Guerre à Gaza, le contexte
L’attaque militaire d’Israël sur Gaza qui a débuté depuis prés de 20 jours à déjà fait plus de 1000 morts et 4700 blessés, selon le ministère de la santé palestinien. Ces chiffres sont invérifiables à ce jour puisque Israël bloque l’accès de Gaza aux journalistes indépendants, mais les ONG et les travailleurs de l’ONU sur place ne les contredisent et restent les sources les plus fiables concernant ce qui se passe au sein de la bande de Gaza. La propagande bat son plein de toute part, la compréhension du conflit est très complexe et mérite d’être replacée dans son contexte, et d’être analysée suivant plusieurs perspectives. En dehors de l’aspect émotionnel, on se doit de séparer les facteurs stratégiques et politiques sous-jacents afin de mieux comprendre les possibilités d’une sortie de crise et les solutions pour un rééquilibrage des droits entre les deux peuples au travers de la création d’un État Palestinien, seule issue pour Israël afin d’obtenir une sécurité durable, dans la mesure ou c’est bel et bien le but recherché...
Avant de parler des diverses facettes de ce conflit il me faut absolument mettre en perspective le déroulement des évènements depuis l’arrivée du Hamas au pouvoir en 2006 dans la bande de Gaza. Pour ceux qui n’ont aucune connaissance du conflit regardez une carte d’Israël afin de pouvoir avoir une idée de la situation géographique du territoire : l’État d’Israël et deux zone palestiniennes. La Cisjordanie (West bank en anglais) occupée par l’armée israélienne qui y défend les colonies israéliennes (500 000 colons pour environ 2 millions de palestiniens) la zone palestinienne est sous le contrôle de l’autorité palestinienne présidée par Mahmoud Abbas. Au sud-ouest du pays coincé entre le Sinaï égyptien, le Néguev et la méditerranée on trouve la bande de Gaza, un territoire avec une densité de population très élevée (environ 4000 habitants/km2, rapportés aux centre urbains de la bande, cette densité est plus que doublée).
La chronologie des évènements
En Aout 2005, Ariel Sharon, premier ministre Israélien ordonne le retrait total de l’occupation Israélienne à Gaza et le démantèlement de ces colonies (8000 personnes environ sont déportées). Cela permet à Israël de retrouver une frontière physique avec Gaza.
En Janvier 2006, l’administration Bush fait pression pour que des législatives (prévues initialement en 2005) aient lieu pour l’autorité palestinienne. Bush pense pouvoir sur les deux dernières années de son mandat obtenir la création de l’État palestinien, et ainsi terminer sur une bonne note sa présidence, en poussant l’autorité à tenir des élections démocratiques. Les américains insistent donc sur la possibilité pour le Hamas de se présenter et ne prêteront pas attention aux avertissements du Fatah de Mahmoud Abbas qui dit n’être pas préparé à remporter ces élections. Finalement, à la grande surprise de l’administration Bush (leur incompétence en matière géopolitique n’est plus à démontrer) c’est le Hamas qui l’emportera, grâce aux divisions au sein même du Fatah qui présente plusieurs candidats face aux candidats uniques du Hamas mais à cause de la corruption qui y règne. La représentation du peuple palestinien est donc divisée entre une faction laïque : le fatah, le parti politique de Yasser Arafat et le Hamas, organisation armée devenue parti politique islamiste radical. Le président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas (Fatah) propose donc au Hamas de former son gouvernement et Ismael Haniyeh devient premier ministre.
L’arrivée au pouvoir du Hamas brouille toutes les cartes du processus de paix et Israël refuse dès lors tout dialogue direct avec le Hamas, l’organisation devenue politique est avant tout reconnue internationalement comme une organisation armée terroriste (cela reste relatif car certains États comme la Grande Bretagne, l’Australie ne classe que la branche armée du Hamas comme terroriste, ou encore parce que d’autres États comme la Russie, le Brésil ou l’Afrique du Sud ne classent plus du tout le Hamas comme une organisation terroriste).
La cohabitation entre le Fatah et le Hamas ne cessera de se détériorer, en particulier sous la pression de la CIA qui pense en armant le Fatah que celui-ci pourrait renverser le Hamas à Gaza, seul obstacle pour Bush afin d’obtenir la création rapide d’un État palestinien acceptable pour Israël, cela débouchera ainsi en juin 2007 sur une situation de guerre civile dont le Hamas ressortira gagnant et éliminera toute influence du Fatah sur la bande. Les deux camps constitueront de nombreux prisonniers en Cisjordanie pour le Fatah et a Gaza pour le Hamas. Abbas remplace alors unilatéralement Ismael Haniyeh par Salam Fayyad qui est à la tête d’un parti extrêmement minoritaire aux législatives de 2006 avec à peine 2% des sièges. L’ensemble de ces divisions ont largement été orchestrées par les USA et Israël, et si la prise de pouvoir du Hamas par la force est hautement condamnable, les manœuvres politiques du Fatah sont indiscutablement anti-constitutionelles et n’ont pas montré une volonté de respecter la représentation démocratique. Le Hamas reste le premier parti politique à avoir gagné des élections qui se sont déroulées dans des conditions totalement démocratiques concernant un territoire arabe.
Cette situation permet de remettre en cause la légitimité politique du Hamas pour Israël, car la manœuvre du renversement de pouvoir n’est montrée que sous l’angle d’un putsch prémédité du Hamas, la confrontation armée entre Israël et Hamas s’intensifie et le Hamas envoie régulièrement des roquettes sur le sud d’Israël, un blocus est instauré sur la bande de Gaza en septembre 2007. Malgré l’échec des méthodes d’embargo en Irak et dans d’autres pays, l’objectif de ce blocus est de pousser a un soulèvement populaire contre le Hamas à Gaza en privant sa population. Au mois de juin 2008 l’Égypte réunit les conditions pour une trêve de 6 mois entre les belligérants. Les tirs de roquettes cessent, les attaques d’Israël aussi et la levée du blocus aurait dû avoir lieu progressivement.
Le 4 Novembre Israel fait une incursion dans la bande de Gaza près de Deir al-Balah, tuant 6 militants du Hamas, brisant ainsi la trêve. Cet opération sera justifiée comme préventive afin d’éviter la création d’un tunnel visant à capturer des soldats Israéliens près des postes frontières. Le Hamas ripostera par l’envoi de roquettes qui ne feront pas de victimes. Cette attaque intervient quelques jours avant que le Fatah et le Hamas ne doivent se rencontrer au Caire pour tenter un rapprochement et un retour au dialogue entre les deux partis Palestiniens.
Le 7 Novembre Ismail Haniyeh, qui a boycotté la rencontre au Caire en raison d’un échange de prisonniers avec le fatah qui n’a pas été respecté par ce dernier, déclare que le Hamas est prêt à accepter un Etat Palestinien dans les frontières de 1967 (transcript en français chez contre-info) et de mettre en place une trêve durable de plusieurs décennies. De par cette déclaration, le Hamas renonçaient totalement a une partie de sa charte initiale revendiquant l’ensemble du territoire Israélien.
Le 19 Décembre, la trêve de 6 mois n’est pas renouvelée par le Hamas, qui évoquera l’échec de la trêve précédente n’ayant pas conduit à la levée du blocus promis par Israël.
Ainsi, Israël mettra en ordre son état-major et décide unilatéralement de bombarder Gaza le 27 décembre en prétextant une rupture de la trêve par le Hamas qui en décembre n’a pas cessé l’envoi de roquettes. L’objectif officiel de la guerre a Gaza est de stopper l’envoi de roquettes sur la population civile du Sud Israël et l’approvisionnement d’armement via les tunnels reliant Gaza à l’Égypte.
Dès le troisième jour de l’attaque, les objectifs israélien changent et visent la destruction du Hamas. Les roquettes n’étaient donc qu’un prétexte couvrant la volonté d’une guerre directe d’Israël vers une entité politique accompagnée d’une branche armée.
La destruction du Hamas
Dans le déroulement de ces évènements, il ne faut pas se méprendre, nous assistons à un conflit nationaliste et certainement pas religieux. Le Hamas a beau être un mouvement radical idéologiquement, son ascension au pouvoir l’a obligé à assouplir son discours initial et à faire preuve de pragmatisme pour exister politiquement. Tout comme l’OLP qui fut stigmatisée par Israël puis est passée d’un discours visant à la destruction d’Israël vers un discours réclamant la paix et un État Palestinien côtoyant l’État Israélien, le Hamas était en train d’opérer un changement idéologique qui aurait pu voir naître la possibilite d’un dialogue pour la coexistence de deux États. Qu’Israël aujourd’hui avoue sa volonté de détruire ce parti majoritaire dans l’opinion palestinienne doit nous faire nous interroger sur la capacité d’Israël à accepter l’expression démocratique dans les territoires palestiniens. Je citerais aussi Uri Avnery à ce propos :
Liquider le pouvoir du Hamas ? Cela ressemble à un chapitre de « La Marche Folle ». Après tout, ce n’est pas un secret que c’est le gouvernement israélien qui a mis en place le Hamas. Lorsque j’ai interrogé un jour Yaakov Peri, un ancien dirigeant du Shin Bet, à ce sujet, il m’a répondu énigmatiquement : « Nous ne l’avons pas créé, mais nous n’avons pas entravé sa création. »
Pendant des années, les autorités d’occupation ont favorisé ce mouvement islamique dans les territoires occupés. Toutes les autres activités politiques étaient vigoureusement réprimées, mais leurs activités dans les mosquées ont été autorisées. Le calcul était simple et naïf : à l’époque, l’OLP était considérée comme le principal ennemi, Yasser Arafat était le Diable. Le mouvement islamique prêchait contre l’OLP et Arafat, et a donc été considéré comme un allié.
source Contre-info
L’objectif électoral
Évidemment le calendrier de cette attaque ne ment pas, en février Israël tiendra des élections dont le Likoud était donné gagnant dans les sondages avant l’attaque sur Gaza, le parti Kadima de Tzipi Livni ne décollait pas face à Benyamin Netanyahou, en partie en raison des scandales de corruption entachant le mandat de Ehud Olmert, actuel premier ministre. Cette attaque est donc une opportunité pour la coalition Travaillistes- Kadima de remonter dans les sondages et de réduire les chances du Likoud. Une opportunité ? non, le conflit fut carrément planifié plus de six mois auparavant d’après le journal Ha’aretz. Ce qui élimine encore plus profondément la valse des prétextes en rapport avec les attaques de roquettes. L’échéance électorale israélienne est couplée avec les futures élections présidentielles de l’autorité palestinienne, dans cette perspective la résistance et la ténacité du Hamas à défendre Gaza pourrait bel et bien lui permettre une nouvelle fois d’apparaitre comme le parti favori face au Fatah, l’objectif de détruire la structure politique du Hamas si il n’est pas atteint (on se demande comment se pourrait être le cas) se retournera alors contre Israël. Mais le pouvoir Israélien veut-il vraiment voir disparaître le Hamas ? non, il semble plutôt que le maintien de la division au sein des partis politiques palestiniens soit l’objectif, une manière de faire reculer la question de la création d’un État palestinien qui amènerait des problèmes conséquents pour Israël en raison de l’implantation massive des colonies en Cisjordanie et de la question du partage de Jérusalem dans le cadre d’un retour au frontières d’avant la guerre des 6 jours.
Le contexte de transition à Washington facilite d’autant plus le déroulement de l’opération militaire, Bush qui a été un soutien infaillible pour Israël ne lève pas le petit doigt et soutient sans équivoque l’attaque sur Gaza. Il conviendra toutefois de noter que les USA n’ont pas voté contre la résolution de l’ONU réclamant un cessez-le-feu immédiat la semaine dernière, ils se sont abstenus. Aussi ridicule que ce soit, cette abstention est une preuve d’assouplissement dans la diplomatie aveugle et irréfléchie des USA envers Israël, et cela même si le contexte laissait peu de chance à ce que cette résolution soit acceptée par Israël, qui bien entendu n’a que faire des directives onusiennes et n’accepte aucune ingérence dans ces affaires territoriales, on se demande pour quelles raisons ils y siègent d’ailleurs. Le mutisme d’Obama a beaucoup inquiété, et là encore le fait qu’il ait déploré les pertes civiles est un nouveau signe de changement. Certes ce n’est pas radical comme position mais cela annonce une déviation dans la politiques étrangère des USA, cette déviation ne sera pas diamétralement opposée à la position irrémédiablement pro-Israélienne de l’administration Bush, toutefois elle ira probablement dans le sens de l’ouverture et de la résolution du conflit, que ce soit par des pressions sur Israël ou par le dialogue avec l’Iran et d’autres pays comme la Syrie. Il est probable que le doute induit par l’élection d’Obama et son orientation dans le conflit aient aussi poussé Israël à lancer son opération avant la prise de pouvoir le 21 janvier.
La résolution du conflit
Visiblement dans un cynisme absolue, les dirigeants israéliens n’hésitent jamais à manœuvrer ce conflit séculaire à leur guise et à court terme. Cette guerre est marquée par l’écart des forces : une armée professionnelle disposant d’un arsenal de très haut niveau soutenu par un approvisionnement régulier des USA et de l’autre une milice de 15 000 individus armés de kalachnikov et de roquettes Qassam et Katioucha. L’asymétrie des pertes dans le conflit est un facteur clef jetant un voile sur la communication d’Israël autour de cette guerre : 3 civils et 10 soldats israéliens, et 1100 morts palestiniens dont plus de 300 enfants et une centaines de femmes. A contrario la symétrie des discours est terrible. Les pro-israéliens ne cessent de brandir les déclarations du Hamas qui prônent la destruction totale d’Israël, alors même qu’une partie de l’opinion israélienne soutient exactement la même logique à l’encontre des palestiniens, et à ce niveau il est évident qu’entre le Hamas et Israël, il n’y en a qu’un seul qui a le pouvoir de détruire l’autre totalement, cela a même permis aux opinions les plus extrêmes en Israël de suggérer une solution nucléaire au conflit.
En décidant de relancer une violence décuplée en réponse au réflexe pavlovien du Hamas après l’incursion israélienne du 4 novembre, Israël a surtout créé un contexte qui perpétuera ce conflit. Clairement tout usage de la violence est condamnable, mais on attend des États démocratiques de faire preuves d’un peu plus de retenue, de faire des efforts diplomatiques et de respecter ses propres engagements (concernant la levée du blocus qui a créé une situation sanitaire alarmante pour la population civile). Ce conflit semble largement servir des intérêts Israélien à court terme, et malheureusement il desservira Israël à moyen et long terme. Soit Israël arrive a déstabiliser totalement le Hamas et doit réoccuper Gaza ce qui serait un retour à la situation d’avant 2005 avec une bande de Gaza ingouvernable en sus, soit elle n’arrive pas à éliminer le Hamas totalement et ce sera un échec pour l’opinion. Quoi qu’il en soit le bilan humain est insupportablement lourd, les témoignages d’attaques contre des zones civiles, des écoles, des bâtiments de l’ONU et même des hôpitaux sont bien trop redondant pour que l’opinion de la communauté internationale puisse soutenir cette attaque sous la forme qu’elle a pris. Que Israël soit étonné de cette incompréhension concernant son action me semble être un des facteurs les plus aggravant, et renforce la perception d’un État qui même si il est assis du côté des pays démocratiques de par son fonctionnement interne, continue à bafouer le droit international et à fouler du pied les résolutions de l’ONU avec un mépris profond pour ses partenaires.
Je concluerais en citant Tom Segev du journal Ha’aretz :
"Depuis l’aube de la présence sioniste sur la terre d’Israël, aucune opération militaire n’a jamais permis d’avancer dans le dialogue avec les Palestiniens."
article original sur Café-Croissant
Crédit photo : Reuters
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