Dubaï a cédé
La bulle immobilière a éclaté dans l’émirat du Golfe. Conséquences en cascades.

Le rêve a pris forme sur les bords du golfe Persique, dans l’émirat de Dubaï. Les conditions naturelles n’ont cependant pas facilité la tâche des aménageurs. Sur cette bordure méridionale du Golfe, le climat est désertique, à peine ponctué par quelques pluies hivernales. Au sud du tropique du Cancer, les températures moyennes restent élevées toute l’année. En janvier, le mois le plus frais, les moyennes varient entre 14 et 24 °C [source]. Entre décembre et mars, l’anticyclone centré sur l’Asie continentale disparaît par moments. Car au sud de l’océan Indien, de l’autre côté de l’Equateur passent de puissants cyclones saisonniers. En 2007 - 2008, douze se sont formés, depuis Ariel à la mi - novembre jusqu’à Lola quelques jours avant l’arrivée du printemps [Météo France]. La péninsule arabique capte alors ponctuellement l’humidité portée par des vents marins sortant du système cyclonique circulaire sous l’effet d’une force centrifuge. De décembre à mars, Dubaï reçoit entre 60 à 80 millimètres de précipitations, puis plus rien le reste de l’année.
Dubaï s’étend sur un territoire équivalent au département du Rhône (3.250 km² et 1.680.000 habitants), l’implantation persique en plus : 3.885 km² pour 1.650.000 habitants. Les vignobles verdoyants et le couloir rhodanien n’ont néanmoins pas d’équivalents à Dubaï. Aux Emirats comme en France ou dans n’importe quel autre pays développé, l’espérance de vie est grande (77 ans), le nombre d’enfants par femme proche du seuil de renouvellement des générations (2), et la proportion de population vivant en ville élevée (83 %). Les moyennes précédentes sont celles de l’ensemble des Emirats Arabes Unis [Population Reference Bureau]. La prospérité règne à Dubaï en dépit de l’absence de ressources pétrolières dans son sous-sol, contrairement à Abu Dhabi richement doté.
Dans les trente dernières années, l’émir de Dubaï a choisi de faire fi des handicaps de son pays, en tirant profit du contexte économique mondial. Puisque les échanges internationaux s’intensifient et que le nombre de vols commerciaux entre Europe et Asie augmentent, il a investi dans une compagnie aérienne (Emirates) devenue en l’espace d’une génération l’une des plus puissantes d’Asie. Emirates se targue aujourd’hui d’utiliser l’A-380, le dernier-né d’Airbus, avant la plupart de ses concurrentes. L’aéroport de Dubaï accueille en outre chaque année des millions de voyageurs transcontinentaux en escale, mais aussi des touristes venus spécialement dans les Emirats. Vingt-deux millions de voyageurs sont passés en 2007 dans les deux terminaux de l’aéroport, c’est-à-dire deux fois plus qu’au début des années 1990 (source). Dans ce pays neuf, l’ouverture d’une immense zone commerciale sans taxes (duty free) a fort opportunément comblé un déficit de vieilles pierres et rendu l’aéroport plus attirant. Au milieu de ce bazar des temps modernes, chacun vient faire ses emplettes détaxées : alcool, tabac, montres et bijoux, parfums et vêtements griffés ou encore matériels électroniques.
Au cours de la dernière décennie, Dubaï a connu une accélération de son développement. Au milieu de ce nulle part ont surgi les gratte-ciels, dont le plus élevé du monde - le Burj Dubai - les avenues verdoyantes, et les îles artificielles. Un quart des grues du monde se retrouvent dans cette fourmilière (source). On peut même dire que l’immobilier a remplacé le pétrole. Seulement voilà, le rêve a fait place au cauchemar. « Dubaï, l’un des sept Etats de la Fédération des Emirats arabes unis, est en grande difficulté financière. L’annonce, mercredi 25 novembre, de son incapacité à rembourser dans les délais prévus les dettes de sa principale entreprise publique, Dubai World, l’équivalent de la Caisse des dépôts, a désagréablement surpris les marchés financiers. Sur les 80 milliards de dollars de dettes de l’émirat, Dubai World en porte 59. Cette société est apparemment incapable de rembourser les 3,5 milliards de dollars qui venaient à échéance à la mi-décembre. [...]
Le choc de l’annonce, mercredi 25 novembre, du rééchelonnement de la dette de deux de ses groupes phares - le conglomérat Dubaï World et sa filiale immobilière Nakheel - jusqu’au 30 mai 2010 au moins, a été amplifié par le fait que personne ne s’attendait à un tel cataclysme. Les marchés pensaient que l’oeil du cyclone s’était éloigné. La dette de Dubaï World, estimée à 59 milliards de dollars, représente l’essentiel de celle de l’émirat, évaluée entre 80 milliards et 90 milliards de dollars (39 milliards d’euros). Sa filiale Nakheel, promotrice de la construction des célèbres îles artificielles en forme de palmiers, est incapable de rembourser, d’ici au 14 décembre, une obligation islamique d’un montant de 3,5 milliards de dollars. » [Le Monde]
Le journaliste du Monde tombe malheureusement dans le piège de l’explication immédiate et prend la posture du juge sévère. Or que s’est-il passé à Dubaï ? Marc Roche rend un verdict implacable. « L’expansion effrénée de ce holding attrape-tout (transports, ports, immobilier, loisirs...), à Dubaï comme à l’étranger, avait été financée par un endettement colossal auprès des investisseurs, en particulier auprès du grand frère, l’émirat voisin d’Abou Dhabi, et des banques internationales. [...] Bras armé du modèle dubaïrote, symbole de l’argent facile et d’une croissance à deux chiffres enregistrée depuis le début des années 2000, l’immobilier résidentiel ne s’est jamais remis de la débâcle de septembre 2008. Faute de liquidités, d’ambitieux projets urbanistiques pilotés par Nakheel, en particulier la tour la plus haute au monde, ont été arrêtés. Les entreprises de BTP n’ont pas été payées depuis des mois. [...] La crise de l’immobilier a entraîné dans son sillage le système bancaire local, fortement exposé ’à la pierre’. Par ailleurs, le formidable portefeuille d’actifs industriels et immobiliers à l’étranger, en particulier aux Etats-Unis, a souffert des effets des incertitudes économiques occidentales. En se diversifiant dans le secteur tertiaire faute d’excédents pétroliers, Dubaï paie le prix le plus fort. »
Si l’on reprend le fil du raisonnement, le cycle émirati a commencé par des investissements tous azimuts dans les infrastructures. L’émir de Dubaï n’a pas hésité à faire appel à des capitaux étrangers. La croissance économique de l’émirat et le croît régulier des prix de l’immobilier n’ont pas manqué de séduire les fonds d’investissement et les banques occidentales. Le cycle s’achève à l’automne 2009, dont acte. J’ai sciemment délaissé les adjectifs culpabilisants utilisés par Marc Roche (effréné, facile, formidable, etc.). Le pauvre émir n’a pas vraiment démérité, même si Dubaï a cédé aux modes du moment. Existait-il une alternative ? Chacune des décisions, une fois transposée dans le contexte français, prennent de surcroît une autre coloration. Les dépenses publiques consacrées aux infrastructures deviennent des investissements pour améliorer la compétitivité de notre pays. La quête de capitaux étrangers signifie un gain d’attractivité. La croissance économique à deux chiffres est bonne en elle-même. Bien plus encore, la pierre représente le socle de la prospérité collective.
Dans le même numéro du Monde, Isabelle Rey-Lefebvre reprend une mélodie déjà entendue [Pensée reprisée]. Ce qui vaut en Islande [Histoire drôles islandaises], en Lettonie [Surtout letton], en Californie [Le Pacifique, frontière indépassable], et maintenant à Dubaï ne tient pas en France. Pascal le savait, « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Le recul de près d’un tiers des transactions et le tassement des prix (8 à 10 % en moyenne) offraient la possibilité de reconsidérer l’idée reçue sur le rôle positif de l’immobilier dans les économies occidentales. Ils ne font pourtant pas dévier la journaliste du Monde qui s’empresse d’interroger les professionnels, c’est-à-dire ceux qui sont les moins à même de porter un regard critique sur la question. Peu importent au fond leurs pronostics. Tous espèrent une remontée des prix, qui s’en étonnera ? Mais de bulle il n’est pas question. Celui qui souhaiterait jauger les effets des politiques publiques pour soutenir le secteur de l’immobilier en est pour ses frais. Isabelle Rey-Lefebvre cède juste à l’esprit du temps en parlant des villes de province, dans lesquelles les appartements des années 1960 - 1970 se vendraient mal parce qu’énergivores. Voilà une prise de conscience du péril climatique bien précoce. De toutes façons, soupirons d’aise. L’expansion effrénée, l’argent facile et la débâcle, ce n’est pas en France que cela arrive...
PS./ Geographedumonde sur bulle immobilière en France : Pensée reprisée, Le creux entouré du vide, Par l’opération de Pont-Saint-Esprit, Pour rêver éveiller, pensez à la Fnaim, Banquiers, dormez inquiets, La pierre, elle ne ment pas et Steack haché cerise. En Espagne, on pourra lire : Ne pas confondre casser une banque et construire une maison.
Incrustation : la tour la plus haute du monde... Burj Dubai
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