Bagdad et Washington : deux solitudes en déclin (deuxième partie)
Le républicain John Warner, sénateur de Virginie et membre de la
commission du Sénat sur les forces armées, demande au président américain George
W. Bush d’annoncer un plan de retrait des troupes américaines d’Irak le 15
septembre, lors de la publication d’un nouveau rapport sur la situation en Irak
: « Je dis respectueusement au président choisissez n’importe quel nombre
(...) mais, dans les quelque cent soixante mille [soldats américains déployés en
Irak]. Disons 5000 soldats ! Ils pourraient commencer leur retrait et être à
la maison avec leurs familles pas plus tard qu’à Noël cette année. Ça, c’est un
premier pas. » « C’est le président, pas le Congrès, qui doit établir un
calendrier de retrait », a-t-il dit. Le sénateur Warner vient de se rendre
en Irak avec le sénateur démocrate Carl Levin, président de la commission. Son
retour coïncide avec la publication d’un rapport des services de renseignement
américains pointant le risque de « précarisation » accrue du
gouvernement du Premier Ministre irakien Nouri al-Maliki dans les prochains
mois. M. Warner, particulièrement indisposé par ce qu’il a vu à Bagdad, compte
parmi les hommes politiques influents à Washington. Engagé volontaire durant la
Seconde Guerre mondiale puis durant la guerre de Corée, ce que dit ou ce que
croit John Warner ne peut être ignoré à Washington. Sa prise de position risque
surtout de peser lourd sur le camp des républicains. John Warner se dit
persuadé qu’une telle initiative enverrait le message au gouvernement de Bagdad
que l’engagement américain en Irak n’est pas illimité.
Réaction prévisible de la Maison Blanche : elle rejette poliment le
conseil de M. Warner se réfugiant derrière le calendrier qu’aucune décision ne
serait prise avant la publication du rapport du général Petraeus qui doit
évaluer le 12 septembre prochain, devant le Congrès, la situation en Irak
depuis le déploiement de quelque 30000 soldats américains supplémentaires.
Beaucoup d’attentes entourent ce rapport. S’agissant du républicain, John
Warner, il est intéressant de rappeler que Georges W. Bush avait évité de
justesse une humiliation, en mai dernier, lorsque l’influent sénateur avait
proposé un amendement qui stipulait que le gouvernement irakien devait
respecter un certain nombre de critères pour obtenir le maintien des troupes
américaines dans le pays. Amendement qu’avait rejeté le Sénat.
Los Angeles Times lui révèle une autre mauvaise
nouvelle : selon les informations du quotidien, le chef de l’état-major de
l’armée américaine, le général Peter Pace, s’apprêterait à recommander au chef
de l’État de réduire ses troupes en Irak de près d’un tiers et ceci à partir de
l’année prochaine. Bien évidemment, cet avis du général Pace n’est pas sans
produire une forte valeur symbolique : les préoccupations des officiers
généraux de l’état-major, de moins en moins convaincus par le bien-fondé de la
stratégie des États-Unis en Irak, vont dans le même sens.
À Washington, la question républicaine n’est plus de sauver l’Irak mais
bien de s’interroger sur « comment ne faudrait-il pas quitter le navire Bush
pour limiter l’ampleur de la défaite électorale annoncée pour 2008 ».
Plusieurs républicains et démocrates en sont arrivés à se demander si la
solution n’est pas double : le sénateur Warner a ajouté ne pas vouloir aller «
aussi loin » que son collègue démocrate du Michigan, Carl Levin, qui avait
appelé purement et simplement au remplacement de al-Maliki. Retirer un
contingent de 5000 soldats, sans exiger pour l’instant le départ d’al-Maliki,
constituerait aux yeux de John Warner un signal suffisant qui aiguillonnerait
le gouvernement irakien et l’inciterait à faire davantage d’efforts en vue de
la réconciliation nationale.
Lors du récent débat télévisé de 90 minutes, le 19 août dernier, les
huit candidats démocrates pour la présidentielle de 2008 avaient exprimé le
désir de mettre fin à la guerre en Irak sans toutefois parvenir à éliminer
leurs divergences d’approche sur la manière de retirer rapidement les troupes
américaines et sur le nombre de « G. I. » qui doit rester en Irak. Dennis
Kucinich, représentant de l’Ohio, et l’ancien sénateur de l’Alaska, Mike Gravel,
ont proposé un retrait immédiat. « Il faudrait un certain temps »,
soutient Hillary Clinton, sénatrice de New York. Joseph Biden, sénateur du
Delaware, estime qu’un « retrait imprudent » risquerait de provoquer des
divisions en Irak ainsi qu’une guerre régionale, alors que Barack Obama,
sénateur de l’Illinois, s’est, pour sa part, prononcé pour un « retrait en
ordre et graduel ». Dans son cas, le sénateur rencontrerait les dirigeants
des pays dits « voyous » et enverrait des troupes au Pakistan, si la
présence du leader d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, était avérée. Cette position
du sénateur Obama en avait fait sursauter plus d’un, dont la sénatrice Hillary
Clinton.
George W. Bush et le Premier Ministre irakien, Nouri al-Maliki,
partagent bien différemment leurs deux solitudes. George Bush, malgré un
instant d’hésitation au Sommet de Montebello, persiste et signe : il s’est
exprimé devant d’anciens combattants à Kansas City et a réaffirmé son soutien au
Premier Ministre irakien. La démocrate Hillary Clinton pousse Nouri al-Maliki
au départ. Elle appelle le Parlement irakien à nommer une personnalité qui crée
moins de divisions entre chiites et sunnites : « Je partage l’espoir du
sénateur Levin que le Parlement irakien remplace le Premier Ministre Maliki par
une personnalité moins controversée et plus unificatrice lorsqu’il retournera
en session dans quelques semaines. » Al-Maliki est furieux : « Hillary
Clinton et Carl Levin sont des démocrates et devraient respecter la démocratie.
Ils parlent de l’Irak comme s’il s’agissait de leur propre bien. »
Le Premier Ministre chiite, Nouri al-Maliki, se sentant de plus en plus
abandonné par les Américains, vient d’apprendre que la France le lâche
également : le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a suggéré avant de s’en excuser, dans un
entretien à l’hebdomadaire américain Newsweek, la
démission de Nouri al-Maliki. « Je viens d’avoir Condoleezza Rice (la
secrétaire d’Etat américaine) au téléphone (...) et je lui ai dit : écoutez,
[Maliki] doit être remplacé. » La riposte est venue rapidement : « Par
le passé, vous avez soutenu l’ancien régime (de Saddam Hussein). Aujourd’hui
nous étions satisfaits [de la visite française en Irak] et c’est le
moment que vous choisissez pour apporter votre soutien aux partisans de
l’ancien régime. Nous exigeons des excuses du gouvernement français. »
Abandonné, al-Maliki n’a d’autre choix que de se tourner vers l’Iran et la
Syrie. Lors de sa visite à Damas, le Premier Ministre s’est braqué devant les
critiques des États-Unis : personne n’était autorisé à lui fixer des échéances.
Selon lui : « c’est au peuple d’Irak de changer de gouvernement, ce n’est
pas l’affaire de politiciens des États-Unis ». Ce refrain a été repris par le
président américain lui-même : « ce n’est pas aux politiciens de Washington de
décider s’il doit rester à son poste », a dit M. Bush devant d’anciens
combattants à Kansas City. Cette décision revient « au peuple irakien, qui
vit aujourd’hui en démocratie et non en dictature ». Pour rappel, monsieur
Bush n’a pas été aussi généreux avec le gouvernement élu de Palestine.
Nouri al-Maliki multiplie les mauvaises fréquentations, aux yeux de
plusieurs observateurs de Washington : pendant qu’il s’entretient avec le
président Bachar al-Assad, à Damas, Mahmoud Ahmadinedjad fait savoir, de
Téhéran, qu’il accepte l’invitation du Premier Ministre de visiter Bagdad
prochainement. Rien pour décrisper l’Amérique. D’où la violente riposte du
sénateur Levin : « J’espère qu’à son retour de vacances, le Parlement
chassera le gouvernement Maliki et le remplacera par une équipe non sectaire et
unificatrice. »
Maliki a perdu 17 de ses 37 ministres et n’arrive pas à rallier les
sunnites. À ce rythme, le gouvernement irakien ne sera plus, bientôt, que
l’ombre de lui-même. Au Kurdistan, Masoud Barzani et Jalal Talabani se
querellent sur la loi du pétrole tant souhaitée par les États-Unis. Georges
Clemenceau disait après la Première Guerre mondiale : « Désormais, une
goutte de pétrole a la valeur d’une goutte de sang. » « Les Britanniques
ont été défaits », clame, dans un élan de victoire, le chef chiite Moqtada
Sadr. Ce que nie bien évidemment Londres. « Maliki ne gouverne rien »,
disait récemment à La Presse Mokhtar Lamani, ex-envoyé de la
Ligue arabe en Irak. « Son remplaçant héritera du même chaos »,
ajoutait-il, « à moins que toutes les parties définissent ensemble de
nouvelles règles de jeu pour repartir à neuf. » « Un type bien »,
disait d’al-Maliki Georges W. Bush à Kansas City la semaine dernière.
Du même souffle, le président américain a présenté un nouvel argument,
qui en a surpris plus d’un, pour appuyer sa ténacité à ne pas quitter l’Irak :
« Les idéaux et les intérêts qui ont conduit l’Amérique à aider les Japonais
pour transformer la défaite en démocratie sont les mêmes qui nous conduisent à
rester engagés en Afghanistan et en Irak. » Citant en exemple la Corée du Sud, Georges W. Bush maintient que : « Le résultat du sacrifice et de la
persévérance américains en Asie est un continent plus libre, plus prospère et
plus stable dont la population veut vivre en paix avec l’Amérique, pas attaquer
l’Amérique. » Il a ainsi demandé aux Américains de reprendre confiance.
Selon un sondage de l’institut Pew, réalisé en juin dernier dans 47
pays, « depuis cinq ans, l’image des États-Unis s’est ternie auprès de la
majeure partie des pays du monde et s’est dégradée considérablement chez les
alliés traditionnels des États-Unis, dans les Amériques, au Moyen-Orient et
ailleurs ». La Turquie établit un record avec 83 % d’opinions défavorables.
En France, 76 % des personnes interrogées désapprouvent « les idées
américaines de la démocratie », selon Pew, qui a sondé un total de 45000
personnes. Des scores presque similaires sont enregistrés en Allemagne, en
Espagne, au Pakistan. Seule l’Afrique noire a globalement une vision positive
des États-Unis et rares sont les pays qui ne se réjouissent pas de l’humiliation
subie en Irak par la superpuissance. « Tout le monde ne peut pas nous aimer,
mais il ne faut pas non plus que tout le monde nous haïsse », rappelait, le
mois dernier, la candidate Hillary Clinton à un partisan qui lui faisait
remarquer que les États-Unis « ne sont plus la puissance mondiale qu’ils ont
été ». Les Américains ont également perdu la foi puisqu’ils sont désormais
65 % à désapprouver les actions de leur président, George W. Bush (Le
Devoir, Montréal, édition du 18 et 19 août 2007).
À Washington, le président américain devrait peut-être réfléchir sur
cette remarque du ministre des Affaires étrangères de la France, Bernard
Kouchner, lors de sa visite à Bagdad, au Premier Ministre al-Maliki : « Notre
but était modeste, donc il a été atteint. »
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