Dehors Dilma, dehors les corrompus !
Il faut en finir avec le PT, il faut mettre Dilma dehors. Après le nouveau scandale de la Petrobrás, il n'est plus possible de laisser ce gouvernement fait de corrompus en place, le peuple brésilien a exprimé dimanche dernier son mécontentement en tapant sur des casseroles pour chasser ce pouvoir trop sale. L'idée ? Lutter jusqu'au 15 mars, date à laquelle se déroulera une marche prévue pour demander "l'impeachment" de la présidente Dilma. Aécio a perdu la dernière élection mais il y a encore cette dernière carte a jouer pour punir ce parti de "corruptos".
Dimanche dernier le peuple s'est réveillé, pour exiger justice aux cris de "Fora Dilma" et "Fora PT" (dehors Dilma et dehors le PT- Parti des travailleurs).
Bienvenu dans le Brésil clair, simple et, limpide décrit par Paranagua et par Adeline Haverland dans son dernier billet.
Pour ceux qui ne connaissent pas trop le paysage politique au Brésil, on peut faire le tableau (très simplifié) suivant : il existe deux grands partis que se partagent le pouvoir. Le Parti des Travailleur (PT) de l'ancien président Lula et de la présidente actuelle Dilma que l'on pourrait qualifier de social-démocrate. Le PSDB parti de droite conservateur de l'ancien candidat Aécio Neves.
Outre ces deux grands partis, le brésil possède de nombreux partis (petits ou moyens) au congrès. Cela suppose donc des alliances qui font parti du jeu politique et conduisent parfois à des tractations à la limite du légale. L'exemple le plus fameux est le PMDB, parti de centre et que l'on pourrait qualifier sans trop se mouiller d'opportuniste, qui s'allie tantôt avec le PT, tantôt avec le PSDB. Au point, qu'aujourd'hui le PMDB est allié avec le PSDB dans le gouvernement de l'état de São Paulo, mais est allié avec le PT dans le gouvernement fédéral.
Aujourd'hui le PT est au pouvoir depuis environ 13 ans et une grosse parti de la classe aisée et de la nouvelle classe moyenne nourrie une profonde haine de ce parti, qui malgré ses reniements a continué à appliquer une politique en faveur de la réduction des inégalités sociales. Il faut bien comprendre ce que cela signifie au Brésil. Le Brésil est un pays qui a connu 20 ans de dictature militaire largement manipulée en sous main par les États-Unis comme l'ont révélé les notes déclassifiées depuis de la CIA. Il s'agit donc d'un pays imprégné par une culture consumériste et individualiste que nous n'imaginons qu'assez difficilement en France. A titre d'exemple de cet état d'esprit, il n'est pas rare d'entendre des brésiliens se déclarer ouvertement contre la réduction des inégalités sociales car cela impliquerait que leur femme de ménage coûterait plus cher. Cela pourrait paraître caricatural, pourtant c'est loin d'être le cas pour de nombreux brésiliens.
Toujours à titre d'exemple il y a récemment eu le cas fameux sur facebook, de cette professeure d'école qui s'est offusquée de voir dans un terminal d'aéroport des gens de classe sociale manifestement basse alors que selon elle, leur place aurait été plus adaptée dans un terminal de bus, dirigé à un publique plus populaire. Les exemples révélateurs de la peur de l'élite de perdre sa place dominante sont légions.
C'est aujourd'hui principalement ce qui gène l'élite Brésilienne et ce qui nourrit sa haine viscérale qu'elle entretient vis-à-vis du PT. Pour se faire une petite idée du niveau de détestation, on pourra se reporter à la revue Veja et aux pages facebook citée par mademoiselle Haverland. La dernière élection a vue cette haine arriver à des niveaux rarement atteints au Brésil, sauf peut-être en 1964. Le Brésil est clairement divisé et chaque camp entretient une haine féroce envers l'autre.
L'angle d'attaque principale aujourd'hui de l'opposition est la corruption qui atteindrait de manière généralisée le PT.
Alors qu'en est-il ? Est ce que comme le disent Paranagua et Haverland le peulple brésilien tout entier a manifesté son mécontentement dimanche dernier ?
Le PT est-il concerné par la corruption ? Clairement oui. C'est un point difficile et douloureux à admettre pour les "Petistas", d'autant plus dans ce climat hautement conflictuel. Il s'agit d'un sujet très sensible car aujourd'hui la presse brésilienne (disons les principaux médias de masses) entretient clairement l'idée que la corruption serait l'apanage du PT. Avant de se lancer dans des jugements à l'emporte pièce, il est donc important d'essayer d'analyser la situation d'une manière calme et posée hors des ornières idéologiques qui balisent le débat.
À la question, y-a-t-il des corrompus dans le PT ? La réponse est oui. À la question, le PT est-il le seul parti corrompu ? La réponse est non. À la question, changer le parti au pouvoir va-t-il résoudre ce problème ? La réponse est clairement non.
Explications.
Le PT a été touché par de nombreux scandales de corruptions. Il y a eu le mensalão (scandale d'achats de votes, pratique bien connue et largement favorisée par le système politique au brésil). Il y a aujourd'hui le Petrolão, cas en cours d'investigation.
Le PT est-il le seul parti corrompu ? Non. Le PSDB a été et est impliqué lui aussi dans de nombreux scandales de corruptions : le trensalão, le mensalão de minas, la privataria tucana, o escândalo dos desvios do sistema de saúde do estado de Minas Gerais duquel Aécio Neves fût gouverneur. La revue Exame (loin d'être pro-PT) a d'ailleurs publié la classification des partis les plus corrompus à partir des résultats de la "fiche propre" (qui exclue des élections les candidats condamnés), l'article est visible ici. Les cinq premiers partis en termes de "fiches sales" sont en ordre décroissants : le PSDB, le PMDB, le PP, le PR et le PSB.
La classifications des partis les plus "sales" peut-être visualisée sur le graphique suivant publié par la Foha de São Paulo :
Enfin, le cas de "l'engavetador geral" est bien connu au Brésil. À l'époque de FHC, le procureur générale était un spécialiste des classifications de dossiers de corruptions, si bien qu'il n'y a jamais eu à l'époque d'investigations menées à terme et encore moins de condamnations. L'interview de FHC sur la BBC est un monument en ce qui concerne l'hypocrisie du gouvernement de l'époque.
Le journaliste de la BBC a rappelé à FHC que le procureur de l'époque archiva 99% des 600 dossiers ouverts et lui demanda s'il croyait réellement qu'il n'y avait pas eu de corruption sous sa présidence. Malaise en direct. L'interview est visible ici.
Bref, il est clair que seuls les naïfs peuvent croire que remplacer le PT par le PSDB va résoudre le problème de la corruption. Il est d'ailleurs bon de noter que depuis que le PT est au pouvoir, la justice est clairement indépendante et la plupart des observateurs le reconnaissent. C'est ainsi que le petrolão est en cours d'investigation et que le mensalão a conduit à des condamnations, certes probablement insuffisantes. Mais dans un pays où l'impunité est reine, l'avancée est déjà considérable.
Alors quid des dernières manifestations ? Plus que la lutte contre la corruption, il s'agit de déstabiliser le pouvoir. Manifester et exprimer son mécontentement est possible et normal dans une démocratie. En cela la démocratie brésilienne fonctionne relativement bien est laisse la parole libre aux critiques. Le problème est qu'aujourd'hui l'unique message politique porté par l’opposition est "Fora Dilma", "fora PT", "fora Corruptos" et ce, sans apporter la moindre proposition alternative. Sans apporter la moindre proposition réelle de lutte contre la corruption.
De plus, parler du peuple brésilien n'a aucun sens. Les casserolades de dimanche se sont limitées aux quartiers riches des grandes villes, et d'ailleurs, la Folha de São Paulo a dû le reconnaître à contre cœur après s'être ridiculisée en parlant du Brésil tout entier. Le mea-culpa de la Folha est visible ici.
C'est pour cela qu'avant de nous raconter de jolies fables sur les méchants Petistes corrompus et les gentils Tucanos (surnom des politiques du PSDB) blancs comme neiges il est bon de faire le point d'une manière sereine sur les événements et analyser les données objectives sur les uns et sur les autres, mêmes quand elles nous montre que les "gentils" ne le sont peut-être pas tant que cela.
La lutte contre la corruption au Brésil est une lutte de très longue haleine qui nécessitera de long efforts, de profondes réformes et bien plus qu'un changement de parti. Les sauveurs ne sont bons que pour les naïfs. Et les cris et autres aboiements des ces derniers mois rappellent de plus en plus le comportement et l'attitude de petits groupes haineux qui provoquèrent un tragique coup d'état au Brésil il y a 50 ans.
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