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Accueil du site > Actualités > International > Colombie | Les raisons du « NON » colombien au référendum

Colombie | Les raisons du « NON » colombien au référendum

Tout le monde essaie de comprendre ce qui s’est passé lors du référendum sur la ratification de l’accord de paix en Colombie. Quelques questions viennent d’emblée à l’esprit : Pourquoi si peu de personnes ont voté (seulement 32 %) ? Pourquoi 50,2 % d’entre elles ont voté NON à un accord de paix après 52 ans de conflit ?

de David Andersson

Il faut aborder la question à un niveau plus subtil si nous voulons en comprendre les causes profondes.

D’abord, les personnes auraient voté NON à n’importe quelle question ; elles auraient voté non si la question avait porté sur un changement des feux de signalisation. Le NON ne portait pas vraiment sur l’accord entre les FARC et le gouvernement, mais plutôt sur l’état existentiel de la vie des citoyens.

Dans bien des régions du monde, les personnes vivent vraiment une crise majeure. Elles souffrent, elles ne trouvent pas de remède à leur souffrance et jettent le blâme sur autrui (les immigrants, les musulmans, les FARC, etc.). Avez-vous remarqué ce qui s’est produit en Hongrie ? Et ce qui est arrivé avec la crise des migrants en Europe ? Et avec Daech ? Et avec le référendum sur le Brexit ? Et le Brésil ? Ce ne sont là que quelques exemples. Le problème est mondial et ne se limite pas à la Colombie. Nous faisons face à une situation grave qui ne peut être résolue simplement en promouvant la paix avec une bannière dans la rue. La déshumanisation sociale se propage comme un feu porté par le vent.

Partout dans le monde, une nouvelle catégorie croissante de personnes, menant une vie dénuée de sens, violente et remplie de contradictions, obtiennent un espace social et politique. Elles veulent vivre en paix, mais votent NON lors du référendum.

Les personnes qui ont voté OUI ne doivent pas oublier que parmi celles qui ont voté NON se trouvent peut-être leurs mères, leurs pères, leurs frères, leurs sœurs, leurs collègues et leurs voisins. Elles étaient dans le camp du OUI avant, mais il s’est produit quelque chose dans leur vie, un accident quelconque (perte d’emploi, divorce, etc.) et elles ont pris peur. Elles ont fermé la porte, se sont déprimées et ont changé le cours de leur vie, entraînées par le désir de vengeance et des calculs égoïstes. Il existe évidemment des personnes qui ont voté NON parce qu’elles avaient un grand intérêt à le faire : la guerre est l’un des plus importants moteurs de l’économie mondiale. En effet, les médias dominants aiment la violence et les conflits parce qu’ils en tirent de l’argent, et les fronts politiques – qui sont également financés par ces institutions – effraient les gens pour manipuler le vote.

Comment inverser cette orientation destructrice ? Comment offrir un avenir à nos familles, nos amis, nos êtres chers ? C’est à chacun de nous de répondre à ces questions et de commencer à donner un sens plus profond aux gestes que nous posons et à notre propre vie.

Je termine en citant le dernier paragraphe de la Guérison de la souffrance, un message prononcé par Silo à Punta de Vacas, en Argentine, en 1969 : « Mon frère ! là, dans l’Histoire, l’être humain porte le visage de la souffrance. Regarde ce visage plein de souffrance… Mais rappelle-toi qu’il est nécessaire d’aller de l’avant, nécessaire d’apprendre à rire et nécessaire d’apprendre à aimer. À toi mon frère, je lance cet espoir, cet espoir de joie, cet espoir d’amour afin que tu élèves ton cœur et ton esprit et afin que tu n’oublies pas d’élever ton corps. »

 

Traduit de l’anglais par : Silvia Benitez

 

Ici l'article orginal sur le site de notre partenaire. 


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14 réactions à cet article    


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 11 octobre 2016 13:03

    J’ai lu quelque part que la désaffection des Colombiens pour les urnes s’expliquait par le déficit de crédibilité du président Santos. 

    Peut-être s’agit-il d’une désaffection pour « les urnes », c’est-à-dire pour une comédie électorale ?
    Et peut-être, comme le suggère l’auteur, ce malaise est-il global sur la planète, pusque les choses ne s’infléchissent jamais, quels que soient les résultats des votes.
    Les grands bouleversements de l’histoire ne se sont pas produits à la suite de consultations électorales ! Les avancées progressistes non plus : si un référendum avait été organisé en France pour l’abandon de la peine de mort, le résultat aurait sans doute été décevant.
    Il ne s’agit pas de pessimisme, mais de lucidité et de réalisme.
    Quand on veut être informé, il ne faut rien attendre du JT.
    Quand on veut un vrai changement politique et social, il ne faut rien attendre des consultations électorales.


    • Alpo47 Alpo47 11 octobre 2016 13:50

      J’avoue ... je ne connais rien à la situation intérieure Colombienne.

      Et, tout de même, je pense qu’il ne faut pas tomber dans le piège du « détournement d’attention. Rappelons nous J.Chirac qui ,au lendemain du référendum européen, affirmait que les Français n’avait pas répondu à la question, mais s’étaient opposé au gouvernement, avaient ainsi voulu exprimer leur mécontentement ... etc. Manipulation pour éviter de dire que la majorité des Français s’opposaient au système européen, dont on voit de plus en plus les dérives aujourd’hui.Mais pour les »élites« , il était inconcevable de l’admettre.
      Pour ce qui est de la Colombie, il est aussi probable/possible -presque certain en fait- que 50 ans de guerre aient installé des haines. Massacres, assassinats ... etc ... ne s’oublient pas d’un trait de plume.

      Et si les Colombiens -dont la majorité n’ont connu que cette guerre- et connaissant fort bien la réalité des adversaires refusaient de pardonner, de »passer l’éponge" ? Ce n’est pas également crédible ?
      Dois je forcément pardonner à ceux qui ont pillé, volé, massacré des proches (des deux cotés, je précise) ?


      • njama njama 11 octobre 2016 20:20

        Les FARC, un État dans l’État puisqu’il contrôle une bonne partie du territoire colombien, et tous ceux qui les soutiennent ont peu confiance dans cet accord

        Ce n’est pas qu’ils ne croient pas dans la paix, mais dans l’accord il est question qu’ils désarment, et ça ils n’y sont pas prêts ...ils veulent se garder quelques garanties sous le coude.

        Ce premier résultat 50,2 % contre 49,8%, est cependant un bon signal même si le taux d’abstention est élevé ... il indique que les négociations doivent avancer, et peut-être déjà se concrétiser matériellement en partie ... avant de recueillir l’approbation du vote ...



        • njama njama 11 octobre 2016 20:24

          l’émission sur M6 de Bernard de la Villardière qui était pas mal, Enquête au cœur de la Colombie avec les FARC
          ça donnait assez une bonne idée de la situation ...

          Les médias se monopolisent sur les FARC, mais il y a aussi l’ELN, l’Armée de libération nationale (espagnol : Ejército de Liberación Nacional), deuxième groupe rebelle, ainsi que le M-19 (Movimiento 19 de Abril) autre groupe de guérilla

          L’accord de paix avec les FARC ...
          parmi eux, s’ils sont ouverts, qu’ils préféreraient y croire, ils restent très méfiants, et disaient assez clairement que de désarmer il en était hors de question, au moins pour un certain nombre d’entre eux. Et certains faisaient comprendre que ceux qui n’étaient pas « pour » cet accord de paix, iraient se faire enrôler dans l’ELN, ou dans d’autres groupes.
          Le sujet très sensible de l’accord était qu’il fallait désarmer, ce qui pour une milice dans le contexte d’une guerre civile de longue durée peut se comprendre.

          Au Liban par exemple les milices chrétiennes ou musulmanes suite à la guerre de 1982 n’ont pas désarmé de suite, et le Hezbollah a bien fait de garder les siennes ce qui lui a permis de repousser l’envahisseur israélien chez lui à plusieurs reprises.


          • njama njama 12 octobre 2016 00:08

            un article bien documenté :

            Pourquoi le peuple de Colombie a-t-il voté NON aux accords de paix ?
            10 Oct 2016 Tarik Bouafia Traduit de l’espagnol par Manuel Colinas

            Source : Le Journal de Notre Amérique n°18, octobre 2016, Investig’Action

            http://www.investigaction.net/pourquoi-le-peuple-de-colombie-a-t-il-vote-non-aux-accords-de-paix/

            sur le même site, articles associés :

            Le référendum sur la paix en Colombie, une occasion manquée
            04 Oct 2016 Atilio Boron 

            10 mensonges que les médias ne cessent de ressasser en Colombie
            28 Sep 2016 Héctor-Leon Hernandez

            Colombie : va-t-on prendre le problème du para-militarisme au sérieux ?
            31 Mar 2016 Julian Cortés

            Les FARC-EP de Colombie demandent au Parlement Européen de les retirer de la liste des organisations terroristes
            07 Mar 2016 Julian Cortés  


            • chantecler chantecler 12 octobre 2016 10:15

              Nous avons peu idée du niveau de la violence dans les affrontements politiques , idéologiques , et armés en Amérique centrale et latine , passés et présents .
              Ce ne sont pas des insurrections armées , communistes , contre des états démocratiques mais contre des gouvernements fascistes qui raflent , tuent , torturent avec des raffinements gestapistes ou miliciens .
              Parfois ce sont des familles , des groupes , des villages entiers qui disparaissent ...
              Lesquels gouvernements sont toujours soutenus par les USA , qui leur prêtent main forte , en $ , en armement , en conseillers , en troupes ...
              Alors qu’il y ait de la méfiance pour s’afficher, pour rendre les armes , ça peut se comprendre .
              Je ne sais pas si ce que j’écris de général s’applique à la Colombie en particulier , je ne connais pas assez le sujet .
              Je ne sais pas non plus si tout cela ne concerne que le passé ou c’est encore actif .
              Si certains contributeurs ont des informations plus précises , je les lirais volontiers .
              Ce que je sais c’est que l’hystérie anti communiste avec le maccarthysme , les échos de la guerre froide , les situations tendues, voire critiques ,dont nous avons eu connaissance dans notre pays via nos médias ont peu de rapport en horreur avec ce qui se passait sur le terrain .
              Si : la guerre du Vietnam , avant celle de Corée , le nombre de victimes avec l’utilisation de bombes incendiaires , de napalm ,de défoliants , de la torture , des liquidations donnent une idée du problème .


              • njama njama 12 octobre 2016 11:34

                bonjour chantecler

                Si certains contributeurs ...

                « Les veines ouvertes de l’Amérique latine » de Eduardo Galeano ça devrait vous apporter un magnifique éclairage sur tout le continent latino

                L’art et la manière de piller un continent : « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », Eduardo Galeano

                On l’avait évoqué il y a peu, on y revient derechef. C’est que l’ouvrage d’Eduardo Galeno constitue non seulement la meilleure introduction à l’histoire trop méconnue d’un continent martyre, mais se parcourt aussi comme un roman passionnant. Alors on insiste : il faut lire ce classique, ne serait-ce que pour mieux comprendre le paysage politique de l’Amérique Latine.

                http://www.article11.info/?L-art-et-la-maniere-de-piller-un

                bonne lecture, ratez pas ça ... c’est édifiant, hallucinant ...


              • njama njama 12 octobre 2016 11:56

                Dédicace, et hommage aux combattantes des FARC, las « Mujeres de la guerilla »

                « Yo fui una vez », canción interpretada por Silvio Rodriguez, para el documental « Mujeres de la guerrilla ».
                (paroles et traduction perso en français ci-dessous)
                https://www.youtube.com/watch?v=AUktdZFhQ50

                Yo fui una vez al monte,
                yo fui una vez lucero,
                yo fui una vez sinsonte*,
                yo fui una vez lo nuevo

                Lo nuevo (bis)
                sinsonte (bis)
                el cielo (bis)
                y monte (bis)

                Bendita, bendita aquella vez.

                Yo fui una vez la fuente,
                yo fui una vez ventana,
                yo fui una vez simiente,
                yo fui una vez mañana

                Mañana (bis)
                simiente (bis)
                ventana (bis)
                y fuente (bis)

                Bendita, bendita aquella vez (bis)
                Bendita, bendita
                Bendita, bendita
                ...
                A la patrona yo le pediré en la ermita
                Bendita, bendita aquella vez
                que nos libere del bloqueo y de los trogloditas *
                Bendita, bendita aquella vez
                que la salida y las entradas sean expeditas
                Bendita, bendita aquella vez
                para que la existencia de los hijos sea bonita
                Bendita, bendita aquella vez
                y que opinar deje de ser jugar con dinamita
                Bendita, bendita aquella vez
                a ver si la fraternidad humana resucita
                Bendita, bendita aquella vez
                a ver si al fin la lucidez del alma nos visita
                Bendita, bendita aquella vez
                y llegue la oportunidad de ser cosmopolitas

                dime Cachita
                 ---------------------
                Je suis allé une fois à la montagne,
                j’ai été une fois étoile,
                j’ai été une fois l’oiseau-moqueur *
                j’ai été une fois le nouveau
                Le nouveau,
                oiseau -moqueur
                le ciel
                et une montagne

                Bénie, bénie, cette fois-là
                Bénie, bénie, ... cette fois-là

                J’ai été une fois la fontaine,
                j’ai été une fois fenêtre,
                j’ai été une fois semence,
                j’ai été une fois demain
                Demain,
                une semence,
                une fenêtre
                et une fontaine

                Bénie, bénie, cette fois-là.
                Bénie, bénie, ... cette fois-là

                Je demanderai à la patronne dans l’ermitage
                qu’elle nous libère de l’embargo et des barbares  
                que la sortie et les entrées soient dégagées
                pour que l’existence des enfants soit jolie
                et que penser cesse d’être de jouer avec de la dynamite
                pour voir si la fraternité humaine ressuscite
                pour voir si enfin la lucidité de l’âme nous visite
                et qu’arrive l’opportunité d’être cosmopolite

                dis-moi Cachita

                * sinsonte : Le Moqueur polyglotte (Mimus polyglottos) Cet oiseau est connu pour sa capacité à imiter le chant des autres oiseaux avec néanmoins quelques variations : le chant imité est plus rapide et de volume sonore plus élevé. Il est aussi capable d’imiter des sirènes d’alarme, de bruits de voiture et autres sons.
                http://fr.wikipedia.org/wiki/Moqueur_polyglotte

                * troglodita : 1 (habitante de las cavernas) troglodita mƒ. / 2 fam (persona bárbara, cruel) barbare m (los trogloditas)


                • chantecler chantecler 12 octobre 2016 12:45

                  @njama
                  Bonjour et merci .
                  Je ne manquerai pas de lire et visionner tout ça .
                  Cdt.
                  Cr.


                • chantecler chantecler 13 octobre 2016 08:40

                  @chantecler
                  J’ai trouvé cet article ce matin :

                  Henry Kissinger a-t-il une conscience ? (New Yorker)
                  Jon Lee ANDERSON

                  Le mois de mai dernier, alors que le président Obama se rendait en Argentine pour se réunir avec le nouveau président, Mauricio Macri, ses apparitions publiques ont été tourmentées par des manifestants qui ont bruyamment demandé des explications, ainsi que des excuses, au sujet des pratiques étasuniennes, passées et actuelles. Il existe peu de pays en Occident où l’antiaméricanisme s’exprime aussi vigoureusement qu’en Argentine, où une culture très politisée de la plainte a évolué vers une situation dans laquelle de nombreux problèmes du pays sont reprochés aux Etats-Unis. Il existe à gauche, tout particulièrement, une rancune persistante à cause du soutien octroyé par le gouvernement des Etats-Unis à l’aile droite militaire Argentine, qui a pris le pouvoir en mars 1976 et a instauré une « Guerre sale » contre la gauche, causant la mort de milliers de vies durant les sept années qui suivirent.

                  La visite d’Obama a coïncidé avec le quarantième anniversaire du coup d’État. Il a précisément rendu hommage aux victimes de la Guerre sale en visitant un sanctuaire construit en leur honneur dans la périphérie de Buenos Aires. Lors d’un discours prononcé à cet endroit, Obama a reconnu ce qu’il a appelé le « péché par omission américain », mais sans aller jusqu’à présenter de véritables excuses. "Les démocraties doivent avoir le courage de reconnaître lorsqu’elles ne sont pas à la hauteur des principes qu’elles proclament, (...) et nous avons été trop lents à parler franchement de la question des droits de l’homme, et ce fut le cas ici."

                  Durant la période préparatoire du voyage d’Obama, Susan Rice, la conseillère pour la sécurité nationale du président, avait annoncé l’intention du gouvernement de déclassifier des milliers de documents de l’armée étasunienne et des services secrets appartenant à cette période tumultueuse de l’histoire Argentine. Un geste de bonne volonté dans le but de souligner les efforts en cours mis en place par Obama pour changer la dynamique des relations entre les Etats-Unis et l’Amérique latine – « pour enterrer les derniers vestiges de la Guerre Froide », comme il l’avait signalé à La Havane lors de ce même voyage.

                  La semaine dernière, une première tranche de ces documents déclassifiés a été publiée. Les documents révèlent que des fonctionnaires de la Maison Blanche et du Département d’Etat étaient très au fait du caractère sanguinaire de l’armée argentine, et que certains de ces fonctionnaires étaient horrifiés par ce qu’ils savaient. D’autres, tout particulièrement Henry Kissinger, ne l’étaient pas du tout. Dans un câble de 1978, l’ambassadeur étasunien, Raul Castro, écrit à propos d’une visite de Kissinger à Buenos Aires, où il était reçu en tant qu’invité du dictateur, Jorge Rafael Videla, alors que le pays recevait la Coupe du Monde : "Mon unique préoccupation est que le concert intarissable d’éloges de Kissinger au sujet des mesures prises par l’Argentine pour éradiquer le terrorisme ne soit trop monté à la tête de ses hôtes« , écrivit Castro. L’ambassadeur poursuivit anxieusement : »Nous courons le risque que l’Argentine utilise les éloges de Kissinger comme justification pour durcir sa position vis-à-vis des droits de l’homme."

                  Les dernières révélations dévoilent le portrait d’un Kissinger qui a agi comme l’incitateur impitoyable, pour ne pas dire co-conspirateur actif, des régimes militaires latino-américains impliqués dans des crimes de guerre. Des documents déclassifiés antérieurement, sous l’administration Clinton, avaient déjà prouvé que Kissinger, non seulement était au courant des agissements des militaires, mais aussi qu’il les avait activement encouragés. Deux jours après le coup d’Etat en Argentine, Kissinger est briefé par son Secrétaire d’Etat assistant pour les affaires Inter-Américaines, William Rogers, qui le prévient : "Je pense qu’il faut s’attendre à pas mal de répression, probablement à une bonne dose de sang, d’ici peu en Argentine. Je pense qu’ils vont devoir s’en prendre très durement non seulement aux terroristes mais aussi aux dissidents des syndicats et des partis opposants.« Ce à quoi Kissinger répond,  »Quelles que soient les risques qu’ils encourent, ils auront besoin d’un peu d’encouragement... et je veux vraiment les encourager. Je ne veux pas leur donner l’impression qu’ils ont les Etats-Unis sur le dos."

                  Sous la direction de Kissinger, il est certain que [les militaires] n’étaient pas tourmentés. Juste après le coup d’Etat, Kissinger a envoyé son soutien aux généraux et a renforcé ce message en approuvant un ensemble de mesures d’assistance sécuritaire américaine. Durant une réunion avec le Ministre argentin des Affaires étrangères, deux mois plus tard, Kissinger lui conseilla en clignant de l’œil, d’après le mémo de la conversation archivé, "Nous sommes conscients de la période difficile que vous traversez. Ce sont des temps étranges, où les activités politiques, criminelles et terroristes tendent à se rejoindre sans séparation claire. Nous comprenons que vous deviez rétablir votre autorité. .. S’il y a des choses à faire, vous devriez les faire rapidement."

                  Les forces militaires argentines ont fait un coup d’Etat afin d’étendre et d’institutionnaliser une guerre qui était déjà en cours contre les guérillas de gauche et leurs sympathisants. Ils appelèrent cette campagne le Processus de Réorganisation Nationale, ou plus simplement « le processus ». Durant la Sale guerre, nous le savons bien aujourd’hui, jusqu’à 30 000 personnes ont été enlevées, torturées et exécutées par les forces de sécurité. Des centaines de suspects ont été enterrés anonymement dans des fosses communes, des milliers d’autres furent déshabillés, drogués, embarqués dans des avions militaire et lancés en plein vol à la mer, vivants. Le terme « los desaparecidos » – « les disparus » – est depuis devenu un apport de l’Argentine au vocabulaire de l’humanité.

                  Pendant la période du coup d’Etat, Gerald Ford était le président intérimaire des Etats-Unis et Henry Kissinger avait la double fonction de Secrétaire d’Etat et conseiller pour la Sécurité nationale, postes qu’il avait déjà occupé pendant l’administration de Nixon. Immédiatement après les événements en Argentine, suite aux recommandations de Kissinger, le Congrès des États-Unis a approuvé la demande d’assistance en matière de sécurité de la junte pour un montant de 50 millions de dollars, auxquels se sont ajoutés 30 millions de dollars avant la fin de cette même année. Des programmes d’entraînement militaires et des ventes d’avion pour une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars ont aussi été autorisés. En 1978, après un an de présidence de Jimmy Carter, les inquiétudes en matière de violations des droits de l’homme ont mis fin à l’aide étasunienne. Plus tard, la nouvelle administration a cherché à écarter la junte militaire de toute assistance financière internationale. Néanmoins, ces restrictions ont été annulées avec l’arrivée de Reagan à la Maison-Blanche, début 1981.


                • chantecler chantecler 13 octobre 2016 08:42

                  Seconde partie , suite et fin :

                  Dans les faits, Kissinger n’a jamais été inquiété pour ses actions au Chili, où des milliers de personnes ont été assassinées par les hommes de main de Pinochet, ou pour le Vietnam ou le Cambodge, où il a ordonné des bombardements aériens à grande échelle qui ont couté la vie d’innombrables civils. L’un de ces principaux critiques, feu Christopher Hitchens, a publié en 2001 un pavé accusateur –« Le Procès de Henri Kissinger » – dans lequel il réclamait que Kissinger soit poursuivi "pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et pour infractions contre le droit coutumier ou international, incluant la conspiration pour commettre des meurtres, des enlèvements, et la torture".

                  En pleine Guerre Sale, bien entendu, les généraux argentins nièrent tout simplement tout événement malencontreux. Interrogés au sujet des « disparus », le leader du coup d’Etat, le Général Videla, expliqua avec une froide ambiguïté, « Les disparus sont simplement cela : des disparus. Ils ne sont ni vivants ni morts. Ils sont disparus ». D’autres officiers suggéraient que les disparus étaient probablement en train de se cacher, préparant des actions terroristes contre la patrie. En réalité, la grande majorité d’entre eux était brutalisée par des agents gouvernementaux dans des prisons secrètes, pour être ensuite – ans la plupart des cas – exécutés. Comme en Allemagne durant l’holocauste, une grande partie de la population argentine comprenait ce qu’il se passait, mais gardait le silence dans un esprit de complicité, ou de peur. Signe d’une époque durant laquelle il était plus simple de se voiler la face, les Argentins qui assistaient à l’enlèvement de leurs voisins par des policiers en civil pour ne jamais revenir adoptèrent une expression qui devint populaire dans le pays : « Algo habrán hecho » – « Ils ont sûrement fait quelque chose ».

                  De nombreuses preuves sont là pour confirmer l’insensibilité totale de Kissinger, pour certaines aussi inexplicables que choquantes. Il y a aussi une attitude machiste dans certaines de ses remarques. Cela pourrait se comprendre, peut-être, s’il n’avait jamais vraiment exercé de pouvoir, comme c’est le cas jusqu’à maintenant du candidat à la présidence Donald Trump et ses offenses gratuites. Et puis l’on se rend compte que Kissinger, la plus ancienne et emblématique figure de paria de l’histoire moderne des États-Unis, n’est qu’un individu parmi toute une série de personnages à la fois craints et méprisés à cause de l’immoralité des services qu’ils ont rendu mais toujours protégés par l’establishment politique en reconnaissance de ces mêmes services. Les noms de William Tecumseh Sherman, Curtis LeMay, Robert McNamara, et, plus récemment, Donald Rumsfeld, nous viennent à l’esprit.

                  Dans le remarquable documentaire d’Errol Morris The Fog War (2003), nous voyions que Mc Namara, qui était un octogénaire à l’époque, était un homme tourmenté qui affrontait ses vieux démons, sans y parvenir, à cause du fardeau moral dû à ses actions en tant que Secrétaire de la Défense américain pendant la Guerre du Vietnam. Il a récemment publié un mémoire dans lequel il tente de faire face à son héritage. A cette période, un journaliste nommé Stephen Talbot l’a interviewé, et a ensuite obtenu une interview avec Kissinger. Il écrivit plus tard sur sa première rencontre avec Kissinger : « Je lui ai dit que je venais d’interviewer Robert McNamara à Washington. Ça a retenu son attention, tout d’un coup il est devenu sérieux et puis il a fait quelque chose d’extraordinaire. Il a commencé à pleurer. Mais non, pas avec de vraies larmes... Tout juste devant moi, Henri Kissinger était en train de faire du théâtre. « Boohoo, boohoo, » fit-il, en imitant un bébé qui pleure en frottant ses yeux. "Il s’autoflagelle encore n’est-ce pas ? Il se sent encore coupable." Il dit cela d’une voix chanteuse et d’un ton moqueur, en se tapotant le cœur. »

                  McNamara est mort en 2009,à l’âge que Kissinger a aujourd’hui – 93 ans – mais les problèmes de conscience qu’il a publiquement exprimés vers la fin de sa vie ont aidé à adoucir sa sombre réputation. Maintenant qu’il approche la fin de sa vie, Kissinger doit se demander quel sera son propre héritage. Il peut être sûr que, au moins, son inébranlable soutien au projet de la superpuissance américaine, peu importe ce qu’il aura coûté en vies, représentera une grande part de cet héritage. Néanmoins, contrairement à McNamara qui aura tenté d’exprimer une certaine repentance tant méprisée par Kissinger, celui-ci n’a fait que démontrer qu’il ne possédait pas de conscience. Et c’est pour cela qu’il paraît fort probable que l’histoire ne l’acquittera pas si facilement.

                  Jon Lee Anderson, est un journaliste, contributeur du New Yorker depuis 1998.

                  Le New Yorker est un magazine hebdomadaire étasunien fondé en 1935 qui publie des reportages mais aussi de la critique, des essais, des bandes dessinées, de la poésie et des fictions. Depuis 2004, il a soutenu les candidats démocrates à la Maison Blanche. Il est catalogué comme étant de tendance libérale.

                  Traduit pour Le Grand Soir par Luis Alberto Reygada (Twitter : @la_reygada – [email protected]).

                  20 août 2016


                • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 12 octobre 2016 12:26

                  MAIS C’EST TELLEMENT SIMPLE...


                  La Colombie est un pays intelligent, le peuple colombien est un peuple intelligent : 

                  LA PAIX N’EST POSSIBLE QUE PAR L’APPLICATION DES LOIS JUSTES  !

                  Vous voulez voir la Colombie faire comme l’Algérie guidée par la perfide France ? Vous voulez voir encore une DISCORDE NATIONALE EN COLOMBIE qui empêchera durablement la PAIX ? 

                  LE NON RESPECT DES LOIS ET LA NON-APPLICATION DES LOIS JUSTES QUI INSTAURENT LA JUSTICE EST LA DÉFINITION MÊME DU TERRORISME DE RÉGIME OU D’ÉTAT !

                  Heureusement que le boomerang est là : Tous les pays magouilleurs (comme la France) qui trompent les pays idiots seront eux aussi atteints ! 

                  • L'enfoiré L’enfoiré 12 octobre 2016 19:29

                    Pourquoi un tel référendum ?

                    L’article y répond.
                    Alors imaginons ce qui se serait passé au lendemain de la seconde guerre mondiale s’il y avait eu un référendum. 

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