Criminels de guerre en ex-Yougoslavie : la justice sélective du TPIY
Ce 24 mars 2016 marquait un double événement au regard des terribles guerres de l'ex-Yougoslavie : la condamnation, par le TPI, de Radovan Karadzic, l'ancien président des Serbes de Bosnie, à 40 ans de prison et, parallèlement, le dix-septième anniversaire du début des bombardements de l'OTAN, en 1999, contre la Serbie.
Une double date historique à laquelle la presse internationale, légitimement concentrée sur les attentats terroristes de Bruxelles, n'a cependant pas prêté l'attention qu'elle méritait, bien que ces tragiques événements soient pourtant liés, à y regarder de près, entre eux.
Qu'il me soit d'abord permis, avant d'aller plus en profondeur dans cette analyse, de commenter ce verdict émis, à l'encontre de Karadzic, par ce Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, lequel, à voir la très sélective manière dont il ne cesse de rendre ses jugements depuis sa création – l'emprisonnement de tous les responsables politiques et militaires serbes et, à l'inverse, l'acquittement de presque tous les dirigeants bosno-musulmans, croates ou kosovars – semble être une institution dont le très partial fonctionnement n'a souvent rien à voir, par ses orientations politiques, avec une justice digne de ce nom, objective et impartiale.
Loin de moi, certes, la volonté de minimiser les crimes de guerre, et contre l'humanité, dont les Serbes se sont rendus coupables, entre 1992 et 1995, en Bosnie, puis, entre 1998 et 1999, au Kosovo : nier qu'ils y pratiquèrent une odieuse épuration ethnique, tout comme ils y perpétrèrent une série de massacres ressemblant furieusement à de non moins abominables génocides (dont celui de Srebenica), serait faire preuve là, outre d'une très suspecte mauvaise foi, d'un négationnisme historique de mauvais aloi.
UNE FUNESTE « DECLARATION ISLAMISTE »
Mais ce qui, par-delà ce constat, ne laisse toutefois pas de surprendre l'observateur neutre, c'est de voir à quel point les responsables bosno-musulmans, croates ou kosovars, ont été systématiquement acquittés, au contraire, pour les mêmes crimes : ni l'ancien président des Bosno-Musulamans, Alija Izetbegovic, auteur d'une très fondamentaliste « Déclaration Islamique », laquelle n'a rien à envier, par son fanatisme, aux idéologues d'Al Qaïda ou de Daesh, ceux-là mêmes qui mettent aujourd'hui à feu et à sang notre Europe libre et démocratique, ni l'ancien président de la Croatie, Franjo Tudjman, antisémite notoire et révisionniste chevronné, n'ont jamais été inquiétés, quant à eux, par ce Tribunal. Au contraire : ils sont morts, couverts d'honneur, de leur belle mort, enterrés tels des héros, si ce n'est des martyrs !
Devrais-je donc pourtant rappeler ici ce que ce même Izetbegovic écrivait en cette funeste « Déclaration Islamique », publiée, en 1990, à Istanbul, en Turquie ? Elle y stipule, niant là de manière flagrante les valeurs de nos sociétés laïques, qu’ « il n’y a pas de paix ni de coexistence entre la religion islamique et les institutions sociales et politiques non islamiques ». Et encore, ces mots dans la droite ligne de l’intégrisme religieux le plus dangereux pour la sauvegarde de nos démocraties : « Avant le droit de gouverner lui-même et son monde, l’islam exclut clairement le droit et la possibilité de la mise en œuvre d’une idéologie étrangère sur son territoire. Il n’y a donc pas de principe de gouvernement laïc, et l’État doit être l’expression et le soutien de concepts moraux de la religion. ». Édifiante, cette étrange et contradictoire conception de la tolérance, où tout humanisme se voit exclu !
AL QAÏDA ET L'ETAT ISLAMIQUE EN BOSNIE
Ainsi une adéquate, précise et juste résolution de l'ONU devrait-elle également condamner, là aussi pour « crimes de guerre » et « crimes contre l'humanité », les atrocités commises par les forces militaires et paramilitaires bosno-musulmanes, alors sous la férule de Naser Oric, à peine moins monstrueux que le féroce Ratko Mladic. C'est, du reste, le général Philippe Morillon, alors commandant en chef des troupes de la FORPRONU, qui l'atteste en un implacable « j'accuse », hélas trop peu entendu par le conformisme médiatique tout autant que l'antiserbisme ambiant : « Dans la nuit du Noël orthodoxe, nuit sacrée de janvier 1993, Naser Orić a mené des raids sur des villages serbes... Il y a eu des têtes coupées, des massacres abominables commis par les forces de Naser Orić dans tous les villages avoisinants », avait-il eu le courage de déclarer.
Ces villages bosno-serbes, rasés au sol et incendiés, dont Morillon parle ici, je les ai parcourus en voiture, ainsi que je le relate dans mon livre intitulé « Requiem pour l'Europe - Zagreb, Belgrade, Sarajevo » (Éd. L'Âge d'Homme), le 21 mai 1993. Ils ont pour tragique nom, répartis entre les petites villes de Zvornik et Bratunac, non loin de Srebrenica : Tekija, Milici, Staklar, Kravica, Nova Kasaba, Konjevic Polje, Jezestica, Silijkovici, Kajici, Ranca, Repovac et Cerska. Naser Oric et ses sanguinaires hommes s'y sont rendus là coupables, en effet, des pires exactions à l'encontre des populations civiles serbes. Plus une âme qui vive ! Terre brûlée ! Hallucinant !
Mais le pire, en cette déplorable histoire, c'est que, chose aussi inacceptable qu'indigne de la part du TPIY, ce même Naser Oric a été acquitté, quant à lui, pour ces innombrables meurtres !
LE DJIHAD DU « GANG DE ROUBAIX »
Pis : il est désormais avéré que les forces bosno-musulmanes d'alors étaient largement infiltrées par des combattants, particulièrement sanguinaires, d'Al Qaïda, accourus, afin d'y venir porter secours à leurs « frères musulmans », d'Afghanistan, d'Iran, du Pakistan et d'Arabie Saoudite : « Allah Akhbar !, criaient-ils en décapitant leurs ennemis serbes, avant de jouer parfois au football avec leurs têtes !
Car il est un fait tout aussi avéré que les premières décapitions de ce qui deviendra par la suite l' « État Islamiste », celui-là même qui terrorise aujourd'hui des villes comme Paris ou Bruxelles, eurent lieu, à l'encontre des Serbes, en Bosnie. Aussi est-ce sur ce même territoire, au temps de la guerre en ex-Yougoslavie, que naquit, en Europe, le djihadisme, ainsi que l'atteste encore, parmi d'autres exemples, le fameux « Gang de Roubaix », cellule terroriste française ( http://www.lepoint.fr/societe/bosnie-kosovo-quand-allah-s-en-allait-en-guerre-15-11-2012-1529277_23.php) !
CRIMES DE GUERRE EN CROATIE
Que le sens de l'équité demeurât seulement vœu pieux pour ce TPIY, c'est ce qui, au vu de cette scandaleuse impunité dont y jouissent les criminels bosniaques, croates ou kosovars, voilà qui ne fait aucun doute. Cet injuste « deux poids, deux mesures », on le vit encore à l’œuvre, il n'y a guère si longtemps, lorsque l'un des principaux généraux croates, Ante Gotovina, fut tout simplement innocenté puis libéré, le 16 novembre 2012, de son principal chef d'accusation puisqu'il était tenu pour responsable de l'opération « Tempête » (« Oluja », en serbo-croate), une opération militaire éclair qui se caractérisa, entre les 1er et 5 août 1995, par le pire des nettoyages ethniques : 250.000 Serbes, tous civils, y furent chassés sans ménagement, bombardés pendant quatre jours d'affilée, du territoire de la Krajina lors de ce que Franjo Tudjman, appelait, de sinistre mémoire, une « guerre de reconquête » (http://www.lepoint.fr/invites-du-point/daniel-salvatore-schiffer/ex-yougoslavie-le-scandaleux-verdict-du-tpiy-16-11-2012-1529841_1446.php) !
KOSOVO : TRAFIC D'ORGANES HUMAINS
Quant à l'ancien leader militaire de l'Armée de Libération du Kosovo (UCK), Hashim Taci, il est aujourd'hui président de ce même Kosovo, après en avoir été le Premier-Ministre puis le Ministre des Affaires Étrangères, malgré le fait qu'il soit soupçonné d'avoir naguère été, lors de la guérilla albanaise, le chef d'un gang s'étant livré à des trafics en tous genres (armes, drogues et prostitution), y compris d'organes humains prélevés sur des prisonniers serbes !
Cette accusation, particulièrement grave, ce sont deux éminentes personnalités du monde politique et judiciaire qui l'ont émise : Carla Del Ponte, ancienne procureure de ce même TPIY, et Dick Marty, président de la commission des droits de l'homme au Conseil de l'Europe (http://www.lefigaro.fr/international/2016/03/08/01003-20160308ARTFIG00153—peine-elu-le-president-du-kosovo-risque-d-etre-inculpe.php).
Mais, là encore, l'OTAN, sans même de mandat de l'ONU, ne fit que bombarder les seuls Serbes, y causant des milliers de morts innocentes au sein de la population civile !
C'est dire si les guerres de l'ex-Yougoslavie ont été particulièrement ignobles, à tous points de vue, tant sur le plan moral qu'humain.
LIBERTE POUR FLORENCE HARTMANN
Que le mode de fonctionnement de ce Tribunal Pénal International puisse choquer, par ce flagrant manque d'impartialité, c'est ce que vient de encore de confirmer, paradoxalement, la très arbitraire manière dont Florence Hartmann, ancienne porte-parole de Carla Del Ponte du temps où elle était procureure de ce TPIY, s'est vu arrêtée, au moment même où était prononcé le verdict à l'encontre de Karadzic, par les gardes de l'ONU pour un prétendu « outrage » à ce même Tribunal : aussi incompréhensible qu'absurde. Scandaleux ! Pis : « ce tribunal est complètement fou » vient de déclarer l'avocat de Florence Hartmann : le comble !
JUSTICE ET VERITE
Conclusion ? Aux philosophes et historiens épris d’honnêteté intellectuelle de rétablir donc, à ce douloureux et important sujet, la difficile mais indispensable vérité, ainsi que je l'écrivis en une de mes précédentes tribunes (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/520882-guerre-de-bosnie-verites-historiques-pour-comprendre-le-conflit.html) : la cruelle mais courageuse et nécessaire vérité si l'on veut réconcilier durablement, en profondeur et non pour les hypocrites besoins d'une louable mais superficielle « bonne conscience », ces peuples trop longtemps déchirés, sinon par une ancestrale haine, du moins par le trop lourd et dramatique poids de l'Histoire au sein des Balkans !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur de « Requiem pour l’Europe - Zagreb, Belgrade, Sarajevo » (L’Âge d’Homme, 1993), « Le Testament du Kosovo - Journal de guerre » (Éditions du Rocher, 2015).
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