Capturé le 21 août 2003, quatre fois condamné à mort le 24 juin 2007, le 2 décembre 2008, le 11 mars 2009 et le 17 janvier 2010, (le dessinateur Mabi sur Agoravox l’avait déjà croqué le 26 juin 2007), parfois pour les mêmes crimes contre l’humanité que son cousin Saddam Hussein (lui aussi condamné à mort le 5 novembre 2006 et exécuté par pendaison le 30 décembre 2006).
Auteur de la campagne Anfal qui ensanglanta le peuple kurde entre février et août 1988 ayant causé près de deux cent mille morts, responsable du massacre des chiites qui se révoltèrent après la guerre du Golfe en 1991, coupable des meurtres et des déportations de populations chiites en 1999 à Bassorah et commanditaire du massacre par gaz les 17 et 18 mars 1988 d’au moins cinq mille habitants kurdes du village d’Halabja (photo ci-dessous), pour la plupart des femmes et des enfants.
Cruel et sans cœur, il avait même fait exécuter en février 1996 ses deux neveux (Hussein et Saddam Kamel) qui avaient déserté leur pays en allant en Jordanie et qui y étaient rentrés fort imprudemment.
Chef du parti Baas (celui de Saddam Hussein) dans le nord de l’Irak, Ministre des Affaires locales et gouverneur du Koweït lorsque celui-ci fut sous l’occupation irakienne,
Ali Hassan al-Majid, 69 ans, fut communément appelé "le boucher du Kurdistan" ou "Ali le Chimique" pour avoir employé les armes chimiques à grande échelle contre les populations kurdes et chiites de l’Irak, parfois sous la surveillance passive des États-Unis.
Ali le Chimique, durant son procès, n’a exprimé aucun regret, bien au contraire : « C’est moi qui ai donné les ordres à l’armée de détruire des villages et de reloger les villageois. Je ne me défends pas. Je ne m’en excuse pas. Je n’ai pas commis d’erreur. ».
Le Premier Ministre irakien Nouri al-Maliki a estimé que cette exécution tournait « une autre page noire de l’oppression, des génocides et des crimes contre l’humanité commis par Saddam et ses agents pendant 35 ans du régime abominable du parti Baas ».
Il est clair que cette personne n’a pas eu beaucoup de considération pour la vie humaine et fait partie de la pire catégorie des êtres humains, celle qui n’hésite pas à massacrer, à torturer, à tuer pour des raisons politiques et ethniques.
Par conséquent, je ne me soucie pas beaucoup du sort de cet homme dont la mort ne peut pas m’émouvoir pour ces raisons.
Et pourtant. Si je me pose la question : "Fallait-il exécuter Ali le Chimique ?", c’est parce que je crois que c’est l’un des exemples les plus extrêmes pour rappeler que la peine de mort est un acte barbare et monstrueux.
Si le condamné à mort avait été douteux, si sa culpabilité n’était pas ressortie de manière évidente dans le procès, s’il avait regretté une folie passagère, si son innocence avait été proclamée, il serait sûr que son exécution aurait été beaucoup plus facilement contestable.
D’ailleurs, depuis quelques années, aux États-Unis, grâce aux nouvelles technologies des analyses ADN, une grande prudence a lieu à propos des condamnations à mort : la possibilité qu’un condamné à mort puisse être innocent (et l’ADN a pu parfois le prouver) a même inquiété quelques gouverneurs (principalement républicains) qui ont préféré suspendre les exécutions.
Mais il ne faut pas s’y tromper : cette prudence renforce au contraire le principe de la peine de mort, car si la culpabilité est prouvée, la peine de mort demeure largement approuvée par les Américains et les autorités américaines, y compris
Barack Obama qui ne s’est
jamais opposé au principe des
exécutions capitales.
Le maintien en vie d’Ali le Chimique, tout comme celui de son cousin Saddam Hussein, n’aurait constitué aucun danger politique pour l’évolution de l’Irak. Leur exécution, bien entendu, pouvait à la fois permettre de faire taire tout rappel sur la position américaine (et plus généralement "occidentale") lors de la guerre Iran-Irak et satisfaire les populations qui ont été victimes de ce régime sanguinaire : « C’est un jour historique pour le peuple kurde et irakien : La justice irakienne a fait son travail (...) et si Dieu veut, les autres connaîtront le même sort. » a déclaré Majid Hamed Amin, Ministre kurde des Martyrs et des Déplacés.
Beaucoup de Kurdes ont dit leur joie à Souleimaniyeh. Kamel Abdelkader, 24 ans, dont les sept frères et sœurs et les parents ont été massacrés à Halabja, est, lui aussi, content : « Je suis très heureux de l’annonce de cette exécution et j’espère qu’ils vont continuer à exécuter tous les autres impliqués dans des crimes contre les Kurdes. » tandis que les chiites auraient préféré accélérer le processus comme l’a suggéré Latif al-Hamidi, porte-parole à Najaf du Conseil suprême islamique en Irak : « Nous sommes désolés que cette exécution ait pris tant de temps. C’est une victoire pour tous les martyrs. ».
L’exécution d’Ali le Chimique ne peut se comprendre que sur le plan d’une vengeance symbolique. Elle n’a pas fait revivre ses centaines de milliers de victimes. Elle n’empêchera pas, dans le futur, l’arrivée au pouvoir, en Irak ou ailleurs dans le monde, d’autres dictateurs, d’autres sanguinaires. Elle n’a ni un effet dissuasif, ni un effet politique, ni même un effet rédempteur (effet décrit par
Albert Camus qui estimait que la peine de mort n’était pas concevable dans un État laïque puisque aucune considération ne devait avoir cours après la mort).
Je regrette donc cette exécution. La
loi du talion n’a jamais été la marque d’une grande intelligence et d’une grande civilité. La reconnaissance des crimes contre l’humanité d’Ali le Chimique était bien suffisante pour l’aspect moral et historique de ses procès. Sa réclusion à perpétuité n’aurait pas bouleversé le chaos en Irak. Elle aurait permis de montrer que la conscience humaine, le
« devoir envers l’être humain comme tel » (selon les mots de
Simone Weil), l’aspiration à redonner sens à l’humanité malgré la barbarie pouvaient l’emporter.
Le principe de la peine de mort ne saurait être justifié par l’existence de bourreaux.
« La passion criminelle n’est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d’autres passions. (…) Partout, dans le monde, et sans aucune exception, où triomphent la dictature et le mépris des droits de l’Homme, partout vous y trouverez inscrite, en caractères sanglants, la peine de mort. (…) La vraie signification politique de la peine de mort, c’est bien qu’elle procède de l’idée que l’État a le droit de disposer du citoyen jusqu’à lui retirer la vie. C’est par là que la peine de mort s’inscrit dans les systèmes totalitaires. » disait Robert Badinter, alors Ministre de la Justice, le 17 septembre 1981 devant les députés lors du
débat sur l’abolition de la peine de mort.
La pendaison d’Ali le Chimique n’a résolu aucun problème.
Et avec elle, c’est un peu comme si ses crimes contre l’humanité avaient continué.
Pour aller plus loin :