Il y aura d’autres millions de morts au Congo
Maintenant que la mort de six millions de Congolais est reconnue par les Nations Unies (voir rapport du Projet Mapping 2010), beaucoup pensent que la tragédie du Congo tend vers l’épilogue. Une lourde erreur. Parce que les problèmes de fond ne sont pas réglés et ne le seront pas de sitôt. Les Américains et les Britanniques, à l’origine des aventures militaires qui dévastent le Congo, se sont lourdement trompés. Mais ce n’est pas ce qu’il y a de pire. Le pire, c’est que quand on les observe, on remarque qu’ils ne se rendent même pas compte de leurs erreurs. Malheureusement lorsqu’une grande puissance se trompe, comme les Américains sur l’Irak, cela se traduit par des milliers de morts sur le terrain. Au Congo, Londres, Washington et, accessoirement Bruxelles, sont dans trois erreurs fondamentales et y persistent, ce qui n’est guère rassurant.
La première erreur des Occidentaux consiste au soutien aveugle aux régimes rwandais de Paul Kagamé et ougandais de Yoweri Museveni. Dans les années 90 et 2000, ces deux régimes sont apparus comme des « bons élèves » aux yeux des institutions de Bretton Wood (FMI, Banque Mondiale) alors que le Congo, à l’époque Zaïre, pataugeait dans un tel état de désordre orchestré par le dictateur Mobutu qu’il fallait tenter quelque chose. Les Occidentaux se sont appuyés sur Kampala et Kigali pour régler le problème « Zaïre ». Depuis, ils continuent dans la même logique, plaçant le peuple congolais, de fait, dans un état de soumission aux deux dictateurs de la Région des Grands Lacs. Or, comme dans n’importe quelle région du monde, la soumission et l’occupation d’un peuple déclenche naturellement la résistance des autochtones. Le Congo est ainsi devenu ingouvernable.
Les Occidentaux s’en sont rendu compte en ordonnant le déploiement de 20 mille casques bleus et plus de deux cents ONG. Or, en renonçant tout simplement à la logique initiale d’occupation et d’agression, on n’aurait pas besoin de déployer toutes ces ONG parce que les autorités locales, légitimes, s’occuperaient de leurs populations, et les moyens ne manquent pas au Congo. Le pays est doté d’immenses réserves minières, sans doute les plus importantes d’Afrique. On n’aurait pas davantage besoin des casques bleus puisqu’un gouvernement « légitime » mettrait en place une armée nationale comme cela est le cas dans les autres pays de la région.
Pire, les appuis aveugles de Londres et Washington aux régimes rwandais et ougandais ont fini par donner des idées aux aventuriers de tous poils, comme les maquisards du M23.
On sait pourtant qu’en appliquant tout bêtement le droit international, comme dans les Balkans, on règlerait la crise de l’Est du Congo du jour au lendemain. On envoie des unités spécialisées dans la région pour capturer les criminels de guerre déjà parfaitement identifiés par la Cour Pénale Internationale et les officiers de l’armée rwandaise qui organisent le pillage des richesses du Congo et orchestrent les massacres et les viols dans le Kivu. Seulement voilà ! Malgré la gravité de la tragédie, cette éventualité n’est même pas dans l’esprit des décideurs politiques, ni à Londres, ni à Washington, encore moins à Bruxelles. On va donc continuer à compter les morts. Le Rwanda et l’Ouganda bénéficient d’un régime d’impunité comme en témoignent les agressions répétées contre le Congo et l’impossibilité de traduire en justice les criminels de guerre protégés par les deux pays.
La deuxième erreur des Occidentaux consiste à considérer que le Congo serait un pays trop grand. On se demande bien par rapport à quoi. Le Congo n’est que 11ème au classement mondial en termes de superficie. La Russie, le Canada, l’Australie, la Chine, l’Inde, le Brésil,… sont plusieurs fois plus grand que le Congo. Par ailleurs, le pays ne dispose que de 50 km de frontière maritime, ce qui condamnerait à l’enclavement une région qui se détacherait de l’ensemble.
L’idée que le Congo serait trop grand a été soufflée aux Occidentaux par les dirigeants rwandais qui militent pour s’emparer de région du Kivu et de ses gisements miniers, dont les carrières où sont exploités le coltan et la cassitérite. Sauf qu’en Occident, il manque quelqu’un pour rappeler que le Kivu est habité par des populations congolaises qui ne pourront jamais, ni abandonner leurs terres aux Rwandais ni devenir des sujets rwandais.
Entre 1996 et 2003, le monde entier a même choisi de se taire et de laisser les armées d’occupation massacrer les populations locales. Lorsqu’on s’est réveillé, le bilan était terrible. Six millions de morts. Mais ces populations étaient toujours là.
Parce que le Congo a beau être grand, les populations d’une région sont des autochtones de la région et ne peuvent aller nulle part. Par ailleurs, les Congolais ont toujours rappelé qu’ils ne se soumettront jamais à l’occupation rwandaise. La résistance qu’ils mènent contre les tentatives de balkanisation de leur pays s’inscrit dans l’enchaînement logique des choses. Et quand bien même l’annexion se produirait, que deviendraient les autres régions ? C’est toute l’Afrique centrale qui sombrerait dans un interminable cycle de violence alors que la notion de « frontières » héritée de la conférence de Berlin (1884-1885) n’aurait plus de sens.
Une perspective cauchemardesque que les soutiens de Kigali et Kampala ne donnent pas l’impression de redouter. En Occident on regarde la carte minière du Congo et on oublie qu’il s’agit, avant tout, d’un pays « habité » par un peuple. Une ignorance qui coûte des vies par milliers, et c’est loin d’être fini.
La troisième erreur des Occidentaux, c’est de refuser aux Congolais le droit à la démocratie. Ils y vont si fort qu’ils n’hésitent pas à déployer des troupes européennes, dans le silence des médias, pour soutenir un régime fantoche. En 2006, l’Union Européenne avait envoyé des troupes à Kinshasa, officiellement pour garantir la régularité du scrutin, mais, en réalité, pour assurer à Joseph Kabila une victoire électorale improbable face à son adversaire Jean-Pierre Bemba. Ce dernier est, depuis, définitivement éliminé de la scène politique et croupit dans une cellule de la Cour Pénale Internationale. Pour crimes de guerre. Une blague dans un pays où la quasi-totalité de la classe politique est issue des guerres meurtrières de 1996, 1998, et même de la guerre du Rwanda.
Ce déploiement fut une initiative difficilement excusable lorsqu’on pense au bilan des violences post-électorales entre partisans de Jean-Pierre Bemba et ceux de Joseph Kabila, soutenu par les capitales occidentales. Plus de cinq cents morts dans les rues de Kinshasa. Et surtout lorsqu’on pense à la gestion calamiteuse du pays depuis par le « chouchou des Occidentaux » qui a tout bonnement entraîné le Congo à la 187ème place du classement mondiale de la pauvreté sur 187 pays, selon l’Indicateur du développement Humain (IDH). Et même lorsque l’Occident reconnaît que le Président sortant a perdu les élections, comme en novembre 2011, il le soutient quand même, orchestrant, de ce fait, une interminable crise politique. Il suffisait pourtant de lui ordonner de quitter le pouvoir, ce qui est tout à fait à la portée de l’Occident comme en témoignent les opérations en Libye et en Côte d’Ivoire.
Ce refus systématique de reconnaître aux Congolais le droit de disposer de leur destin, qui ne date pas d’hier (voir assassinat de Patrice Lumumba) entraîne naturellement quelques désespérés à prendre les armes, ce qui n’arrange pas la situation.
Aujourd’hui encore, face au blocage politique né du hold-up électoral de novembre 2011, des incidents armés se multiplient. Dans la province stratégique du Katanga, les attaques ne se comptent plus. Dans la province du Kasaï, un haut gradé a tout bonnement déserté les rangs de l’armée et est parti dans les maquis avec hommes et armes. Même si, en apparence, ses moyens sont limités, il promet de marcher sur Kinshasa pour y faire accepter « la vérité des urnes ».
C’est une crise de légitimité qui aurait pu être réglée mais qui s’achemine vers un pourrissement, avec des violences à redouter. Et cette troisième erreurs, comme les deux premières, annonce son lot de victimes. Une quasi-certitude.
En définitive, comme on peut le remarquer en se référant aux conflits antérieurs (Première Guerre Mondiale – 9 millions de morts, et Seconde Guerre mondiale – 60 millions de morts), ce n’est pas le nombre des victimes qui arrête un conflit. On est tenté de dire qu’à un million de morts on aurait pu arrêter la Seconde Guerre mondiale. Mais on est allé jusqu’à 60 millions parce qu’il fallait régler le problème de fond : l’Allemagne nazie. Au Congo, le conflit et son lot de tragédies ne peut s’arrêter que si les problèmes de fond sont réglés, et on sait ce qu’il faut faire.
Il faut mettre fin au soutien aveugle dont bénéficient les régimes bellicistes de Kampala et de Kigali. Il faut laisser le peuple congolais diriger son pays et renoncer à cette idée meurtrière selon laquelle le pays serait trop grand. En envisageant de morceler le pays, de force, on annonce un chaos qui pourrait être de loin plus meurtrier que tout ce qu’on connaît jusqu’à présent. Il faut, par-dessus tout, reconnaître aux Congolais le droit de choisir leurs dirigeants et cesser d’imposer des individus aux commandes du pays.
Une simple question de bon sens, mais qui est loin d’être entendue. D’ici là, on continuera à égrener la liste des victimes. Le chiffre de six millions, hélas, ne tiendra pas longtemps.
Boniface MUSAVULI
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