Globophobie : ballon scientifique ou d’espionnage ?
Chase, un ancien journaliste local rentre chez lui lorsqu'il aperçoit une sphère dans le ciel qui ressemble à une pleine lune miniature. Il monte un 500 mm et un doubleur de focale sur son appareil photographique et « mitraille » l'objet pendant 45 minutes. Le 1er février la Gazette de Billings dans le Montana (proche de la base aérienne de Malmstrom et de ses missiles stratégiques) publie un article et les photos. Le lendemain le Pentagone révèle que le ballon qui a survolé l’Alaska et maintenant le Montana est surveillé depuis le 28 janvier par deux Loockeed U-2 « Dragon Lady » (appareil de guerre électronique multi-usages). Les analystes sont très attentifs aux capacités manœuvrières du ballon (changements de cap, d’altitude et célérité), à très haute altitude une faible motorisation suffit à infléchir la trajectoire d'un aérostat.
Samedi 4 février un F-22 décolle de la base aérienne de Langley (Virginie) à 14 h 39 (19 h 39 GMT) et abat le ballon au-dessus de l'océan Atlantique au large de la Caroline-du-Nord. Les navires de l'US-Navy et ceux des gardes côtes prépositionnés sont chargés de la récupération des débris flottants, les plongeurs (UDT) de ceux qui reposent par une douzaine de mètres de profondeur et étalés sur un mile carré ; tout doit être remis au FBI aux fins d'analyses. Washington s'est engagé à communiquer au Congrès toutes les informations et d'en partager le contenu avec les pays partenaires. L'autre ballon continue sa course au-dessus de Océan l'Atlantique après avoir survolé le Costa-Rica, Vénézuela et Marie-galante (Guadeloupe)...
Une semaine plus tard (11 février), un objet aérien non identifié et sans pilote volant à une altitude de 42.000 pieds (13.000 m) repéré par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) violant l’espace aérien canadien est abattu au-dessus du Yukon à 13 h 45 (heure de Washington) par un missile air-air tiré à partir d'un F-22 de l'USAF de la base d'Elmendorf (Alaska) à la demande du premier ministre canadien. « Les Forces canadiennes vont maintenant rapatrier et analyser les débris de l’objet ». Le lendemain..., 14 h 42 heure locale, un F-16C abat un nouvel aéronef non identifié évoluant à 20.000 pieds (6.100 m) au-dessus du lac Huron, frontière naturelle entre USA et le Canada (Michigan/Ontario). La réglementation du trafic aérien s'arrête à 66.000 pieds (environ 22 km) d'altitude, et l’entrée d’un aéronef sans l’accord du pays est une violation de sa souveraineté.
D’après une légende chinoise, le premier ballon à air chaud (lanterne céleste) fut utilisé par Zhuge Liang (-234 -181) comme moyen de signalisation et de communication. Pilatre de Rozier et Jacques Charles réalisent le premier vol scientifique emportant un baromètre et un thermomètre. Ces instruments vont permettre de constater que la pression et la température décroissent quand on s'élève en altitude. La pression atmosphérique moyenne au niveau de la mer, 1013 hPa, est divisée par deux tous les 5.500 mètres, et par 10 tous les 16 000 mètres gagnés (approximation) : 500 hPa à 5.500 mètres et 100 hPa aux alentours de 16 km d’altitude. l'épaisseur de la troposphère (couche inférieure de l'atmosphère) varie en fonction des saisons (maximale en été, minimale en hiver) et selon la latitude (0 à 9 km aux pôles, 18 km à l'équateur). La tropopause représente une bande étroite séparant la troposphère de la stratosphère (atmosphère comprise entre 12 et 50 km d'altitude) dans laquelle la température de l'air reste constante lorsque l'altitude augmente. Tous les grands phénomènes météorologiques se déroulent dans la troposphère. (densité de l'air 1,293 et gradient thermique de -6,5°C par km). Si le vent (déplacement des molécules d’air) souffle des hautes pressions vers les basses pressions, les turbulences peuvent s'étendre jusqu'à la basse stratosphère. « La température de l'air y est relativement constante jusqu'à 20 km d'altitude, puis augmente régulièrement jusqu'à 220 K à 50 km d'altitude (stratopause). À cause de cette augmentation de la température avec l'altitude, il n'y a pas de convection, ce qui stabilise les conditions atmosphériques dans cette enveloppe ».
En 1892 une série d'expériences avait démontré qu'un petit ballon peut atteindre 10.000 m et que les instruments fragiles embarqués peuvent être récupérés intacts une fois le ballon de retour sur terre. Un ballon est un véhicule thermique composé d’une enveloppe gonflée avec un gaz plus léger que l’air à une pression idoine de façon à lui assurer une vitesse ascensionnelle d'environ 5 m/s (trop gonflé, il monte vite et explose tôt). Le ballon s’élève dans l’atmosphère sous la poussée d'Archimède, plus il gagne en altitude, plus la pression de l’atmosphère diminue et le gaz occupe de plus en plus de volume. Le diamètre peut selon l'enveloppe (latex, mylar, néoprène, polyéthylène) augmenter de 400 % (ballon fermé).
Plusieurs types de ballons sont fabriqués. Les ballons stratosphériques ouverts (la partie inférieure de l’enveloppe communique avec l'air l’extérieur. Leur volume 3 000 à 1 200 000 m3 rempli d'hélium leur permet d'emporter une charge de deux ou trois tonnes à 17 - 40 km l'altitude et pendant quelques jours. Les ballons fermés pressurisés stratosphériques gardent un volume constant, ce qui leur permet un vol de plusieurs semaines en emportant une charge utile d'une cinquantaine de kilogrammes à des altitudes d'une vingtaine de kilomètres. Si ceux de faibles diamètres (3 mètres) n'emportent une charge utile que de quelques centaines de grammes, ils peuvent séjourner en altitude plusieurs mois. Le Breitling Orbiter 3 a parcouru 45.755 kilomètres à une altitude de 7 milles dans le sens ouest est du 1 au 21 mars 1999. Lors de sa première tentative,) Breitling Orbiter a dû se poser en Birmanie, la Chine interdit le survol de son territoire aux ballons étrangers. Les ballons infrarouges apparus en 1979 ont leur enveloppe (45.000 m3) chauffée le jour grâce à une calotte recouverte d'aluminium qui leur permet d'atteindre l'altitude de 30 km, et la nuit de redescendre vers 20 km d'altitude avec une charge utile embarquée d'une cinquantaine de kilos pendant trois semaines.
Tous ces ballons obéissent aux lois de la physique d'une bulle de gaz livrée à elle-même dans l’atmosphère (pression, température). Dans la partie basse de la stratosphère (entre 30°N et 30°S) on constate la présence des jets-streams dirigés Ouest vers l'Est en raison de la force de Coriolis qui dévie les particules de l'équateur vers le pôle Nord et dans le sens horaire (dans l'hémisphère Sud le phénomène est inversé). Le jet-stream d'hiver est plus puissant. Au-dessus de 16.000 m (100 hPa), les vents sont relativement faibles et le ballon peut rester au même endroit pendant une vingtaine de minutes tout en continuant à gagner de l'altitude. La vitesse de montée est presque constante, environ 5 m/s ou 300 m/minute. La force ascensionnelle et la résistance de l'air se compensent mutuellement (+ ou -10 %), si la pression et la densité de l'air diminuent, le volume du ballon lui augmente.
Pour établir une prévision de trajectoire (windgram), il est nécessaire de connaître avec la plus grande précision la direction et la force du vent à chaque zone traversée. Lors du lâché d'un ballon-sonde (800.000 lâchés par an), l'atmosphère est divisée en plusieurs strates, couches dans lesquelles on considère que la vitesse et la direction du vent sont constantes. Cela permet de calculer la durée de la traversée et la dérive subie pour chaque couche. En traçant bout à bout chaque segment (vitesse et direction) on obtient la position du ballon pour chaque couche. Le ballon-sonde termine sa course à la rupture de son enveloppe, la gravité faisant le reste.
Les déclarations de Pékin n'ont cessé de varier au fil du temps et des réactions : négation, c'est un ballon scientifique qui a dévié de sa trajectoire, nous respectons les traités en la matière, il s'agit d'une « provocation des impérialistes yankee », présenter leurs excuses, d'évoquer ensuite des représailles (en Chine, perdre la face reste la pire des offenses). Les spécialistes de souligner que l'aérostat ne présente aucune des caractéristiques d'un ballon-sonde : émission sur les fréquences attribuées au service météorologique de radiosondage par L'Union Internationale des Télécommunications (400,15 à 406 MHz et 1668,4 à 1.700 MHz), réflecteur radar, position par GPS ou LORAN-C, transpondeur, balise.
La RPC exporte plus de 130.000 ballons-sondes professionnels par an à travers le monde ! Les Chinois étudient les phénomènes météorologiques jusqu'à modifier localement le climat depuis des décennies. La Chine connue pour avoir recours à l’ensemencement des nuages (iodure d'argent, sels de sodium, azote liquide), technique très controversée, ne se cache pas de vouloir « faire la pluie et le beau temps ». Les premiers projets de « domptage des éléments » ont été imaginés dès les années soixante. Des chercheurs de l’université Tsinghua de Pékin d'affirmer au South China Morning Post, que les autorités météorologiques ont réussi à dégager le ciel et réduire la pollution lors de la célébration du centenaire du Parti communiste chinois à Pékin du 01 juillet 2021. Pékin a annoncé « la multiplication par cinq des capacités de son programme de modification météorologique pour permettre d'ici 2025 de commander pluie, neige ou beau temps sur 56 % de son territoire. En visant particulièrement le plateau tibétain, plus vaste réserve aquatique en Asie, la Chine pourrait perturber l'intégralité du système météorologique de la région, perturber le flux du Mékong, de la Salouen ou du Brahmapoutre » (The Guardian). L'Inde dénonce une « militarisation de la météo ».
En Chine, seule l’Administration météorologique est autorisée à rendre publique les informations : nébulosité, direction et vitesse des vents, températures, taux d’humidité et visibilité. La loi du 1er mai 2015 interdit aux citoyens de communiquer ce genre d'information sous peine d'amende (environ 8.000 euros). Cela n'empêche aucunement l'empire céleste de vendre des ballons-sondes très performants (entre 300 et 600 € selon la configuration), principaux clients : écoles d'ingénieurs, lycée technologique, radio-amateurs, etc. L'utilisation impose : déclaration à la DGAC, demande de NOTAM, prévenir la tour de contrôle voisine du site de lancement ; charge maximale de la nacelle 2 kg. L'adjonction d'un RaspBerry multiplie les possibilités. Certains de ces ballons traversent l'Atlantique d'ouest en est ! Pour les ballons dépourvus de coordonnés GPS, la chasse se fait sur 144.650 ou la bande 434 MHz (IARU).
Selon The Washington Post, le ballon faisait partie d’un vaste programme de surveillance de l’Armée Populaire de Libération. L’APL a reçu quatorze ballons fabriqués par Zhuzhou Rubber Research & Design Institute Co, Ltd, une filiale de la société d’État Chemchina, et The Liberation Army daily a publié un article très détaillé sur les nombreux avantages des ballons stratosphériques... Pour le Japan News, le ballon relèverait de la Force de soutien stratégique chargée de missions stratégiques spatiales, cybernétiques et de guerre électronique. Une hypothèse a été avancée, les généraux de la PLA auraient pris cette initiative sans en informer le PCC ni les ministères concernés !
Le Département d’État n'a aucun doute : « Les États-Unis estiment que le ballon était contrôlé par l'armée chinoise et qu'il faisait partie d'une flotte de ballons envoyée au-dessus de plus de 40 pays sur cinq continents ». Les clichés rapportés par les avions U-2 indiquent que le matériel embarqué : « était clairement fait pour de l'observation à des fins d'espionnage, et ne colle pas avec un équipement de ballon-sonde météo. Il avait de nombreuses antennes, un ensemble probablement capable de collecter et géo-localiser des communications. (...) Le ballon était équipé de panneaux solaires assez larges pour fournir l'énergie nécessaire à faire fonctionner de multiples capteurs collectant du renseignement. (...) Nous sommes convaincus que le fabricant du ballon a un lien direct avec l'armée chinoise. (...) les autorités chinoises confieraient l’exploitation des ballons à des entités du secteur privé dans le cadre de sa stratégie nationale de fusion militaire-civile. Ce programme initié en 2018 aurait permis à Pékin de collecter des informations sur des installations militaires dans des pays stratégiques : Japon, Inde, Vietnam, Philippines. (...) Il y aurait eu au moins une vingtaine de missions au-dessus d’au moins cinq continents ».
La zone entre 22 et 100 km d'altitude est une zone grise, « l'espace extra-atmosphérique » ne s'applique qu'à partir de 100 km (traité de 1967). Quid de la France ? L'armée de l'air et de l'espace étudie les différentes options stratégiques que posent les opérations à très haute altitude (20 et 50 km) et le matériel le plus apte à y répondre. Cette réflexion doit : « à la fois définir les missions et les moyens pour nous permettre d'être présent dans le développement des HAO (...) à partir de la moitié de la prochaine décennie » (général Parisot). Trois entreprises travaillent sur différents projets : Hemeria, projet BalMan, un ballon manœuvrant pour ne pas dériver dans la stratosphère - Thales Alenia Space, Stratobus, un dirigeable de 120 mètres embarquant une charge utile de 250 kg capable de survoler une zone d'environ 1.000 km² pendant une douzaine de mois - Airbus Space, Zephyr, un drone de très haute altitude à faible signature radar. L'affaire de l'aérostat chinois va-t-elle entrainer des modifications de la prochaine loi de programmation militaire ? Une remarque, une correction, une précision ?
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