement très important (Standard FR3R puis FR4, Rafale lourd, connectivité avec des drones, etc..). Ce qui l’assure d’une vie en opérations encore très longue.
Et le gagnant est...
Sur le plan financier, à l’évidence l’avion le plus petit et le moins lourd sera le moins cher (c’est le cas du monomoteur Gripen ) les 3 vrais concurrents sont d’un prix qui reste dans la même ligue.
Mais le prix unitaire de l’avion et de son système d’armes n’est pas le facteur le plus important, car le choix d’un avion de combat pour un pays est un choix de souveraineté ou d’alliance donc, in fine, un choix politique.
Pour le « choix politique » le Qatar nous donne ces temps-çi une démonstration extrème de ce qu’est un « Achat d’alliance » en passant des contrats multiples et précipités d’achat d’avions d’armes tant avec les états-Unis (F15) que la Grande Bretagne (Typhoon) depuis sa mise à l’écart par l’Arabie Saoudite et ses alliés.
Il ne faudrait pas que la Suisse, voulant « racheter » par exemple les turpitudes passées entre autres de l’UBS sur le territoire US, suive cet exemple. Restons sereins, la Suisse est un pays mâture et son bon sens la conduira certainement à choisir le pendant au couteau suisse qu’est le Rafale.
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