Faut-il aider le Pakistan ?
Pendant que les autorités pakistanaises exhortent les populations de trois villes du Sud, Sujawal, Daro et Mir Pur Batoro, à évacuer immédiatement l’Indus en raison des crues de l’Indus, les talibans menacent de s’en prendre aux étrangers qui apportent de l’aide humanitaire en raison de leur présence inacceptable. Faut-il rappeler cette cruelle réalité : en octobre dernier à Islamabad, les talibans avaient perpétré un attentat contre les bureaux du Programme alimentaire mondial de l’ONU faisant cinq morts. Lors de la traditionnelle conférence annuelle des ambassadeurs, à l’Elysée, Nicolas Sarkozy s’est élevé contre le « catastrophisme » des commentateurs au sujet du conflit en Afghanistan. « Notre action au service de la paix ne doit pas être soumise à des calendriers artificiels et aux humeurs médiatiques ». Et qu’en est-il du Pakistan ?

Les Nation Unies ont lancé un appel pour disposer d’au moins 40 hélicoptères gros-porteurs afin de venir en aide à environ 800.000 personnes totalement isolées au Pakistan. Ces personnes risquent de mourir de faim ou de maladie si les Nations unies n’obtiennent pas rapidement ces hélicoptères. Le niveau des eaux baisse dans le nord du pays, mais le sud reste menacé par les crues de l’Indus. À l’autre bout de la chaîne d’aide humanitaire, le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) exhorte le gouvernement pakistanais à apporter rapidement de l’aide à ces 800.000 sinistrés.
Les promesses de dons de la communauté internationale affluent au Pakistan. Le total des engagements reçus par le Pakistan est jusqu’ici de 815,58 millions de dollars. Après avoir déjà fourni une aide de 60 millions de yuans, soit environ sept millions d’euros, le gouvernement chinois a décidé d’acheminer un convoi d’aide humanitaire d’une valeur de 60 millions de yuans supplémentaires, afin de venir en aide aux personnes sinistrées. Une équipe de secouristes chinois de 55 membres est arrivée jeudi à Rawalpindi avec 25 tonnes d’équipements médicaux et de médicaments. Le gouvernement et le peuple pakistanais ont, selon le Quotidien du peuple en ligne, remercié la Chine pour son assistance, disant que la nourriture, les tentes et les médicaments offerts par le gouvernement chinois répondaient aux besoins les plus urgents de son pays. Washington portera à 200 millions de dollars l’aide versée aux sinistrés. Cette somme sera puisée dans l’enveloppe de 7,5 milliards d’aide au développement du Pakistan votée en septembre dernier par le Congrès. Le Canada vient de bonifier son aide : le leader du gouvernement à la Chambre des communes, John Baird, a promis d’égaler les dons de la population faits entre le 2 août et le 12 septembre. Selon les dernières informations colligées, la France aurait accordé une aide humanitaire à hauteur de 1,05 million d’euros au Pakistan. D’autre part, le porte-parole de la Croix-Rouge française, Jean-François Riffaud, a affirmé que « la générosité des Français n’est pas à la hauteur de la catastrophe ». Il ajoutre : « Nous avons reçu 450.000 euros en deux semaines. Pour Haïti, nous avions récolté deux millions d’euros en deux jours ! »
Le Front monétaire international a amorcé une réunion avec les dirigeants pakistanais pour évaluer les conséquences économiques des inondations. Une telle rencontre, qui devrait se poursuivre au moins jusqu’à la fin de la semaine prochaine, pourrait signifier la possibilité d’un assouplissement des conditions de remboursement d’un prêt de 10 milliards de dollars en 2008. Le ministre pakistanais des Finances, Abdoul Hafeez Shaikh, et le gouverneur de la Banque centrale, Yaseen Anwar, se sont joints aux discussions et explorent toutes les options destinées à sauver l’économie pakistanaise. Le ministre pakistanais des Affaires étrangères, M. Shah Mehmood Qureshi, estime les nouvelles pertes encourues par suite de ce sinistre à 43 milliards de dollars. Le Pakistan a une dette extérieure de 54 milliards de dollars et consacre chaque année 3 milliards à son remboursement.
« A moins qu’une aide massive soit acheminée immédiatement, de vastes zones actuellement coupées du monde retomberont aux mains des taliban pakistanais et d’autres groupes extrémistes », écrit l’analyste pakistanais Ahmed Rashid dans le quotidien londonien The Daily Telegraph, cité par l’Express. « Si la situation devait se dégrader, le risque serait grand de voir apparaître une chaîne continue liant les bases terroristes de Quetta (Pakistan) et du Sud-afghan à celles du Yémen, de la Somalie et du Sahel », commentait, devant les ambassadeurs de France réunis à l’Elysée, Nicolas Sarkozy. Il y a deux jours, trois attentats suicide ont fait une quarantaine de morts dans les régions tribales du Pakistan.
Des associations humanitaires liées à la mouvance islamiste, voire terroriste, les membres de l’ONG Jamaat-ud-Dawa (JuD), distribuent aides et soins médicaux. Gagnant la sympathie de la population. Ils arrivent par camions sur les zones sinistrées et distribuent à tour de bras des vivres, du matériel et même 5 000 roupies (44 €) en liquide à chaque famille. « Jusqu’ici, nous avons aidé plus de 250 000 personnes », expliquait, la semaine dernière à l’AFP, Atique Chochan, porte-parole de la JuD.
Mosharraf Zaidi écrit, sur Slate, qu’entre notre peur du terrorisme, l’inquiétude que peut nous inspirer un pays musulman doté de l’arme nucléaire, et l’embarras de la communauté internationale face à un service de renseignement qui fait ce qui lui chante (et non ce que nous voulons qu’il fasse), une chose est sûre : le Pakistan met le monde – et tout particulièrement les Américains – extrêmement mal à l’aise. Selon une étude Gallup datée de 2008, aux États-Unis, seuls l’Afghanistan, l’Irak, l’Autorité palestinienne, la Corée du Nord et l’Iran étaient moins populaires que le Pakistan.
Dans l’Humanité, Hassane Zerrouky écrivait le 19 août dernier : « Le Pakistan est sans doute victime d’une image dégradée, en proie à une violence extrême, où les islamistes radicaux font régner une insécurité de tous les instants, d’un pays où il semble que Ben Laden et al-Qaida continuent d’agir en toute impunité, où, du fait de la loi religieuse (la charia), les femmes ne sont pas des citoyennes à part entière. En outre, le Pakistan donne également l’image d’un pays instable politiquement – l’assassinat de Benazir Bhutto en mars 2007 est encore présent dans les mémoires –, entachée par une corruption gangrenant les institutions à tous les niveaux. La presse britannique évoquait, au début de la semaine, le détournement par le président pakistanais, Asif Ali Zardari, d’une partie des 367 millions d’euros destinés aux sinistrés du tremblement de terre d’octobre 2008 ».
Une porte-parole de l’ONG Care International, à Genève, Melanie Brooks disait craindre que les personnes associent le Pakistan au terrorisme. L’ONU doit leur expliquer que l’argent ne va pas aller dans les mains des talibans. « Les sinistrés sont des mères, des paysans, des enfants. Mais dans le passé, les informations liées au Pakistan étaient toujours liées aux talibans et au terrorisme », commentait Melanie Brooks.
Selon des informations dont dispose le gouvernement américain, les talibans pakistanais prépareraient des attaques contre des étrangers participant aux opérations humanitaires en cours au Pakistan. Les talibans pakistanais pourraient aussi préparer des attaques contre des responsables fédéraux et provinciaux à Islamabad. Toutefois, selon un général américain, les forces américaines engagées dans ces opérations n’ont pas fait état de problèmes de sécurité (Source AFP). Rajiv Shah, administrateur de l’USAID, déclarait : « les temps sont durs économiquement dans le monde entier. Il faudra que le Pakistan fasse une réelle démonstration de transparence et rende des comptes, et que les ressources dépensées donnent des résultats pour que les appels à la reconstruction soient entendus ».
La vie continue au Pakistan. Lundi, un kamikaze a tué au moins 20 personnes, dont un dignitaire religieux, et fait plus de 40 blessés en faisant exploser sa bombe dans une mosquée du nord-ouest du Pakistan, bastion des talibans alliés à Al-Qaïda. Dans un autre district tribal du nord-ouest, Kurram, sept personnes avaient péri plus tôt dans l’explosion d’une mine lors d’une réunion de notables tribaux. Personne n’a été en mesure de dire s’il s’agissait d’un attentat les visant ou d’une explosion accidentelle de la mine.
Tahir Imran Mian est journaliste à Islamabad. Il a dénoncé, sur France24 et sur Facebook, une vidéo qui montre le lynchage de deux adolescents au Pakistan. Deux frères, Mughees Butt, 19 ans, et Muneeb Butt, 15 ans, par suite d’une altercation avec un groupe de jeunes gens, ont été lapidés sur la place publique. Les gens ont commencé par les frapper avec des bâtons, et à leur lancer des pierres. Le plus jeune est mort en quelques minutes, mais le calvaire de son aîné a duré une heure et demie. A la fin, des témoins affirment qu’il implorait qu’on l’abatte pour mettre un terme à ses souffrances. Lorsque les deux garçons ont été pendus à des poteaux, à deux pas du poste de secours où se trouve le poste de police, il était vraisemblablement toujours en vie. 15 policiers étaient présents lors du lynchage. Ils sont accusés d’avoir commis une bavure, ce qui leur vaudrait au maximum deux ans de prison. Le ministre de l’Intérieur, Rehman Malik, s’est rendu sur les lieux et il a promis que les coupables seront pendus, rapporte le quotidien The Nation.
La Dépêche s’est interrogée : Pourquoi le Pakistan ne vous intéresse-t-il pas ? Elle a invité ses lecteurs à commenter cette indifférence à l’égard du Pakistan. Un lecteur répond : « un pays qui grouille de pauvres gens en dessous du seuil de pauvreté... Et qui possède la bombe atomique... on est tenté de le laisser résoudre ses problèmes tout seul ». Un autre lecteur répond ainsi : « parce qu’il y a d’autres pays qui le méritent plus. C’est un pays de terroristes qui dépensent des millions pour acheter des armes. Cet argent servirait mieux à aider les gens les plus pauvres, à permettre aux petites filles d’accéder à l’éducation ».
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