En intervenant en Syrie, la Résistance libanaise sert-elle la guerre ou la paix au Liban ?
Les évènements intervenus en Syrie depuis plus de 2 ans, ne laissent pas présager d’issue favorable pour la population syrienne qui est soumise aux bombardements, destructions des habitations, la mort et l’exil.
La bataille d’ « El Qusair » a vu la victoire de l’armée régulière syrienne, aidée en cela par le Hezbollah libanais.
Celui-ci, à travers ses actions, est accusé d’entrainer le pays des cèdres dans le conflit syrien. Il avait été accusé en juin 2006 d’être à l’origine de la guerre d’Israël sur le Liban durant l’été de cette même année.
Voir les choses de cette façon, bien que réaliste et défendable, reste néanmoins critiquable puisque cela ne permet pas de juger de l’action à long terme du « parti de Dieu » ni de celui des nombreuses autres composantes du conflit qui est en marche dans la région du proche et moyen orient.
La guerre en Syrie n’est pas seulement la suite du feuilleton du « printemps arabe » commencé en Tunisie, ni seulement la lutte de l’opposition, pour la démocratie et contre la dictature du pouvoir en place. Elle n’est pas non plus seulement le désir occidental d’éliminer, de la scène politique, le président syrien, « assassin de son peuple », pour le remplacer par les « modérés » frères musulmans, à l’image de ceux en place en Turquie.
Il s’agit de la lutte des islamistes, takfiristes et autres fondamentalistes wahhabites sunnites de Syrie et du Liban, des pays arabes et des pays occidentaux contre les laïques totalitaires et militaires soutenus par l’Iran des mollahs chiites ainsi que par le Hezbollah. C’est également la lutte de l’occident pour affirmer son hégémonie en méditerranée contre la volonté de la Russie de continuer de défendre ses dernières bases militaires en méditerranée. C’est aussi la lutte pour le contrôle des gisements de gaz au large de la Syrie et du Liban. C’est aussi le mur fictif de Damas qui remplace celui de Berlin tombé en 1990, pour séparer d’un côté l’occident, la Turquie, les pétromonarchies du Golfe et Israël, et de l’autre la Russie, leurs alliés du Brics (1) et l’Iran, pour le contrôle des ressources énergétiques de la méditerranée.
La bataille de Syrie n’a pas pour objectif principal de s’attaquer aux chrétiens syriens pour les éliminer ou les pousser à l’exode. Tout comme la guerre d’Irak n’avait pas pour objectif prioritaire d’éliminer ou de pousser à l’exode les chrétiens irakiens. Le résultat est là et il est sans appel, les chrétiens autochtones subiront les conséquences de la lutte fratricide qui oppose les sunnites et les chiites. Ils feront les frais des luttes extrémistes musulmanes qui n’épargneront pas les chrétiens. Et rien ne dit que le Liban serait préservé de ce remodelage du moyen orient programmé déjà de longue date. Bien au contraire, comme en avait pourtant fait l’annonce en 2006, Condoleeza Rice, l’ancienne secrétaire d’état des affaires étrangères américaine de l’ère G.W. Bush.
Le Liban, même si toutes ses institutions fonctionnaient normalement, ne semblerait pas en posture de mener une politique autonome, indépendante et autosuffisante. Il faut dire que depuis 1975, il ne s’est jamais trouvé dans cette configuration favorable. Il faut dire aussi que les influences que subit le Liban se sont, à une période donnée, cristallisées par la présence de troupes étrangères, syrienne et israélienne, sur son sol. L’influence de l’Iran et de l’Arabie Saoudite est communautariste s’exerçant par l’intermédiaire du Hezbollah chiite libanais pour l’un, et de l’autre, du courant du Futur de Saad Hariri qui est entrain de former sa milice armée sunnite extrémiste salafiste (Fath et islam, Jounoud el cham, El Assir) et libanaise, partie s’entrainer en Syrie.
Visiblement aujourd’hui, la formule politique libanaise, riche par sa diversité multicommunautaire, ne permet pas aux différentes influences de ne pas s’exercer au Liban. Comme par exemple le blocage des institutions avec l’auto-prorogation du mandat du parlement par les députés, et la non invalidation de cette décision par le conseil constitutionnel, qui du coup se politise, alors qu’il ne le devrait pas.
Les chrétiens du Liban menacés pourtant, comme ils le sont dans le reste du moyen orient, manquent gravement d’unité et de clairvoyance politiques pour assurer leur avenir sur leurs propres terres. Leurs chefs politiques se divisent dans leurs options politiques alors que les chefs religieux semblent avoir compris, par le discours et l’action, l’intérêt de leur unité à un moment crucial de leur (sur)vie, sur cette terre qui est la leur. Les chefs religieux chrétiens, à l’image de l’évêque de Saïda, semblent avec force, donner raison à l’option politique défendue par le courant patriotique libre et par son chef le général Michel Aoun.
L’avis donc à donner sur ce qui se passe ne peut être défendu ou discuté qu’à travers une vision plus globale, dépassant le cadre du Liban comme seul centre d’intérêt. L’interdépendance des évènements nous oblige à nous lancer dans une décortication des évènements selon une vision plus générale, sans laquelle tout raisonnement serait systématiquement réduit à une dualité d’« actions-réactions » aux évènements locaux sans autre logique que la réaction primaire. Une telle vision simpliste souffre d’un manque de recul crucial, limitant considérablement le champ de vision, de celui ou celle qui veut comprendre.
Pour ce faire, une question doit être posée sur ce qui se serait passer dans le cas où le Hezbollah ne s’était pas engagé dans le conflit syrien aux côtés du pouvoir en place. L’autre interrogation consiste à se demander ce qui se passerait maintenant que le Hezbollah a reconnu avoir franchi le pas en intervenant en Syrie.
- Si le Hezbollah n’était pas intervenu dans le conflit syrien, le Liban serait-il, pour autant, épargné ?
L’intervention du Hezbollah en territoire syrien fait couler beaucoup d’encre au Liban du côté du camp du 14 mars ainsi que de la part de la communauté internationale sur, au fond, la mission et la raison d’être du « parti de Dieu ». Le Hezbollah se lance dans une guerre à l’extérieur du territoire libanais, ce qui aura immanquablement des répercussions sur le Liban, d’autant que ce parti n’a pas reçu de mandat particulier de la part des autorités légales libanaises. L’on voudrait que le désarmement de cette milice ait enfin lieu, arguant pour cela la résolution 1701 des nations unies.
L’argumentaire, basé et officialisé depuis les accords de Taëf de 1989, par ceux qui sont devenus le 14 et le 8 mars, indiquant que les armes du Hezbollah ne devaient être utilisées que contre Israël et prenant depuis, officiellement, l’appellation de Résistance libanaise et bien que les armes aient été dirigées vers Israël durant le conflit de 2006, les critiques ont malgré tout fusé de la part de l’occident, comme du 14 mars, sur la non justification des armes du Hezbollah et des conséquences dramatiques sur le Liban pendant l’été de cette année-là.
Plus tard, pendant les évènements d’aout 2007, de mai 2008, qui ont vu s’opposer furtivement le 14 au 8 mars, les armes du Hezbollah ont été accusées d’avoir imposé par la force le point de vue de ce parti, beaucoup plus puissant sur le terrain ; ces évènements se sont soldés par les accords de Doha et l’élection du président, sous forme de plébiscite, après un arrangement de la part de l’occident sur la personne du général Michel Sleiman, à la tête de l’état. Tout cela devenait intolérable, aux yeux du 14 mars, venant de la seule milice encore armée au Liban qui, je cite, ne tient pas compte de la légalité, de la légitimité de ses institutions, ni de celles de leurs responsables.
Selon ce point de vue, le Liban serait épargné de la contamination syrienne et même si ceux qui l’affirment ne le croient pas vraiment, l’on pense que la contamination du Liban pourrait au moins être retardée. Abstraction faite de l’action des salafistes au Liban avec la menace pesante sur l’armée libanaise qui reçoit mal des prérogatives claires de la part des politiques, ministres et chefs d’état major, les véritables responsables de l’action ou la paralysie de l’armée. Abstraction faite également de l’action des salafistes d’Ahmad El Assir qui se qualifie de Cheikh et autres mouvements présents en Syrie depuis plusieurs mois déjà sans qu’ils ne soient suspectés de se mêler des affaires syriennes, notamment de la part de l’occident. Les heurts qui ont lieu à Tripoli, dans la Bekaa et ce soir les graves attaques sanglantes menées contre l’armée (notre fierté nationale) à Saïda (on parle de 10 morts et plus de 35 blessés), ou demain à Tyr, à Beyrouth ou n’importe où au Liban, opposent les salafistes aux alaouites de Tripoli ou à l’armée régulière libanaise qui continue d’essuyer des pertes graves en vies humaines sans qu’elle ait véritablement les moyens de maintenir l’ordre en imposant, par exemple, le couvre feu ou de réduire à néant tous ceux qui s’attaquent à elle (Ahmad El Assir). A moins que l’action des salafistes au Liban ne soit que la conséquence de l’intervention du Hezbollah en Syrie et que cette contamination se fasse par l’intermédiaire de ces mêmes salafistes.
Mais alors, pensez-vous que les combattants d’El Assir n’auraient jamais vu le jour, ne se seraient jamais attaqués à l’armée si le Hezbollah n’était pas intervenu en Syrie, qui pourrait le croire ?
Pensez-vous que cette mouvance salafiste n’aurait jamais demandé implicitement la partition du Liban en provoquant la fetna et en agissant dans ce sens, ne serait-ce que pour créer la principauté salafiste regroupant une partie du Liban et de la Syrie dont la capitale serait Tripoli, qui pourrait le croire ?
La partie des chrétiens qui fait confiance à ce genre de logique cautionne implicitement la partition du pays, qu’ils cherchent à réaliser depuis les années de guerre 1975-1990 pour obtenir, le croit-elle, sa part de partition. Mais le croit-elle encore vraiment ?
- Maintenant que le Hezbollah est intervenu et continuera à le faire en Syrie, d’après les dires de Sayyed Hassan Nasrallah, est-ce que cette position entrainera le Liban dans le conflit en effervescence en Syrie ?
En dehors de la problématique ou du facteur Hezbollah, le Liban, en tant qu’entité politique laïque, différente du modèle occidental dans le respect de la dimension religieuse du citoyen, a-t-il la capacité de s’immuniser contre les influences qui cherchent à lui nuire ?
C’est une question à se poser quand on prend conscience que le Liban est à la croisée des chemins de deux axes, solidement implantés au moyen orient et nourris par le sang des attentats, d’un côté : l’axe occident / pétromonarchies du golfe + Turquie / Israël / le 14 mars (Le courant du Futur + El Assir et ses combattants et les mouvements salafistes) et de l’autre : l’axe Russie (+Brics) / Iran / Syrie / le 8 mars (Le courant patriotique libre, Hezbollah).
Le Liban, qu’il le veuille ou non, est entrainé dans le remaniement du moyen orient. Que le Hezbollah intervienne en Syrie aujourd’hui ou qu’il attende qu’il soit encerclé et acculé pour le faire au Liban, cela ne modifiera pas le fait que le Liban est de toutes les façons concerné par tout ce qui se passe au moyen orient. Parce que aussi, les salafistes du Liban, armés par le Qatar et l’Arabie Saoudite, ont la couverture politique assurée par le courant du Futur de Saad Hariri, ont la couverture médiatique nationale et internationale d’El Jazeera, El Arabia ou d’autres chaines satellitaires et ont la couverture diplomatique de la part de l’occident les montrant en lutte contre la barbarie dont ils seraient les victimes notamment en Syrie et demain au Liban (il est à remarquer que les médias français n’ont pas commenté ce qui s’est passé à Saïdales 23 et 24 juin derniers) . Le Hezbollah est intervenu en Syrie parce qu’il a jugé que ses intérêts fondamentaux étaient menacés et qu’il fallait intervenir là bas. Il continuera à le faire en Syrie chaque fois qu’il se sentira réellement menacé. Il ne se considère pas devoir demander une autorisation ni au président de la république, ni au premier ministre ou au chef d’état major de l’armée. Mais devra-t-il le faire et pourquoi le ferait-il ?
Il se trouve que la frontière entre la Syrie et le Liban est poreuse dans les deux sens menant les salafistes et leur armement en Syrie, elle l’est aussi pour le Hezbollah et leur armement également en direction la Syrie. Les libanais vont combattre en Syrie, comme d’ailleurs les français, anglais, italiens, turques, tchéchènes et arabes ; les uns pour soutenir les rebelles, les autres pour soutenir le pouvoir en place. Sayyed Hassan Nasrallah propose à El Assir de mener le combat qui les oppose, en Syrie. Ceci pour épargner le Liban. Mais dans le cas où Ahmad El Assir veut ouvrir un front au Liban, c’est au pouvoir en place au Liban de l’en empêcher. Nous venons d’assister sur la manière dont l’armée est prise pour cible par ce genre de tueurs qui se disent libanais. Le Hezbollah n’a pas vocation de provoquer la fetna, ni à la souhaiter et encore moins à souhaiter la partition du pays que ce soit en Syrie ou au Liban. Le Hezbollah ne s’attaque pas à l’armée libanaise parce qu’elle regroupe tous les fils du Liban, parce qu’elle fait partie de la formule gagnante (l’Armée / la Résistance / le Peuple) contre tous ceux qui veulent s’attaquer au Liban, à sa formule de coéxistence et à sa Résistance.
Encore aujourd’hui, les armes de la Résistance libanaise pèsent lourdement dans la dissuasion vis-à-vis d’Israël (2). Ces armes sont mises à l’épreuve à l’intérieur même du pays contre des salafistes compatriotes qui cherchent par tous les moyens la confrontation directe avec le Hezbollah sans pour autant y arriver. Notre pays accueille des centaines de milliers de réfugiés syriens, dépassant très largement les capacités d’absorption en aide à ces malheureux. Il s’agit aussi d’un terreau fertile à l’accroissement du nombre de combattants salafistes plus par intérêt que par conviction. Notre très chère armée paraît jouer le rôle tampon qui ne lui convient pas, puisqu’elle essuie des pertes inconsidérées sans pouvoir véritablement se défendre, ni imposer par la force, la paix civile, ne recevant pas les pleins pouvoirs pour le faire contre tous ceux qui osent s’attaquer à elle. Il est cependant à remarquer que dans l’affaire de Saïda, l’armée paraît avoir décidé d’en finir avec la mouvance d’Assir bien que ce dernier n’ait pas encore été capturé.
Il faut exiger des aides de la part de tous ceux qui feraient mieux de nous les fournir pour ces malheureux plutôt que de nous conseiller en matière de politique, ceci afin d’absorber le flux de un million de réfugiés représentant près de 25% de la population libanaise. Il faut réclamer très rapidement une armée forte qui reçoive, très rapidement ses prérogatives dans ce sens. Nous estimons que le Résistance doit demeurer forte, son éventuel désarmement ne résolvant aucun des problèmes posés mais au contraire les aggraveraient. Il faut également un peuple uni derrière son armée (ce qu’il vient de démontrer et c’est heureux) n’hésitant pas à descendre dans la rue, en un temps record, pour exiger de la part de tous, du respect, vis-à-vis de cette noble institution, seule véritablement libanaise, et de l’autorité de la part de ses pairs pour pouvoir imposer la paix civile. Sinon c’est la guerre civile qui pointerait son nez ce que personne ne peut accepter, surtout de la part de cette classe politique.
Référence
1 – BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud
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