Evolution humaine et ADN : plus ça avance, plus c’est mystérieux
Près de 2 millions d’années se sont écoulées entre l’apparition de ce qui semble être notre plus ancien ancêtre connu, Australopithecus sediba, et nous aujourd’hui Homo Sapiens Sapiens. 2 millions d’années d’une histoire qui paraît de plus en plus complexe, un enchevêtrement de lignées différentes qui rendent caduque l’image d’Epinal d’une évolution linéaire réussie aux côtés de quelques branches qui n’auraient pas survécu (Neandertal pour la plus récente) du fait de leur incapacité à soutenir la concurrence des Sapiens.
- Excavation à la grotte de Sima de los Huesos, en Espagne.
- JAVIER TRUEBA/MADRID SCIENTIFIC FILMS
Je renvoie ici à quelques articles précédemment publiés sur ce blog qui contextualisent quelque peu ce propos, si vous avez le temps de les lire : “On aurait déterminé l’age du chaînon manquant“, “Le père de nos pères Perry dans la nuit des temps” ou encore “L’homme ancien est de moins en moins ce qu’il était“.
Note technique : L’étude de l’évolution humaine est aujourd’hui indissociable de l’analyse génétique des fossiles. Cette analyse porte sur deux aspects, l’ADN mitochondrial qui retrace la lignée maternelle (transmission uniquement par la mère) et l’ADN nucléaire qui provient des deux parents, et permet une meilleure compréhension de la lignée. Le premier est relativement commun et aisé à analyser, le second par contre ne se retrouve pas dans tous les fossiles, et quand il s’y trouve c’est à doses nettement plus faibles.
Le record de vieillesse d’ADN fossile était jusqu’à la semaine dernier de 100 000 ans, mais une découverte d’un fémur dans la grotte de Sima de los Huesos en Espagne vient de porter ce record à 400 000 ans. Il s’agit d’ADN mitochondrial et donc d’une image incomplète de la lignée, mais nous connaissons désormais l’origine maternelle d’hominidés ayant vécu en Espagne voici 400 000 ans. Et celui-ci fait tache…
Au vu de la forme du squelette et de l’histoire de cette grotte (où on a déjà retrouvé 28 squelettes anciens) il devait provenir d’un ancêtre de la lignée Neandertal, ces derniers ayant vécu en Europe et Asie entre – 200 000 et – 30 000 années. Or il n’en est rien, ce squelette est en fait très proche des hominidés de Denisova, une espèce récemment découverte dans une grotte du Sud de la Sibérie, ayant supposément vécu en Asie et dont on retrouve une proportion importante (4%) de gènes chez les Papous et aborigènes australiens.
Comment expliquer la présence d’un Denisovan dans une grotte du Sud de l’Europe ? Reprenons l’histoire telle que nous pensions la connaître jusqu’ici : voici 1 million d’années apparaît en Afrique Homo Erectus, ancêtre des lignes Sapiens mais aussi Neandertal et Denisova. Neandertal serait issu d’une branche de Erectus nommée Homo Heidelbergensis apparue voici 500 000 ans, l’origine des Denisovans étant moins évidente – peut -être un croisement entre Heidelbergensis et une lignée encore plus ancienne, Homo Antecessor, lui-même un descendant de Homo Erectus parallèle à notre lignée.
La séparation Neandertal / Denisova aurait eu lieu voici encirons 300 000 ans, et Homo Sapiens serait apparu voici 200 000 ans, en direct de Erectus. Donc, à cette époque, coexistaient au moins trois espèces documentées : Homo Sapiens en Afrique, d’où il sort voici environ 60 000 ans pour se propager vers l’Ouest, où il rencontre Neandertal - le génome actuel de Sapiens Sapiens non-Africain incluant 2 à 4% du génome néandertalien – et vers l’Est où il rencontre les Denisovans. Ces derniers se croisent génétiquement avec Sapiens en Océanie, en Chine et en Asie, mais se croisent également avec Neandertal. 30 000 ans plus tard, les lignées Neandertal et Denisovans s’éteignent. La présence d’un génome de Denisovan à l’Ouest, en Europe, est donc a priori exclue. Et pourtant, c’est bien ce que l’on vient de retrouver en Espagne.
Explications ? Purement spéculatives pour l’instant, d’autant que le fémur n’a pas encore fourni d’ADN nucléaire (une recherche est en cours) donc on ne peut encore reconstituer la lignée parentale complète.
Une première hypothèse, selon Svante Pääbo, chef de l’équipe qui vient de décoder cet ADN au Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology à Leipzig, est que le fémur appartient à un ancêtre commun des Neandertal et Denisovans.
Une autre hypothèse, selon Chris Stringer, paléontologue au Musée d’Histoire Naturelle de Londres, est que ce fémur appartient à un groupe tout à fait différent, peut être un croisement entre Homo Antecessor qui vivait dans le coin voici 800 000 ans et l’ancêtre commun des Neandertal / Denisovans. Ce d’autant qu’une étude en cours de publication (Nature http://doi.org/p9t ; 2013) analysant l’ADN nucléaire de Neandertal et de Denisova, indique que ce dernier s’est aussi croisé avec une autre espèce d’hominidés dont on ne sait rien… Il faudra attendre les résultats, si résultats il y a, de l’étude de l’ADN nucléaire du fémur espagnol pour en savoir plus.
Les paléontologues font actuellement face à une profonde remise en question de l’organigramme de l’évolution des hominidés : une lignée récemment découverte, les Denisovans, qui se sont mélangés avec tout le monde à l’Est mais dont on retrouve une trace ancestrale à l’Ouest, qui sont apparentés à Neandertal mais on ne sait pas exactement comment, et qui nous révèlent l’existence probable d’un nouveau groupe jusqu’ici parfaitement inconnu. Tout ceci, bien sûr, sur base d’une méthodologie génétique très pointue sur laquelle nous avons peu de recul – il n’est donc pas impossible, même si personne ne semble l’envisager, que ces mystères soient simplement la conséquence d’un problème de méthode scientifique.
Pour Mark Thomas, généticien de l’évolution à l’University College de Londres, le monde ancien dépeint par ces récentes découvertes ressemble de plus en plus à celui décrit par Tolkien dans le Seigneur des Anneaux : différentes espèces d’hominidés qui occupent des territoires distincts, ponctué d’invasions et de croisements donnant naissance à de nouvelles variétés.
Sources :
http://www.nature.com/news/mystery-humans-spiced-up-ancients-sex-lives-1.14196
http://www.nature.com/news/hominin-dna-baffles-experts-1.14294
http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature12788.html
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