Cargos de nuit (vague n°3)
Dans les deux précédents articles, nous avons beaucoup évoqué le sort des containers en mer. Aujourd’hui, je vous propose de les suivre à terre, et spécialement dans des endroits bien précis que sont les dépôts de munitions, pour lesquels, comme pour beaucoup d’autres biens, ces containers sont devenus indispensables. Dans un seul, on peut glisser des millions de cartouches, de quoi alimenter un coup d’Etat, une sédition, une révolution ou une guerre civile. C’est selon. Dans ces endroits terrifiants que sont ces dépôts vaquent des gens conscients du danger... et parfois des gens qui le sont moins. En tout cas, ce sont bien souvent les points de départ des pires trafics existants.
Les armes de contrebande, ça se trouve en effet au départ à des endroits précis. Il y a deux types d’armes : les neuves, sortant d’usine, et les usagées, le marché de seconde main. Celles qu’on trouve dans des dépôts où sont entreposés ces anciens armements en attente de destruction, le plus souvent. Des dépôts parfois gigantesques, où s’entassent obus, roquettes et balles, ou vieux chars d’assaut, que des mains précises manipulent pour les classer ou pour préparer les commandes d’un quelconque marchant de mort. Ces endroits proviennent le plus souvent des lendemains de la guerre froide, qui ont rendu obsolètes un bon nombre de ces armements, tels les canons ou les obusiers, les missiles ayant désormais la faveur des chefs militaires modernes. Des dépôts plutôt méconnus, dont on apprend parfois aussi l’existence quand une erreur de manipulation des artificiers qui s’en occupent provoque un embrasement généralisé.
Dans ces endroits de mort, 153 explosions ont ainsi eu lieu en effet entre 1995 et 2007, tuant au total 2 575
personnes, dont une explosion à Lagos, au Nigeria, qui, le 27 janvier 2002 dans un dépôt situé au beau milieu d’un quartier résidentiel, compte pour la moitié. Au Mozambique, à Maputo, par exemple encore, le 27 mars 2007, un dépôt de ce type avait sauté, provoquant la mort de 83 personnes. Le pays venait juste de sortir d’une guerre effroyable et rassemblait des munitions éparpillées un peu partout. Cinq heures après le début des explosions, des engins sautaient encore. La température extérieure locale de 35°C ayant peut-être provoqué le désastre. A Bangkok, en 2001, un dépôt du même genre de l’armée thaïlandaise avait tué 14 personnes à Pak Chong, dans la province de Nakorn Rathchsima. Ces explosions de dépôts sont parfois le seul moyen de savoir ce qui s’y tramait. Or ce n’est pas toujours très reluisant. Censés être surveillés ou sécurisés, ils sont le lieu des pires trafics. Et certains finissent dans d’étranges circonstances, que l’histoire tend à reproduire avec une constance... désarmante, sans mauvais jeu de mots.
En 1988 déjà, au Pakistan, l’explosion d’un dépôt de munitions à Rawalpindi, démontrait que les armes qui y étaient déposées étaient douteuses dans tous les sens du terme : les armes se voulaient au départ un « cadeau » des USA aux moudjahidines afghans pour lutter contre les soviétiques. Pour ne pas que cela apparaisse officiellement, les armes avaient été achetées à partir de 1980 au marché noir aux soviétiques eux-mêmes, par la CIA via des marchands d’armes écrans, et entreposées au dépôt d’Ojiri en attendant d’être livrées, sous la garde de l’ISI, qui souhaitait lui les vendre, et pas autre chose. L’argent de la vente était allé en fait directement alimenter les recherches d’Ali Khan sur la bombe atomique pakistanaise ! Les Américains, soupçonnant cette corruption des fonctionnaires pakistanais avaient bien envoyé des émissaires pour vérifier le dépôt, histoire de savoir s’ils avaient été bernés ou pas. Quelques semaines avant leur arrivée, le dépôt sautait fortuitement, entraînant la mort de plus de 100 personnes et en blessant près de 1000. La thèse officielle retenue alors fut celle de l’accident, alors qu’une enquête parallèle de l’ISI permit de découvrir après coup qu’il s’agissait bien d’un sabotage pour cacher le vol massif des munitions. Selon l’ambassadeur US de l’époque, il y en avait pour plus de 125 millions de dollars, partis en fumée. Ironie du sort, vingt après, c’est à Rawalpindi que Benazir Bhutto se faisait assassiner. Et vingt ans après, le même procédé destructeur allait réapparaître... en Albanie.
Le 14 octobre 2006, un autre dépôt qui part en fumée : c’est le dépôt américain en Irak de Camp Falcon qui saute, situé en bout de piste de la base aérienne de Al-Habbaniyah (Al-Anbar), à 13 km au sud de Bagdad. Pour les troupes sur place il s’agirait d’un accident, pour les insurgés le résultat d’une attaque au mortier sur un dépôt où les pièces d’artillerie lourde étaient déposées à l’air libre, seulement entourées d’une barrière extérieure en béton. L’incendie et des explosions titanesques se succéderont toute la nuit. A ce stade, déposer ainsi des bombes l’une sur l’autre est de l’inconscience pure et simple, tous les observateurs le font remarquer le lendemain du désastre. Des soldats US en goguette filment ce soir-là le désastre sans prendre conscience de l’étendue des dégâts, qui semblent bien occasionnés au départ par des tirs de mortier extérieurs. Le lendemain, le camp est totalement dévasté. Seuls restent les vestiges de containers, dont beaucoup portent des noms de sociétés commerciales de transport par bateaux bien ordinaires. Le bilan réel des morts et blessés ne sera jamais officiellement connu ; pour certains il aurait atteint les 165 blessés chez les Américains, et 122 morts chez les Irakiens de la police. Des chiffres assez surréalistes, beaucoup pensent que les blessés auraient pu atteindre la centaine, mais on n’a jamais réellement su le nombre de morts du côté US, l’image étant trop mauvaise dans l’opinion américaine. Une liste très certainement fausse de soldats morts circule le lendemain sur internet à partir des réseaux pro-irakiens, mais elle ne présente aucune garantie d’authenticité. Les spécialistes militaires distinguent dans les explosions des bombes au phosphore (les nuages blancs sur les vidéos), pourtant interdites par la convention de Genève, et des bombes à l’uranium appauvri (les explosions avec multiples flammèches). Les secondes sont un désastre écologique, car le camp est en bout de piste de la base et le souffle des avions va évacuer ces débris cancérigènes partout dans la région... jusqu’à Bagdad même. Les explosions révèlent surtout l’inconsistance de la gestion du parc d’explosifs, déposés à la va-vite dans une aire aussi peu sécurisée. En fait, pour les militaires US, le contrôle des containers à munitions est un véritable casse-tête : il y en a 60 000 désormais éparpillés en Irak, qui, s’ils étaient mis bout à bout feraient 225 miles (362 km). Lors de la récente opération « TheSurge » de renforts US, ce sont 14 315 containers qui ont été apportés en supplément. Empilés, ils feraient 91 Empire State Building l’un sur l’autre ! En prime, comme beaucoup appartiennent à des compagnies maritimes, leur location mensuelle grève le budget militaire d’autant : 11 dollars par jour pour un container de 20 pieds (6 m), le plus répandu. Ce n’est qu’en 2006 que le COSCOM s’est aperçu de ce que ça lui coûtait, en traçant mieux les containers loués et en les faisant retourner plus vite. L’économie passant de 3 millions de dollars par mois à moins de 300 000 dollars par mois. Il n’empêche : il aura fallu trois ans de gabegie pour que les militaires en prennent conscience. Sans pour autant se formaliser de la présence de bombes au phosphore dans leurs dépôts militaires.
Le troisième exemple est albanais, et c’est bien le pire de tous. Le samedi 15 février, c’est à Gerdec, près de Tirana, qu’un dépôt explose. Le souffle est ressenti à des kilomètres de là, à Skopje, devenue capitale de la Macédoine (à 200 km de là !) et les rares qui filment l’événement sont jetés au sol. Un énorme champignon noir se forme au-dessus du village. Les seuls exemples que l’on ait de champignons non nucléaires montant aussi haut sont les expérimentations menées en plein désert par l’armée US, explosions qui en rappellent étrangement d« autres. Ça, ou celle du Pepcon en 1988 au Nevada également, à base de perchlorate d’ammonium, le comburant des boosters de fusées à poudre (comme dans Ariane 5). Les Soviétiques utilisaient également le perchlorate dans leurs missiles, qui auraient pu être entreposés de la sorte en compagnie des milliers d’obus présents, ce qui rendait le site encore plus dangereux. On trouve au 25 janvier 2005 une demande de l’armée américaine à une firme, American Pacific Corporation, pour la fourniture de 2 000 livres de ce matériau. La firme, qui fait aussi dans le pharmaceutique, fait aussi dans le carburant pour fusées. C’est à elle qu’appartient le site ravagé de Pepcon, à l’origine un nom déposé pour le traitement électrochimique de l’eau. Suite à l’explosion de 1988, le site a été déménagé à Cedar City l’année suivante. Dix ans après, une enquête démontre que le site originel a pollué toute la nappe phréatique lors de l’explosion. A Gerdec, les sauveteurs dépêchés sur place découvrent une scène d’apocalypse, le dépôt ayant continué à exploser pendant 14 heures d’affilée. Autour des vestiges du dépôt, des centaines d’obus projetés et non explosés, et plus de 5 500 maisons soufflées et éventrées. 26 morts au total et plus de 300 blessés dont de nombreux enfants. En Albanie, on ne saura sans doute jamais si l’explosion a été intentionnelle ou non. A Pepcon, c’était un simple mégot qui avait provoqué la catastrophe ! Une enquête est actuellement en cours. Une internaute faisait remarquer récemment que les conditions dans lesquelles travaillaient les ouvriers recrutés sur place et sans aucune formation préalable étaient assez dantesques. Des gens qui »ramenaient du travail chez eux", et qui dessertissaient les balles au milieu de leur salon, en plein cercle familial, ou l’exemple d’autres travaillant le mégot aux lèvres, un reportage télévisuel ayant montré il y a quelques jours seulement avant l’explosion ces exemples édifiants. La surprise étant que le dépôt n’ait pas sauté plus tôt. En réalité, le contrat passé par le gouvernement albanais et son entreprise MEICO, avec une firme américaine, prévoyait de ne récupérer que le cuivre des douilles revendu au prix du kilo. L’opération avait d’autant pris d’intérêt que les cours des métaux flambent depuis des années. Et le stock est énorme : on évalue à plus de 90 000 tonnes d’obus, de bombes et de balles le poids des différents dépôts disséminés dans le pays, que ce dernier tentait de regrouper. Selon Alexa Varriano, le choix de l’implantation du site de Gerdec n’était dû qu’à la proximité de l’aéroport, sans aucune prise en compte de la dangerosité dans la population avoisinante, uniquement pour réduire les coûts de transport ! Sans compter l’absence totale de surveillance. En juin 2000 déjà, un communiqué du ministère albanais indiquait qu’on avait perdu toute trace de 500 000 pistolets, et qu’il y en avait pour 85 millions de munitions de collectées... sur 1,5 milliard en circulation...
En réalité, les faits remontent quelques mois avant l’explosion, avec la découverte fortuite et dangereuse que font des soldats de l’armée afghane sur le point d’être attaqués par des talibans. Un lieutenant colonel curieux désireux de vérifier le contenu des fusils de ses hommes demande à un de ceux-ci de lui vider les balles de son chargeur devant lui. Avec effarement, il constate quelles sont vert-de-gris et non cuivrées. Le métal s’est oxydé... depuis le temps car elles datent des années 60 et sont.. chinoises. De 1966, exactement, et une enquête rapide (les cartons éventrés portent encore les marques d’origine) démontre qu’elles proviennent en réalité indirectement des dépôts d’un dictateur paranoïaque, d’Enver Hoxha, qui en avait stocké partout dans le pays dans la crainte d’être attaqué par l’Ouest. Ça et les affûts de DCA sur les usines, donnaient au pays des airs de pays perpétuellement dans la crainte de l’arrivée des méchants « capitalistes ». Ils ont bien pris leur revanche depuis, remarquez, vendant au plus offrant le stock accumulé pendant des années, via la mafia locale reprenant le flambeau de la distribution, en cheville avec tous les vendeurs d’armes connus, auxquels il faut ajouter les basses œuvres de la CIA, toujours encline à s’en sortir à moindres frais et sans que les Américains ne se doutent de ses exactions. Car les cartons, qui indiquent Tirana comme provenance, et plus exactement le dépôt de Gerdec, portent aussi étrangement des estampilles de Miami, en Floride. Les cartons de 9 millions de cartouches au total sont au nom de AEY (pour les prénoms de trois frères d’une même famillle, soient A, pour Avrahom Diveroli, E, pour Efraim Diveroli et Y, pour Yeshaya Diveroli), une mini-société de Floride qui avait hérité en juillet 2007 d’un contrat mirobolant de 287 millions de dollars signé avec le Pentagone pour les « Afghanistan Security Forces », la nouvelle armée afghane, conçue sur le modèle irakien (et ses mêmes déboires d’armement !). L’intermédiaire du marché étant chypriote, la société Evdin Ltd, ainsi que Petr Bernatik, bien connu des Tchèques comme marchand d’armes notoire. Le 27 mars, l’armée américaine se fend d’un communiqué indiquant que le contrat est rompu en raison de la mauvaise qualité de la prestation fournie : on y apprend que 80 livraisons ont déjà été effectuées, pour un montant de 54,6 millions de dollars, que les munitions devaient être... hongroises, et qu’en réalité certaines remontaient même à 1962... et devaient arriver à Kaboul par avion... sans préciser d’où venaient ces fameux avions. De Tirana, ou de Floride... Le communiqué de l’armée est en fait saisissant :
The Army contracted with AEY in January 2007 to supply various types of nonstandard ammunition for use by the Afghan National Army and Afghan National Police, an Army official said on background. The company was required to purchase the ammunition and deliver it to Kabul International Airport in Afghanistan. As of today, the Army has issued five task orders, collectively worth $155.3 million, the official said. AEY has made about 80 deliveries, with an estimated value of $54.6 million, into Kabul. Those deliveries violated two specific terms of the contract, the official said. One stated that the ammunition could not be acquired directly or indirectly from the People’s Republic of China, and the other specified that it must be packaged to comply with best commercial practices for international shipment. Although AEY specified that its 7.62 mm ammunition had been produced in Hungary for the civilian market, U.S. inspectors and Army investigators in Afghanistan determined that much of it actually was manufactured in China. In addition, much of the ammunition was older than specified, with some produced as early as 1962, officials said.
Et ce n’est pas tout : l’un des assistants du ministère de la Défense précise dans ce même communiqué que les « performances » ou les qualités de « sécurité » de l’entreprise ne sont aucunement remises en cause. Le hic, c’est qu’un article assassin du New York Times daté du même jour a remonté toute la filière pour annoncer au monde ébahi que le vendeur s’appelle Efraïm E. Diveroli, qu’il est âgé d’à peine 22 ans, et qu’il est devenu PDG à 19 d’une entreprise de 2 personnes dont le second, le fils d’un rabbin, a comme seule formation un diplôme de masseur ! On croit rêver, mais non, c’est bien ce drôle de jeune homme un peu perturbé qui a hérité d’un contrat officiel du Pentagone de plusieurs millions ! Il a déjà alors vendu de tout à l’armée américaine, des casques aux uniformes en passant par les... scanners X-RAY (pour détecter les armes !). Et ce malgré plusieurs heurts consécutifs avec la police avec ses différentes petite amies ou après avoir roulé avec un permis falsifié, mais avec l’assurance d’une banque de Miami comme quoi il possédait bien plus de 5 millions de dollars en 2005 sur son compte bancaire, ce qui peut paraître un peu beaucoup à son âge. Quand il décroche le contrat afghan en 2007, l’armée lui envoie un étonnant satisfecit : « AEY’s proposal represented the best value to the government. »
Au même moment pourtant, l’armée américaine offre 2 millions de dollars à l’Albanie pour détruire 2 000 tonnes de munitions du dépôt de Gerdec ! Sans savoir que son contractant y puise allègrement ce qu’elle demande de détruire !!! L’Albanie a en fait accepté la destruction progressive de son stock, car elle souhaite entrer dans l’Otan, qui lui a signifié clairement que pour ce faire, il fallait d’abord se débarrasser de son stock d’armes anciennes réputées dangereuses. L’histoire de Diveroli ne s’arrête pas là : il y a bien quelqu’un qui a dû l’inciter a devenir marchand d’armes plutôt que de faire des études de médecine. En effet, car le jeune homme n’est que l’arbre qui cache une forêt, celle d’un réseau ayant pignon sur rue de trafiquants d’armes américains.
Car ce quelqu’un si ce n’est son père, dirigeant de Worldwide Tactical LLC c’est son oncle, Bar Kochba Botach, qui dirige Botach Tactical, ou le jeune Efraïm avait travaillé quelque temps, une division de Botach Defense Group, qui vend de tout à la police ou à l’armée comme l’indique son site internet. Un site où les plaintes s’accumulent pour diverses malversations sur les tarifs ou les livraisons. Botach est également une entité multiple qui s’appelle aussi parfois Kley Zion. Et son représentant à Miami est... le jeune Diveroli. Le réel détenteur de toutes ces entreprises, en réalité, et de plus de 144 autres propriétés existantes ou non à Los Angeles est Yoav Botach (ou Boteach), 79 ans, le patriarche de la famille, dont on vient récemment de découvrir que son magasin d’armes de Crenshaw Boulevard, 43rd Place, à Los Angeles, était au départ un mont de piété, de dépôt sur gages, et qu’il n’avait jamais spécifié le changement d’activité à la mairie de la ville, et ce depuis 12 ans au moins. Dans cette étrange famille où l’on se cache parfois pour vendre des armes dans le monde entier, le fils de Yoav n’est pas en reste : c’est Shmuley Boteach, qui lui a déjà fait la une des journaux pour d’autres raisons : c’est le rabbin à la mode qui avait fait en 2000 une soirée intitulée Time for Kids, qui devait rapporter de l’argent aux enfants malades... qui n’ont jamais vu cet argent venir. Accessoirement, Shmuley est aussi l’auteur de « Kosher Sex », le livre qui a fait sa fortune et sa réputation. Efraïm lui devant rester dans l’histoire pour une chose bien plus surprenante encore : d’être le seul vendeur d’armes du Pentagone à posséder sa fiche perso sur MySpace, réalisée en 2005 avec cette mention « a super nice guy ». On veut bien le croire, mais ce n’est pas ce que doit en penser la police de Miami avec laquelle il a eu tant à faire. Selon son père, Michael souffre en fait de TDAH, ou trouble déficit de l’attention/hyperactivité, un syndrome« caractérisé par des états d’hyperactivité, des moments d’absence, des changements d’humeur, des problèmes de concentration et d’impulsivité. » L’armée américaine aurait donc conclu un contrat de près de 300 millions de dollars avec un gamin atteint de troubles de l’enfance et de l’adolescence ! Un gamin assez doué, il est vrai, puisqu’il était aussi à la tête de AmmoWorks, société créée en 2004 au Nevada sous le nom de Manchester Property Corporation. Pour vendre sur le net... des armes et des munitions grâce à une publicité fort aguicheuse, un atavisme familial sans doute ! Non, décidément, il faudra trouver autre chose pour nous faire croire que notre jeune homme mal dans sa peau puisse négocier seul avec un ministre de la Défense albanais sans bénéficier d’aides occultes et haut placées.
La CIA choisissait mieux ses contractants dans les années passées, se dit-on à lire l’étonnante carrière de notre jeune héros perturbé. Comme quoi tout se perd... y compris Efraïm, depuis introuvable sur le territoire US : il a pris la fille de l’air depuis que le contrat a été rompu et demeure introuvable depuis, bien sûr... serait-on tenté de dire. Pourtant, il avait bien alerté lui-même l’ambassade américaine à Tirana et obtenu un rendez-vous important avec les autorités, y compris jusqu’au ministre de la Défense albanais, impliqué jusqu’au cou dans l’affaire. Selon le New York Times, Diveroli avait lui-même constaté à quel point dans le pays tout était circonscrit à une mafia : « At the end, Mr. Diveroli appeared to lament his business with Albania. ’It went up higher to the prime minister and his son,’ he said. ’I can’t fight this mafia. It got too big. The animals just got too out of control.’ » Au passage, le journal cite derrière l’intermédiaire chypriote déjà cité un autre homme au dessous de tout soupçon : Heinrich Thomet, trafiquant suisse réputé. Un rapport édifiant sur les vols des avions de Victor Bout à Bagdad le mettant en cause évoquait la disparition de lots complets de mitraillettes sur le marché parallèle, à peine débarquées de Bosnie cette fois : « Some 200 000 guns the US sent to Iraqi security forces may have been smuggled to terrorists, it was feared yesterday. The 99-tonne cache of AK47s was to have been secretly flown out from a US base in Bosnia. But the four planeloads of arms have vanished. » Bien entendu, à Bagdad, personne n’avait vu les Antonov atterrir : « But air traffic controllers in Baghdad have no record of the flights, which supposedly took off between July 2004 and July 2005. » Nous avons déjà évoqué ici largement ces liens troubles entre armée américaine et les fournisseurs d’insurgés.
Pour en revenir au fameux dépôt albanais, la première réaction américaine a été d’envoyer six inspecteurs du FBI sur place. Car la firme censée nettoyer le dépôt était... américaine au départ et non albanaise. C’est Southern Ammunition (Southern Ammunition Co. Inc., or SACI), société sise à Loris, en Caroline du Sud, dans le comté de Horry County, et qui vend sur le net... des armes. Elle est en ce moment même en attente d’arrivée de nouveaux produits : « In the coming months we expect to receive some 50 caliber ammo as well as 9MM +P, and 7.62X39 Russian surplus. Check back with us from time to time, or fill out our contact form and we will keep you updated on our latest offerings. » On ne peut être plus clair. Mise en cause dans l’explosion, elle a répondu que son contrat s’était terminé le 8 décembre 2007, bien avant l’explosion. Ce qui s’appelle se laver les mains du problème. Le dépôt explosé, la firme américaine responsable du traitement des munitions rentrée chez elle, le jeune Efraïm dans la nature, il ne reste plus grand-chose à la procureure albanaise pour dérouler l’écheveau du gigantesque trafic en cours depuis des années. A moins de s’en prendre directement au gouvernement, ce qu’elle tente de faire. Mais la partie s’annonce rude : l’ambassade des Etats-Unis à Tirana, où se promenait régulièrement Diveroli, a déjà repris les choses en main. Dans une réunion tenue le 2 mai dernier, elle expliquait que tout allait mieux se passer, maintenant, puisque qu’elle avait dépêché, je cite, le bureau des « Alcools, Tabac, Armes à feu et Explosifs » pour s’occuper du problème. Sans rire. Et annoncer triomphalement que pour nettoyer le site, c’était Armor Group North America (AGNA) qui avait été sélectionné par le nouveau ministre de la Défense, Gazmend Oketa, le remplaçant de Fatmir Mediu, en cheville directe avec Donald Rumsfeld, pour continuer l’œuvre de la précédente société américaine sur place... une société privée basée à Londres que l’on retrouve essentiellement déployée... en Irak... : « There is no doubt that war has been good for business. ArmorGroup’s revenue has grown from about $110 million in 2003 to $273 million. This week, The Guardian newspaper reported that the United Kingdom has spent $165 million on hiring private security companies in Iraq in the past four years - the equivalent of about a quarter of the entire Iraq aid budget. A further $43 million has been spent on private guards in Afghanistan since 2004 ».
Une firme dont la crédibilité est sérieusement en cause en Afghanistan, deux de ses anciens employés l’attaquant aujourd’hui en procès pour avoir été débarqués après avoir dénoncé son incapacité à protéger l’ambassade afghane... Pour un autre contrat mirobolant : « James Sauer and Peter Martino are suing London-based ArmorGroup International and its U.S. arm, ArmorGroup North America. Their complaint says they were fired after telling the U.S. State Department that the firm was unable to satisfy a $187 million government contract to provide security to an embassy in Kabul, Afghanistan. »
Voilà près de 200 millions de dollars qui valent bien les 300 dont avait hérité un gamin de 22 ans, en définitive. Au royaume des corrompus, seuls les trafiquants d’Etat sont rois. On le voit, les containers, présents aussi bien en Irak qu’en Albanie, servent à tout, et surtout à cacher des armes qui sont achetées et revendues par des trafiquants qui bénéficient clairement de la bienveillance des Etats. Ici, notamment, l’Albanie, les Etats-Unis et l’Irak, où la CIA pointe constamment derrière des transferts douteux. Nous verrons dans un prochain volet que les Balkans regorgent d’autres trafics, et d’autres liens avec les groupuscules d’obédience néo-nazis, et que d’autres ports, tel Odessa, constituent d’autres plaques tournantes dangereuses, en revenant une dernière fois sur Anvers, où un autre volet du problème est resté en suspens : celui du transport de produits irradiants, sans que la population, une fois encore, ne soit informée des dangers réels de ces trafics.
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