Déluge de feu au nord du Mexique
Dans l’agglomération de Ciudad Juárez, le nombre d’homicides approche celui d’un pays en guerre. Aux Etats-Unis, la vente d’armes est légale.
« Bienvenue sur le site web du centre Whittington » : ces quelques mots accueillent le simple curieux. « Ouvert en 1973, le centre propose diverses activités : compétitions, formations, loisirs, dans toutes les catégories du tir. » Suivent des renseignements sur les horaires d’ouverture. Le centre fonctionne de « l’aube jusqu’au crépuscule », sous-entendant que la nature dicte seule ses lois. Est justement mentionnée la possibilité de camper, de chasser, de se balader à pied ou à cheval. Le centre s’étend sur une quarantaine de kilomètres-carrés. Les tarifs sont de vingt dollars par jour, mais l’entrée est gratuite pour peu que l’on prenne une carte d’adhésion (cinquante dollars par an). Des personnels sont présents tous les jours de la semaine et se tiennent à la disposition des clients. Ceux-ci peuvent faire des emplettes au magasin de souvenirs, aller au musée ou se rendre à la bibliothèque – centre de recherches. Le site précise qu’il reçoit une importante aide financière de la NRA (National Rifle Association). « Au Whittington Center, la totalité des dons sont destinés au fonctionnement et à l’investissement. »
Sur les bandeaux de la page web le personnel pose fièrement, avec en tête le directeur et son adjoint aux nom et prénom prédestinés : Wayne Armacost. A gauche, les nombreux onglets indiquent toutes les options offertes aux amoureux de la gâchette : loin, très loin ou assez proche, avec ou sans silhouettes, petits ou gros calibres. Vous pouvez également vous entraîner au tir à l’instinct, ou en simulant une patrouille de police. Il y en a pour les canons coniques, mais pas seulement. En bas de la page web, une photo rappelle que la ville la plus proche, Raton, a été construite sur la route de Santa Fe, au nord-est du Nouveau-Mexique. Denver, la plus grande agglomération des Rocheuses orientales est à moins de trois cents kilomètres, dans le Colorado. En allant vers le sud, la route nationale 25 traverse la capitale de l’Etat, Albuquerque, puis file jusqu’à la frontière mexicaine, à Ciudad-Juárez.
A Alburquerque, la NRA organise en septembre prochain son concours national. Pourront y participer les membres de la police et des forces de sécurité. Avis aux personnes concernées [source]. Le Nouveau-Mexique accueille régulièrement la NRA. En octobre 2008, au cours d’un repas de gala, Lee Ermey a témoigné de son engagement en faveur du second amendement, celui qui autorise dans la constitution américaine la libre détention d’une arme à feu [source]. Est-il encore possible d’ignorer l’existence de Lee Gunny Ermey [photo] ? Il doit sa popularité au cinéaste Stanley Kubrick. Dans le film Full metal jacket, l’acteur joue le personnage de l’instructeur peau de vache. Celui-ci a pour mission d’entraîner des jeunes recrues, futurs marines envoyés au Vietnam. Il en fait des bêtes de guerre à force de les brutaliser. Faut-il en raconter davantage ? Les images parlent d’elles-mêmes. Cette blogueuse convaincue du bien-fondé de l’auto-défense met en ligne une autre interview de l’acteur, dans laquelle ce dernier explique tout le bien qu’il pense de la liberté de porter une arme.
Au Nouveau-Mexique, rien n’empêche d’acheter des armes. De l’autre côté de la frontière, à Ciudad Juárez, l’argent de la drogue permet aux criminels de rivaliser avec les forces de l’ordre mexicaines et de faire régner la loi du plus fort [Tailles larges et têtes coupées].
En 2009, environ 2.500 personnes ont été tuées dans cette agglomération d’un million d’habitants, de l’autre côté d’El Paso, l’autre ville frontière. Rares sont les coupables arrêtés. Du côté américain, on n’a déploré que vingt morts. Cette situation semble donner raison aux partisans du port d’arme. Seulement voilà, les armes ne sont pas les seules marchandises à circuler très facilement. 40 % de la drogue destinée au marché américain passerait par Ciudad-Juárez – El Paso. Des milliers de véhicules franchissent chaque jour la frontière. Les Américains achètent la drogue et vendent des armes. Les Mexicains achètent des armes, alors que la frontière ne sépare plus les consommateurs de drogue depuis longtemps. Les usines de montage emploient une main d’oeuvre bon marché dans les maquiladoras. [Le Monde].
Et puis le mois dernier, un fait divers a défrayé la chronique. Une bande de tueurs a massacré une quinzaine d’adolescents et blessé de nombreux autres, lors d’un goûter d’anniversaire. C’était le 31 janvier.
« Selon le département d’État américain, chaque kilo de drogue qui passe la frontière rapporte 95 000 dollars (70 000 €) aux cartels mexicains, maîtres du marché. Or, les États-Unis reçoivent en moyenne 450 tonnes de cocaïne par an. Ce trafic emploie environ 500 000 personnes et génère un chiffre d’affaires supérieur à 25 milliards de dollars (18,5 milliards d’euros). De ce fait, Ciudad Juárez, séparée d’El Paso, aux États-Unis, par le Rio Bravo, est devenue une place forte où s’affrontent les barons de la drogue et leurs organisations. […] Délinquance, trafics en tous genres et corruption ont gangrené la ville. Au moins 14 000 adolescents de 13 à 17 ans font partie des 500 bandes qui opèrent à Ciudad Juárez, offrant une main-d’œuvre bon marché et inépuisable aux trafiquants. Depuis janvier 2008, les rivalités entre bandes ont fait 4 500 morts. Un tiers des victimes sont des jeunes gens de moins de 20 ans. Mais les cartels ne se contentent plus de passer la cocaïne aux États-Unis, ils se transforment en mafias locales qui terrorisent la population pour intimider ceux qui ne veulent pas payer les rançons ou les protections. » [La Croix]
La NRA pourrait peut-être imaginer quelques activités ludiques de l’autre côté de la frontière. Car après tout, les silhouettes ne suffisent pas pour faire un bon tireur. Rien ne remplace l’entraînement en temps réel. Pendant ce temps, dix mille policiers et militaires mexicains tentent en vain de rétablir l’ordre dans la ville de Ciudad Juárez. Je doute qu’il soit opportun de leur envoyer une invitation à s’entraîner dans le centre de Whittington…
PS./ Geographedumonde sur le Mexique : Quelque part entre Al Capone et Pancho Villa, Tailles larges et têtes coupées (déjà…), D’un Bush à l’autre, Des Barbares et des Mexicains, Ne pas confondre panade et tortilla et De l’Oaxaca à Zapata.
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