Hongrie : la dérive nationaliste
Ce qui se passe en Hongrie devrait nous questionner bien plus que les élucubrations sur le calendrier Maya, dont on se fout bien. Ce pays prend la voie d’une dictature institutionnalisée. Avec l’appui d’une large partie de la population.
L’amnésie hongroise
Le parti de Viktor Orban a gagné les élections législative en avril 2010 avec plus que la majorité des deux tiers, ce qui lui permet de façonner la constitution et le pays entier à sa volonté. Et ce qui s’y passe n’est pas de bon augure. Hitler avait lui aussi gagné des élections avant de faire de l’Allemagne ce qu’elle est devenue.
Avec ses réformes constitutionnelles le pays ne pourra plus être modifié avant longtemps. Orban a créé des lois pour mettre en place ses hommes à tous les postes clés et verrouiller les institutions si l’opposition revenait au pouvoir. Le pays s’engage sur la voie du nationalisme dur. Ces gens qui ont vécu des décennies de dictature communiste sanglante, de fascisme rouge, ont-ils oublié ce qu’est la dictature ? Sont-ils prêts à recommencer ?
J’écrivais il y a quelques jour que le démantèlement de l’Europe allait ramener la guerre sur notre continent. Ce qui se passe en Hongrie en est un possible premier signe, et dans les temps que nous vivons la contagion n’est pas à exclure. Le repli sur la Nation est prôné par une certaine gauche autant qu’une certaine droite. On voit dans la Nation une supposée défense contre le chômage (les étrangers volent notre travail), contre le multiculturalisme culpabilisant (retrouvons-nous entre nous), contre la relativisation des valeurs qui ont construit notre civilisation, et un remède aux frustrations de tous ordres. La coagulation nationaliste comme le collectivisme communiste se paient par l’abandon des principes individuels qui étaient supposés faire marcher la société, comme l’honnêteté, la droiture, la responsabilité individuelle. L’Europe retrouve ses vieux démons nationalistes, ce nationalisme qui a mené l’Europe au plus grand bain de sang de l’Histoire.
Le grand bordel du 20e siècle, hérité lui-même de celui du 19e siècle, nous colle aux baskets. Nous n’avons pas encore digéré sa barbarie.
Déjà des bastonnades. Bientôt des purges, puis des camps ?
Viktor Orban et sa majorité ont pris le pouvoir total sur la Banque centrale. Ils tiennent en main l’économie du pays. Ils ont mis les Tsiganes au travail forcé, fabriquant ainsi un ennemi social comme Hitler l’avait fait. Une agence d’Etat peut même les louer de force à des entreprises privées pour un salaire moindre que le smic. Travailleurs de seconde zone il seront payés en seconde main. La discrimination ethnique s’officialise.
La nouvelle loi électorale permettrait au parti nationaliste de continuer à changer la constitution même avec seulement 35% des voix.
Il est à craindre que des purges et des procès politiques commencent bientôt. En effet le parlement a voté le 30 décembre une loi accusant le parti socialiste d’être responsable de tous les actes de l’ancien régime communiste. Les socialistes pourraient même être interdits. C’est le deuxième ennemi désigné par le pouvoir.
Ce n’est pas un hasard. Que veut-on purger là ? Probablement toute la dictature communiste. Et cela pourrait faire école. Car si les crimes du régime nazi sont universellement reconnus, si la Shoah est définie comme un génocide, il n’en est pas de même pour les crimes commis sous l’impulsion initiale de Staline est ses vassaux. Il n’y a jamais eu de reconnaissance de l’antisémitisme des communistes, ni des crimes contre l’humanité commis par ce régime contre sa propre population. On lui a attribué des circonstances atténuantes à cause de la part d’idéal qui était celle du socialisme. Que ne reconnaît-on pas aussi, alors, une part d’idéal aux régimes fascistes ? L’idéal d’une nation forte, de travail pour tous, d’une maîtrise de son destin, d’un nouveau mode socialement égalitaire, la réparation des humiliations passées au profit de la dignité nationale ?
Cessons de rêver : ces régimes rouges ou bruns ont montré que l’idéal n’a été qu’un prétexte. Aucun d’eux n’avait d’autre ambition que de dominer le monde, les peuples et les richesses de la Terre. Sans le contrepoids d’une opposition, sans contrepouvoir. Ce qui se déroule en Hongrie semble être du même tabac. Les contrepouvoirs sont éliminés progressivement : mainmise sur la presse, sur la Cour constitutionnelle, fin de la République.
Selon l’historien Paul Gradvohl, « Pour autant, il est important de souligner que le régime de Viktor Orban n'est pas fasciste. Les chemises noires et les bastonnades de Roms existent, mais elles ne sont pas orchestrées par le pouvoir. Nous sommes dans une situation à la Berlusconi - la fortune personnelle ou les frasques du leader italien et ses alliances électorales en moins - où le Premier ministre cherche à consolider le pouvoir pour longtemps. »
Peut-être actuellement. Mais l’opportunisme aura vite fait de relier entre eux le pouvoir et les groupes fascistes.
Croissance des tensions nationalistes
Cet historien pense aussi que « La personnalité de Viktor Orbán joue un rôle extrêmement important dans le virage hongrois actuel. Il a instauré une personnalisation du pouvoir très forte, qui passe justement par la marginalisation des institutions de contre-pouvoir. C'est la première fois qu'une telle primauté de l'exécutif, sur l'économie, le social mais aussi sur la justice, est instaurée.
Voilà pourquoi il est peu probable que le cas hongrois s'étende à d'autres pays d'Europe centrale. Cela nécessiterait un leader à l'étoffe toute particulière, en plus d'un fort sentiment nationaliste. La frustration du peuple hongrois est elle aussi singulière. Ce petit pays (moins de 10 millions d’habitants), favorisé dans les années 1985-1990 (liberté relative de circulation, accès correct aux biens de consommation), est aujourd'hui marginalisé par rapport à la Pologne (en croissance) ou la Slovaquie (protégée par l’euro) et plongé dans une situation économique délicate face à laquelle le pouvoir actuel veut proposer une réponse non orthodoxe. »
Cette analyse ne vaut que tant que la tension intra-européenne n’est pas trop intense. Plus la haine de l’Europe se développera, à gauche comme à droite, et plus le risque de contagion grandira. Et plus le rejet de l’autre grandira plus les nationalistes verront le tapis rouge se dérouler devant eux. Certains y poussent. Houria Bouteldja, prêtresse impunie du racisme anti-français en France, déclarait encore il y a peu qu’elle appelait les cités à revenir à l’esprit des révoltes de 2005. C’est-à-dire à casser la baraque. Elle voudrait faire voter pour l’extrême-droite, elle ne s’y prendrait pas autrement. On constate en tous cas une alliance idéologique de fait entre les nationalismes, de gauche ou de droite : taxation des multinationales, rejet de l’ultralibéralisme, valorisation des traditions locales. Des nationalisations devraient logiquement suivre. De plus le gouvernement a décidé de cultiver le ressentiment national historique, en faisant du 4 juin (1920, jour du traité qui amputa la Hongrie de 60% de son territoire suite à la 1ère guerre mondiale) un jour de deuil et de commémoration nationale. Le traité de Trianon est à l’ancienne Hongrie ce que le traité de Versailles était à l’Allemagne avant Hitler : une humiliation pour les perdants. Ce genre de commémoration entretien la haine entre les peuples et peut être à l’origine de désir de revanche militaire.
Certains commentateurs disent à décharge que le gouvernement hongrois a été élu légitimement pour faire des réformes radicales et qu’il n’y a pas à lui en faire le reproche. Le problème est : saura-t-il ne pas aller trop loin ? Ou, dans une hypothèse sombre, l’exemple de la Hongrie est-il ce qui attend l’Europe si elle ne s’unit pas davantage ?
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON