Bertrand, le mini-Hoover
Le pouvoir, ou l’illusion du pouvoir, ça finit toujours par monter au cerveau de certains. La rétention de savoir étant un pouvoir, on conçoit aisément que celui qui en sait davantage sur d’autres détient une forme certaine de pouvoir. En France, comme ailleurs dans le monde, le gouvernement a eu pendant des années un homme détenteur de secrets et d’informations confidentielles sur les plus hauts personnages de l’état : il s’appelle Yves Bertrand, et il a été pendant des années à la tête des Renseignements Généraux, sur lesquels il a laissé la trace indélébile d’un personnage somme toute assez fantasque. Ces derniers temps, placé en retraite, il avait fait profité quelques journalistes spécialisés de ses réflexions sur ceux qu’il avait côtoyé... ou surveillé pendant de longues années. En des termes assez surprenants parfois, qui avaient fait dire à certains que Bertrand commençait un peu à décarocher. La vieillesse, ou la période de relâchement nerveux qui suit juste la retraite ??
L’homme avait déjà montré fin 2007 des signes inquiétants d’absence de maîtrise de soi : le 10 octobre, il y a un an exactement, dans le journal de Marie Drucker, il avait littéralement perdu les pédales, confondant la "menace islamiste" avec une obscure association anglaise "Robin des Toits"... occupée à dénoncer les méfaits des ondes radios... (martiennes ?) pour finir son interview sur les expériences sur les animaux de laboratoire... Un délire surprenant, au point de faire dire à un journaliste spécialiste des questions de défense "c’est du Jean-Claude Van Damme, je n’ai jamais vu un delirium pareil en direct. " On peut encore entendre ici ce pétage de plombs manifeste. Sidérant. Comment un tel homme a t-il pu être à la tête d’un tel service, la question inquiète... un peu, tant il est vrai que notre homme si léger a eu avant lui d’illustres prédécesseurs dans le monde. Dont un de taille, qui demeure dans le genre inégalé : Edgar Hoover, dont Bertrand est à des centaines d’encâblures encore aujourd’hui. Hoover est resté un maître, dans le genre : ses rapports avec la famille Kennedy remettent à sa place le différent qui oppose aujourd’hui Bertrand et notre président, qui vient de déposer contre lui une plainte en diffamation pour la parution du contenu des "Carnets noirs de la République", l’ouvrage que vient de faire paraître Yves Bertrand. Et pas pour rien semble-t-il quand même : "atteinte à la vie privée", "faux, usage de faux et recel" et "dénonciation calomnieuse" nous disent les services du procureur de la République. Fichtre. Palsambleu. Mince ! Derrière la plainte déposée se profile à nouveau en fait l’affaire Clearstream, qui provoque chez notre président des réactions fort épidermiques, étant le principal visé de l’histoire rocambolesque. Celle dont Bertrand notait à propos d’Imad Lahoud, "PEUCLJ". À savoir, après décryptage : « Peut être utilisé contre Lionel Jospin » nous apprend l’hilarant Bakchich. Il y a de quoi faire avec les 21 cahiers à spirale saisis chez Yves Bertrand, s’ils sont tous rédigés ainsi !
Bertrand n’aura été que douze ans au service des renseignements généraux : Hoover a régné sur le FBI pendant... 48 ans. Presqu’un demi-siècle de coups tordus, à côté desquels la récente filature de Besancenot par une officine d’amateurs passe pour une agréable partie de pêche : dans les filets poisseux de Hoover on trouve aussi bien le révérend Martin Luther King que Marylin Monroe ou Frank Sinatra... oui, le Franck Sinatra lié à la mafia, ce que personne n’oserait aujourd’hui remettre en cause. Un Sinatra dont on découvre encore chaque jour d’étranges liens insoupçonnés. Hoover amassait des dossiers sur tout le monde, en espérant ainsi réussir à faire chanter tout le monde. A l’aune du temps, on serait presque tenté de dire qu’il y a brillamment réussi. Et ce grâce à une équipe soudée qui lui était toute dévouée : à lui, et à lui seul : “All of this team of men were loyal only to him. They answered only to him. They didn’t answer to the Attorney General. They didn’t answer to the President of the United States, who had Secret Service. They answered to Hoover, period.” Ses hommes n’obéissaient ni au procureur général (équivalent du Garde des Sceaux) ni même au président des Etats-Unis lui-même ! Hoover était une sorte de dictateur au sein même de son pays, établissant sa propre loi... jusque dans les moindres recoins de la vie de ses concitoyens : mort en 1972, il n’a heureusement pas connu l’informatique... car avec lui, se serait devenu dantesque. A Hollywood, par exemple, il imposait ses façons de voir, téléphonant tous les jours pour donner des conseils sur la façon de présenter un espion ou un policier ou même un simple personnage :“he looked at everything. He looked at every movie, every reference, every scene, every actor. He approved it all.” Imaginez à partir de là, aux temps bénis du maccarthysme, la dure condition des réalisateurs, coincés entre des suspicions de communisme et les avis délirants de Hoover. A se demander comment des gens comme Frank Capra ou d’Ernst Lubitsch.... ont pu faire des comédies aussi réjouissantes dans pareille atmosphère !
Hoover était avant tout jaloux de ceux qu’il surveillait et de leur réussite : en premier de Martin Luther King, pour la simple raison qu’il était reconnu partout et qu’il avait une apparente vie de famille bien tranquille... Chez Hoover, pour cette raison, King devint un "communist affiliated". Pour le faire tomber, Hoover passa une bonne partie de son temps à le suivre de près et a enregistrer toutes ses conversations ou même ses... ébats amoureux : King, surpris en galante compagnie, se vit envoyer la cassette audio de ses frasques, une cassette envoyée par Hoover lui-même... à la femme du pasteur volage. Il alla même jusqu’à rédiger lui-même une lettre conseillant au révérend de se suicider si le scandale éclatait, ce qu’il avait déjà commencé à faire en inondant les rédactions de courriers vengeurs sur la vie amoureuse de Luther King. A ses hommes, Hoover recommanda ainsi en ces termes d’effectuer "a coverage of Communist influence on the Negro". A côté des mémos aseptisés de Rondot (retraité lui aussi), ça sonne autrement, avouons-le. Hoover était bien ouvertement raciste, parlant de "negroes" ou de "niggahs" à la moindre occasion. Le jour où Luther King fut abattu, les bureaux du FBI résonnèrent même d’un retentissant : "we finally got the son of a bitch !" prononcé par un des agents de Hoover !
King était donc sa cible privilégiée... avec les Kennedy, qui passaient leur temps à courir après leurs maîtresses, certaines étant communes au deux frères, telle Marylin Monroe. Qui posait souvent nue, il est vrai aussi. Et dont on découvre encore près de quarante six ans après sa mort des clichés inconnus. Hoover collectionnait aussi les photos dénudées de toutes les vedettes ou de tout l’intelligentsia US, dans l’espoir de s’en servir un jour. Comme il était le seul à savoir lesquelles, J-F Kennedy n’a jamais même cherché à le faire démissionner : en fait non pas par crainte des révélations, mais tout simplement car il ne savait pas exactement quels clichés détenait Hoover (Monroe en ayant plusieurs de compromettants, paraît-il, et d’aucuns disent les avoir) : "He didn’t fire Hoover because he didn’t know what Hoover really knew. The same reason no one else fired Hoover. When it really came down to it.” Hoover travaillait au bluff, en réalité. Cinquante années de bluff auprès de tous les dirigeants américains, jolie carrière pourrait-on dire !!!
Un bluff dans les grandes largeurs : toute sa vie, Hoover a poursuivi gauchistes et... homosexuels. Jusqu’au jour où on s’est aperçu qu’il l’était lui-même. Pas gauchiste, bien sûr, mais bel et bien homosexuel, Hoover ayant été vu et photographié à plusieurs reprises à partir des années 50 avec son petit ami attitré, Clyde Tolson. Une chose révélée seulement après le décès de Hoover, en 1972. Un secret bien gardé, mais que connaissait la mafia, sous la houlette du mafieux Meyer Lansky, de son vrai nom Maier Suchowljansky... , surnommé à juste titre le "Mastermind of the Mob" qui posait lui aussi force micros et miroirs sans tain dans ses salles de jeux, dès les années 30 et 40. Piégeant ainsi notre homme, qui passa donc une grande partie de sa vie à fortement ménager cette même mafia, qui l’a tenu par le bout du nez durant toute sa vie ! Lansky devint ainsi intouchable jusqu’à sa mort, Hoover écartant de ses services celui qui voulait enquêter sur lui :"In 1966," noted Hank Messick, one of Lansky’s biographers, "a young G-Man assigned to go through the motions of watching Meyer Lansky began to take his job seriously and develop good informers. He was abruptly transferred to a rural area in Georgia. His successor on the Lansky assignment was an older man who knew the score. When he retired a few years later, he accepted a job with a Bahamian gambling casino originally developed by Lansky." Lansky eût une carrière de truand incroyable et sa vie ne fut qu’une suite d’épisodes mémorables : vers les années 70, se sentant traqué et sachant son ami Hoover malade, il tenta d’immigrer en Israël, mais c’est Golda Meir elle-même qui intervint pour qu’il ne mette pas un pied là-bas. Revenu en Floride après un passage éclair en Suisse et au Paraguay.. il mourut tranquillement dans son lit en 1983, sans jamais vraiment avoir été inquiété. D’autres eurent moins de chance, tell Joseph Salvati, envoyé 32 ans en prison par Hoover sans avoir commis ce qu’on lui avait reproché, car trahi par un mafieux, Joseph “The Animal” Barboza. Il n’avait pas fait partie des 11 tueurs ayant tué 52 personnes entre 1960 et 1990... sous les ordres directs du FBI...et de Hoover, jusqu’en 1972.
Pour en revenir à Yves Bertrand, l’homme est donc bien un mini-Hoover en retraite, maniant les dossiers les plus sulfureux en distillant ici et là, via des personnes interposées des thèses... fort particulières, comme celle sur la mort de Pierre Beregovoy. Sa crédibilité est néanmoins fortement remise en cause : le domicile de Bertrand a été perquisitionné en janvier 2008 dans le cadre de l’affaire Clearstream... ce qui représente pour ce grand commis de l’Etat un véritable camouflet qu’il s’est empressé de démonter auprès du JDD. Bakchich résume parfaitement la situation : "Résumons nous : Yves Bertrand, via le JDD, fait passer un message clair. Vous me cherchez des poux dans la tête pour mon éventuelle participation à la confection des listings Clearstream, dirigés à l’évidence contre Sarkozy et ses amis ? Et bien, moi, Yves Bertrand, suis prêt à balancer contre vos amis, les amis de vos amis et les cousins de ces derniers"... On comprend ce soir pourquoi un président qui rêve à Kennedy et à qui il semble bien que l’on aît monté un bateau nommé Clearstream grand comme un paquebot ne puisse voir dans Yves Bertrand qu’un Hoover aux petits pieds. Il y a décidément une dimension de plus entre les Etats-Unis et la France. Il ne suffit pas qu’un président tombe amoureux d’une chanteuse pour que la France devienne l’Amérique. Ou qu’un président ayant une maîtresse partagée avec son ministre de la justice, pour que l’Amérique serve d’exemple à la France (une chose plus difficilement réalisable aujourd’hui France en l’état actuel, semble-t-il)... Hoover était bien plus obsédé et avait un comportement bien plus pervers que notre retraité un peu trop aigri, et les Kennedy de bien plus grands coureurs de jupons que notre président divorcé seulement deux fois. Ce qui signifie aussi, remarquez, que malgré les frasques de la vie politique française on a pour l’instant encore échappé au pire, malgré tout ce que peut en raconter aujourd’hui à qui veut bien l’entendre Yves Bertrand. N’est pas Hoover qui veut. A cette date, il n’a toujours pas été remplacé. Kennedy non plus, remarquez.
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