Géopolitique de la frustration sexuelle

Il manque 100 millions de femmes en Asie... L’Asie a trop de garçons ou, plus exactement, l’Asie souffre d’un déficit de filles. Depuis l’arrivée de l’échographie, qui permet de connaître le sexe de l’enfant alors qu’il n’est encore qu’à l’état d’embryon, de nombreux parents ont décidé de pratiquer un avortement sélectif visant les fœtus féminins. Les effets de cette pratique très répandue comment à se faire ressentir : la Chine (120 garçons pour 100 filles), Taïwan (119 garçons pour 100 filles), Singapour (118 garçons pour 100 filles), la Corée du Sud (112 garçons pour 100 filles) et l’Inde (120 garçons pour 100 filles) vont devoir très prochainement gérer les effets inédits et peu prévisibles d’un tel déséquilibre démographique, qui risque de faire vaciller les fondements des sociétés humaines.
Jusqu’alors, une loi universelle régissait la répartition des naissances entre filles et garçons : 100 filles naissent pour 105 garçons. Cet écart prévalait il y a encore vingt ans, avant que l’échographie ne se développe en Asie. Il y a une quinzaine d’années, le Prix Nobel d’économie indien, Amartya Sen, avait tiré la sonnette d’alarme et souligné les dangers que l’avortement sélectif faisait courir aux pays qui le pratiquent.
La première génération sélectionnée arrive aujourd’hui à maturité, avec tous les défis liés à ce qu’un chercheur de la New School University in New York qualifie de géopolitique de la frustration sexuelle, dans un article publié dans la revue Foreign Policy. "Nombre de ce trop plein de garçons restera pauvre et sans racines, un lumpenprolétariat qui n’aura même pas le réconfort de partenaires sexuels et la consolation d’une famille. La prostitution, le tourisme sexuel et l’homosexualité pourront soulager leurs besoins immédiats, mais les sociétés asiatiques peuvent déboucher sur des situations plus dramatiques. Les femmes courent désormais le risque de se faire enlever et d’être forcées non seulement à la prostitution, mais également au mariage. En 1900-1991, la police chinoise a procédé à 65 236 arrestations liées à des enlèvements de femmes (...) En septembre 2002, un agriculteur de la région du Guangxi a été exécuté pour avoir enlevé et vendu plus de cent femmes, pour un prix compris entre 120 et 360 $ par femme. La frustration sexuelle de masse s’ajoute à un ensemble de problèmes dans une région déjà déstabilisée par une croissance économique démesurée, l’urbanisation, la drogue, et la dégradation de l’environnement."
En Inde, de nombreuses familles privilégient les garçons (ils hériteront du patronyme et des biens) au détriment des filles, qui ont un coût : éducation, constitution d’une dot qui profitera à la famille du futur mari... Un dicton, charmant et terrible à la fois, prétend que "élever une fille, c’est comme arroser le jardin du voisin..."
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