Brève chronologie depuis 2001 : Les États-Unis et la crise du Nouvel ordre mondial, de 2001 à aujourd’hui
Pour un historien, il est toujours bénéfique d’illustrer et de commenter une séquence d’événements qui ont pris une certaine importance dans la mémoire collective des contemporains. Cet exercice d’illustration serait bien insuffisant si l’historien ne propose pas à côté une interprétation personnelle qui donne une signification particulière caractérisant les liens profonds qui unissent tous ces évènements, souvent pris isolément par les acteurs.
Par exemple, je suis assez étonné que peu de commentateurs, d’analystes et de dirigeants politiques ne perçoivent pas le lien entre la crise financière de 2008, la crise de la dette européenne, le mouvement des Indignés en Espagne, les révolutions arabes de 2011 et le conflit syrien qui est en issu. Dans les journaux télévisés, ces évènements sont pris isolément, concentrent les analyses avec une temporalité instantanée, en cherchant des causes immédiates, et ne sont pas mis en perspective avec d’autres évènements et leurs relations dans la globalité. D’autre part, ce serait utile que l’interprétation historique du rôle des États-Unis dans la géopolitique globale ne soit pas délaissée aux théories du complot qui fleurissent aussi bien en Occident que dans le monde musulman. Le refus de considérer le rôle diplomatique des États-Unis comme primordial dans les affaires internationales est autant suspect que le refus de considérer le rôle des autres acteurs diplomatiques qui ont leurs propres stratégies.
À la découverte des attentats à Sousse en Tunisie, je fus pris de mélancolie et de rancœur pour ce monde. À mes dix-sept ans, je suis passé par cette ville en 1997, lors d’un voyage entre Carthage, Hammamet, Tozeur, Kairouan, Monastir et Djerba. Très beaux souvenirs, j’avais été enchanté par l’accueil des habitants, la beauté des paysages et le commerce florissant, même si le régime politique était autoritaire et je n’en avais pas conscience. En revenant en France, je n’avais pas eu l’impression d’avoir changé de continent, j’étais parti dans une Provence plus chaude et plus déserte, même s’il n’y a pas d’aussi belles ruines romaines que Carthage entre Port-Bou et Menton. La population avait beau parler une autre langue, je me sentais comme en France, et j’espère que le tunisiens le vivent de même en arrivant à Paris ou ailleurs. La Tunisie reste la perle du Maghreb, la gardienne de la Méditerranée et la sentinelle de l’Islam d’Occident.
Les attentats dans les hôtels et les musées sont une catastrophe pour l’économie du pays et la stabilité du monde méditerranéen, et bien sûr européen. L’attentat aurait été commis à Cagnes-sur-mer ou la Grande motte, les responsables politiques n’auraient pas pu se contenter d’établir un périmètre de sécurité et de faire une énième loi de surveillance. Peut-être auraient-ils promis d’abattre Daesh, et enfin de mener une opération militaire d’envergure en Syrie et en Irak ?
Pourtant, la Tunisie est aussi européenne que le Portugal ou la Lettonie. Elle est bien plus proche de la culture française que la différence de religion pourrait laisser croire.
Face à la tristesse d’un tel évènement, je ne pouvais pas ne pas m’empêcher de penser que toutes ces atrocités, cette montée en violence autour de L’Union Européenne, ont certainement un lien avec des causes historiques qui ne peuvent pas être réduites au radicalisme religieux et à une cause culturelle particulière. Le phénomène est trop massif, global, et en même temps trop éclaté, dont la seule cohérence présentée par les médias jusqu’à maintenant est l’idéologie de l’islamisme radical, fondée à la fin du 19ème siècle, pour tenter de refonder l’Islam des origines. Analyse pertinente du point de vue de l’histoire des pays musulmans, mais les attentats commis en Europe et aux États-Unis au nom de revendications différentes (Richard Durn, Breivik, etc) n’ont-ils aucun rapport avec les autres, surtout quand les modes opératoires tendent à se ressembler – un homme avec un fusil-mitrailleur tirant sur un groupe particulier d’au moins une dizaine de personnes ?
J’ai l’intime conviction qu’une autre grille de lecture, qui chevauche en partie les raisons de tous ces évènements, sans en épuiser la signification particulière, donne un cadre d’analyse pertinent aux causes de la montée de ces attentats toujours commis par des jeunes âgés de 20 à 35 ans envers des groupes qu’ils suspectent responsables de la décadence de la civilisation, d’immoralité et d’impureté. L’action criminelle de l’attentat, qu’elle soit motivée religieusement ou non, est d’abord une réaction face à ce qui est vu comme étranger à soi – un conseil municipal de gauche désigné comme corrompu, des touristes occidentaux sur une plage, des journalistes sarcastiques qui caricaturent un prophète. Ce qui rassemble tous ces attentats est donc la haine d’un autre vu comme la quintessence du mal, un autre qui illustre le mieux, pour celui qui fait les attentats, l’ennemi idéologique à abattre.
En partant de l’analyse de ce lien entre la cible et le criminel, nous sommes bien plus en peine de donner une signification globale à tous ces attentats et cela est tout à fait normal puisqu’en fait il n’y en a pas. Aucune cause idéologique ne produit un mobile satisfaisant pour expliquer la motivation profonde de tuer autrui, d’autant plus quand cet acte est le fait d’un individu isolé. Une cause psychologique peut être avancée, mais pas idéologique. Ce sont toujours des causes psychologiques personnelles qui poussent à commettre ce type de crime.
En revanche, la question est de savoir s’il existe des conditions globales qui favorisent la réalisation de ce type d’attentat, et à ce moment les analystes parlent quasi-exclusivement de l’islamisme radical. Sauf que les conditions matérielles sont toujours laissées un peu de côté et les médias préfèrent accentuer le côté ésotérique des motivations religieuses d’une part, et la réponse sécuritaire à apporter d’autre part. Suite à cela, pas étonnant que la réponse pour éviter les attentats ne soit pas suffisante. Car il y a aussi d’autres facteurs qui expliquent l’augmentation de ce type d’attentats : c’est l’insuffisance de l’encadrement politique et social des individus qui permette d’identifier à l’avance les déviances psychologiques qui poussent certains sujets à commettre des attentats. En effet, les êtres humains ne sont pas plus violents qu’ils ne l’étaient hier et qui ne le seront demain. Certains peuvent agir plus violemment lorsque les groupes sociaux tolèrent implicitement un niveau d’agressivité général plus important et relâchent leur contrôle sur les éléments les plus agressifs, intentionnellement ou en réaction à une situation globale donnée.
Mon interprétation est qu’il a toujours existé des attentats, des attaques personnelles visant des groupes sociaux particuliers, et le contexte socio-économique global déterminant le niveau du nombre d’attentats. Les motifs religieux n’étant qu’une représentation particulière issue de la culture que partage le criminel avec la société où il vit.
Passé le cap de l’identification des criminels, l’analyse des attentats peut mettre au second plan les discours religieux et mettre en relation la crise économique depuis 2008 et les évènements tels que les divers attentats dans les pays méditerranéens et en Europe. Ces derniers sont aussi à mettre en perspective avec la guerre en Syrie, Daesh, les révolutions arabes, la guerre en Ukraine, etc. Le titre proposé pour cette séquence chronologie est : Les États-Unis et la crise du Nouvel ordre mondial, de 2001 à aujourd’hui. Effectivement, après avoir triomphé du communisme, les Etats-Unis seule hyperpuissance militaire, font face à des contestations de nouveaux types, y compris sur leur propre territoire. Le nouvel ordre mondial désigne un modèle d’économie marchande et de démocratie libérale que les pays occidentaux essayent de promouvoir dans le monde, avec des succès et des échecs, parfois à l’aide d’interventions militaires en Afrique, au Proche et Moyen-Orient. Cette période se finit avec une crise économique globale, des révolutions dans le monde arabe, en Ukraine et le déclenchement de guerres civiles autour de l’Europe, en Lybie, en Ukraine, en Irak et en Syrie.
Voilà la courte et simple chronologie proposée pour orienter le débat historique : la question en rapport avec l’intitulé « Les États-Unis et la crise du Nouvel ordre mondial, de 2001 à aujourd’hui » est la suivante : Ce que les analystes critiques appellent couramment « modèle dominant » néolibéral, basé sur l’économie marchande et le retrait de l’État dans le domaine social, n’est-il pas plutôt une économie de guerre, où les institutions militaires et policières reviennent progressivement au premier plan et redonnent du sens à l’action politique, étant donné que le pilotage économique a été automatisé ?
La chronologie suivante concerne principalement l’Occident et la Méditerranée, et elle n’intègre pas beaucoup les évènements historiques de l’Asie, de l’Afrique subsaharienne et de l’Amérique du sud. Bien sûr, en adoptant la même thématique, rien ne vous empêche de la compléter.
Décembre 1990 : discours du président américain George H. W. Bush où il évoque le « Nouvel ordre mondial », fondé sur la démocratie libérale, en réaction à l’invasion du Koweït par l’Irak.
2 août 1990 – 28 février 1991 : Première guerre du Golfe, victoire de la coalition internationale sur l’Irak.
26 décembre 1991 : fin de l’URSS.
1er novembre 1993 : entrée en vigueur du Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht.
1er janvier 1994 : Entrée en vigueur de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) qui organise le libre-échange entre le Canada, les USA et le Mexique.
1er janvier 1995 : Entrée en vigueur de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), ayant pour but d’organiser libre-échange et la baisse des tarifs douaniers.
11 septembre 2001 : Attentats du World Trade Center.
7 octobre 2001 : Intervention militaire des USA et de l’OTAN en Afghanistan, fin du régime des Talibans. Retrait le 31 décembre 2014.
1er janvier 2002 : Mise en place de l’Euro, monnaie unique européenne.
20 mars 2003 : Les États-Unis et leurs alliés (première coalition) envahissent l’Irak et destitue le chef d’État Saddam Hussein. Retrait le 18 décembre 2011.
16 avril 2003 : Traité d’Athènes ; L’union Européenne intègre la Chypre, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie et la République tchèque.
Décembre 2004 - janvier 2005 : Révolution « Orange » en Ukraine soutenue par l’Occident, réorganisation des élections présidentielles et victoire de Viktor Iouchtchenko.
25 avril 2005 : Traité de Luxembourg ; L’union Européenne intègre la Bulgarie et la Roumanie.
Mai-Juin 2005 : Refus de la France et des Pays-Bas du Traité établissant une constitution pour l’Europe.
27 octobre - 17 novembre 2005 : Émeutes dans les banlieues françaises.
Juillet 2007 : Crise des subprimes.
1er décembre 2009 : Entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui reprend le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur l'Union européenne de Maastricht.
Printemps 2010 : Début de la crise des dettes souveraines en Grèce et dans les autres pays européens.
17 décembre 2010 : Début du Printemps Arabe, en Tunisie. Fuite du chef d’État Zine el-Abidine Ben Ali.
15 mai 2011 : Début du mouvement des Indignés, à la Puerta des Sol de Madrid.
25 janvier 2011 - 11 février 2011 : Révolution égyptienne, démission du président Hosni Moubarak.
15 mars 2011 - aujourd’hui : Guerre civile syrienne.
19 mars 2011 -31 octobre 2011 : Première guerre civile lybienne. Intervention militaire de la coalition internationale sur l’initiative de la France. Destitution et mise à mort du colonel Mouammar Kadhafi.
Septembre-novembre 2011 : Début du mouvement Occupy Wall Street.
9 décembre 2011 : Traité de Bruxelles ; L’union Européenne intègre la Croatie.
17 janvier 2012 – aujourd’hui : Début de la guerre civile au Mali, les rebelles Touaregs occupent des territoires au nord du pays. Intervention militaire internationale depuis janvier 2013 pour aider le gouvernement malien.
Mai-Juin 2013 : Mouvement protestataire important en Turquie contre la destruction du parc Taksim Gezi, à Istanbul.
Juillet 2013 - aujourd’hui : Négociations pour le traité de libre-échange transatlantique entre l’Union Européenne et les États-Unis.
6 septembre 2013 - août 2014 : Troisième guerre civile centrafricaine. Affrontements religieux entre chrétiens et musulmans. Intervention militaire française.
21 novembre 2013 - 22 février 2014 : Mouvement Euromaïdan en Ukraine, pro-européen. Fuite du président Viktor Ianoukovytch.
16 mars 2014 : Rattachement par référendum local de la Crimée ukrainienne à la Russie. Avril 2014 : début de la guerre civile Ukrainienne entre les forces rebelles pro-russes et le gouvernement légal.
16 mai 2014 - aujourd’hui : Deuxième guerre civile lybienne.
29 juin 2014 : Déclaration du califat par l’État islamique en Irak et au Levant, dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi.
8 août 2014 - aujourd’hui : Formation d’une coalition internationale pour attaquer l’État Islamique en Irak et au Levant. Raids et bombardements aériens.
7 - 9 janvier 2015 : Série d’attentats en France, liée au nouvel État islamique autoproclamé.
18 mars 2015 : Attentat au musée du Bardo, près de Tunis. 22 touristes sont tués.
26 juin 2015 : Attentat de Sousse, en Tunisie, 39 touristes sont tués.
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