Gaza : pas drôle d’être un pion sur l’échiquier du Proche-Orient !
Dans le conflit qui oppose actuellement Israël au Hamas, le peuple palestinien est incontestablement une victime… mais dire qu’il n’est que celle d’Israël serait une simplification caricaturale tant l’échiquier du Proche-Orient est complexe. Dépassons un peu les apparences et regardons les ficelles du drame.
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Suite au non renouvellement par le Hamas d’une trêve de 6 mois échue le 19 décembre dernier (qui de toute façon n’avait été qu’imparfaitement respectée par les deux camps), les hostilités ont repris, évoluant rapidement pour devenir officiellement une campagne militaire le 27 décembre, pendant que les Occidentaux digéraient la dinde de Noël et reconstituaient leurs stocks de champagne et de foie gras.
Ce conflit n’est pas sans rappeler la légende de David (second roi d’Israël) contre Goliath (soldat philistin, une tribu qui occupait l’actuelle bande de Gaza), si ce n’est que dans ce remake moderne, il n’y a guère de suspense. David dispose non d’une simple fronde mais d’un armement ultra-moderne tandis que Goliath n’a en main qu’une poignée d’allumettes. De façon assez prévisible, la disproportion des forces en présence se retrouve de façon inverse dans le rapport entre le nombre de morts dans chaque camp (à l’heure où j’écris, 13 Israéliens et 1013 Palestiniens).
Devant un tel tableau, il est facile d’identifier la victime. Et les apparences désignent évidemment Israël comme le tortionnaire récurrent. Pourtant, je doute qu’un seul peuple au monde se satisfasse de l’état de guerre permanent, Israël pas plus qu’un autre. On imagine sans peine ses citoyens lassés par un service militaire obligatoire (trois ans pour les hommes, deux pour les femmes), un budget militaire pesant, la peur permanente des attentats, … L’intérêt d’Israël est assurément de gagner la guerre, mais pas d’entretenir un conflit chronique ni de massacrer gratuitement des populations voisines.
Alors comme dans toute bonne investigation, il faut se demander à qui profite le crime. Les seuls pays qui s’accommodent durablement d’un conflit sont ceux qui ne sont pas concernés... sans parler de ceux qui en tirent bénéfice ou satisfaction (tel qu’affaiblissement d’un adversaire, d’un concurrent). De là à dire que ce conflit arrange certains états ou chefs d’état, il n’y a qu’un pas…
L’affaiblissement économique d’Israël est un bénéfice collatéral non négligeable de ce conflit. La disproportion entre les moyens du Hamas et le coût de la guerre pour Israël est encore bien plus marquée que celle entre les morts des deux camps. L’armée hyper-sophistiquée et technologique d’Israël consomme déjà 11% de son PIB en temps ordinaire (à comparer à 3% pour la France), mais au cours d’une guerre active, le compteur s’emballe. Pendant ce temps, les roquettes du Hamas coûtent à peine quelques milliers d’euros pièce. Israël est une puissance économique locale potentielle, dotée notamment d’un secteur tertiaire performant qui fait défaut aux états voisins, la guerre est un bon moyen de lui couper les ailes. Il suffit de voir l’effet de la guerre en Irak sur l’économie et la dette américaines !
L’Iran, la Syrie et l’Arabie Saoudite en particulier peuvent ainsi voir d’un bon œil ce conflit qui s’éternise et coûte cher à leur ennemi. Le Hamas est soutenu par l’Iran et l’Arabie saoudite, le Hezbollah par l’Iran et la Syrie. Il n’est pas irréaliste de penser qu’ils incitent régulièrement l’un ou l’autre à provoquer Israël, au mépris le plus total tantôt du peuple palestinien, tantôt du peuple libanais, juste pour entretenir l’incendie… et les dépenses.
D’ailleurs, si des préoccupations humanitaires sincères guidaient le soutien de la Ligue des pays arabes à la cause palestinienne, comment expliquer qu’elle ne contribue qu’à 25% du financement de l’autorité palestinienne (le reste reposant sur les pays occidentaux) alors qu’elle dispose pourtant de moyens financiers considérables (ses membres produisent le tiers du pétrole mondial). Pourquoi donc l’Arabie saoudite et l’Iran (respectivement 1er et 4ème producteurs mondiaux) préfèrent-ils soutenir des mouvements terroristes qui recourent de façon courante au bouclier humain pour lancer leurs attaques plutôt que de financer une autorité légitime qui prendrait soin de sa population ?
Sous couvert de préoccupations humanitaires, nombres de pays arabes voudraient bien arracher à l’ONU une condamnation sans réserve d’Israël, qui ferait évidemment l’impasse sur les causes profondes du conflit (démographie, répartition des ressources naturelles, hostilité de la majorité des pays arabes à Israël, ambitions iraniennes) pour ne dénoncer que les apparences dont l’opinion publique internationale s’émeut. L’ONU n’est pas dupe et les USA ont raison de s’y opposer (le fait qu’Israël soit un des principaux débouchés pour l’industrie militaire américaine pèse sans doute aussi). Pour utiliser une image, c’est comme si un homme demandait à un tribunal de condamner un voisin qui lui a cassé la gueule... mais sans dire qu’il lui raye régulièrement sa voiture. Ce tribunal serait bien avisé soit de débouter la plainte, soit de l’instruire en profondeur. Comme l’état de guerre est facile à établir mais que la part de responsabilité des pays voisins laisse plus de place à l’interprétation, on voit du reste mal comment l’ONU pourrait rédiger une résolution intégrant toutes ces composantes.
L’inertie de la Ligue de pays arabes est également troublante puisque si tous ses membres (sauf l’Égypte) ont condamné l’offensive de l’état hébreux, cette organisation n’a pris aucune mesure concrète. Aucun sommet d’urgence des pays arabes n’a même encore eu lieu en trois semaines de conflit et ce mercredi 14, l’émir du Qatar qui voulait en convoquer un reconnait ne pas avoir le quorum requis. Si même les pays qui condamnent Israël ne peuvent s’entendre, comment s’offusquer que l’ONU (où le nombre de membres et les divergences d’intérêts sont bien supérieurs) soit impuissant ?
De son côté, Israël qui dépense son argent et sa réputation internationale dans l’affaire compte bien tirer quelques bénéfices de la situation et ne pas se contenter de châtier une poignée de militants du Hamas. Sous couvert de riposter contre des attaques et d’assurer la sécurité de sa population, il compte bien atteindre des objectifs moins avoués tels que redorer le blason de son armée un peu terni au Liban en 2006, préparer les prochaines élections voire même reprendre le contrôle de la frontière Sud de Gaza pour la séparer de l’Égypte et encercler totalement ce territoire. Ce serait d’ailleurs probablement déjà chose faite depuis longtemps si cette zone n’était pas densément peuplée. Cette zone est en effet percée de nombreux tunnels, que le Hamas utilise pour convoyer des armes et des vivres (qui lui permettent d’acheter le soutien de la population de Gaza).
Quant à l’Égypte, sa position est fort délicate. Seul pays arabe à avoir une frontière avec Gaza, seul pays arabe à entretenir des relations normalisées avec Israël, son engagement dans la recherche d’une solution pacifique au conflit israélo-palestinien est ancien (on se souvient par exemple du sommet de Sharm El-Sheikh en 1996) et le président Hosni Mubarak est le seul dirigeant arabe qu’on a vu sur la scène diplomatique ces dernières semaines. Cette frontière est un caillou dans sa chaussure. L’Égypte ne peut l’ouvrir, à la fois pour s’éviter un flot de réfugiés et vis-à-vis d’Israël. Elle ne peut pas la contrôler trop durement non plus vis-à-vis du peuple palestinien et des autres pays arabes. Enfin, l’Égypte qui a bien assez à faire avec ses propres mouvements fondamentalistes qui menacent à chaque instant sa sécurité intérieure, se méfie particulièrement du Hamas et craint l’avènement d’un état palestinien fondamentaliste. Elle pourrait donc s’accommoder de la création d’un no-man’s land à l’initiative d’Israël, qui lui retirerait – au moins pour un temps – la responsabilité de cette frontière tant vis-à-vis de l’état hébreux que des autres pays arabes.
Enfin l’Iran profite à plein de ce conflit. Ahmadinejad focalise toutes les frustrations du monde arabe à travers sa volonté de destruction de l’État hébreu, ce qui en fait un leader populaire du monde musulman (même si Ben Laden a très récemment tenté de récupérer lui aussi l’opinion musulmane). Son objectif premier reste la bombe atomique, arme fatale qui lui permettrait d’imposer sa suprématie, de fédérer les principaux mouvements islamistes de la région… puis les états. Il n’a absolument aucun intérêt à voir se terminer un conflit qui lui permet d’apparaître comme le héraut du monde musulman, tout en détournant l’attention internationale d’un programme nucléaire fortement suspect.
Le monde arabe est donc beaucoup plus divisé sur la question palestinienne que des déclarations presque unanimes ne le laissent paraître. Schématiquement, il y a d’un côté ceux qui soutiennent les mouvements fondamentalistes pour mener une guerre qui ne dit pas son nom contre Israël (Iran, Syrie, Arabie Saoudite), et de l’autre ceux qui sentent leur sécurité intérieure et leur régime menacés par les fondamentalistes (Égypte, Arabie Saoudite). La plupart en tout cas trouvent un intérêt dans la poursuite d’un conflit qui leur laisse les mains propres, soit parce que c’est une grosse épine dans le pied de leur adversaire, soit parce qu’ils espèrent l’étouffement d’une révolution fondamentaliste qui pourrait faire tâche d’huile dans la région.
La rue de Gaza, quant à elle, s’étonne de l’inaction arabe et semble paradoxalement espérer plus des pays occidentaux que des pays musulmans. Il est vrai que ceux-ci doivent garder un œil très attentif sur l’Iran… donc la résolution de ce conflit les arrangerait bien.
Il ne fait pas bon être un pion dans de tels enjeux. C’est malheureusement bien le cas du peuple palestinien, que les états arabes n’hésitent pas à sacrifier sans grand état d’âme à leur cause ou leurs ambitions. Et pendant ce temps, les opinions publiques internationales regardent le doigt armé d’Israël au lieu de regarder les enjeux réels qu’il désigne. Sur l’échiquier local, Israël n’est certes pas un pion, mais ce n’est pas non plus un roi ou une dame, tout au plus une tour.
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