Irak : trois impasses
Tout a été dit sur l’Irak, y compris le dilemme que pose l’occupation américaine en tant que facteur primordial de la radicalisation communautariste et d’un probable éclatement du pays.
Il existe une sorte de symétrie entre trois options. Pour les Kurdes, la présence américaine est plus que souhaitée. La région la plus « tranquille » est en même temps celle qui craint le plus le départ américain, pour des raisons se situant au-delà des frontières. En effet, l’objectif kurde d’un Irak fédéré laissant une très grande autonomie, - frisant l’indépendance -, n’est possible que sur un long terme et une normalisation qui empêcheraient le voisin turc d’avoir des velléités d’intervention. Le parapluie américain (contre la Turquie) est pour les Kurdes le seul qui vaille. Cependant, le conseil de sécurité turc a montré la couleur : « Des armées étrangères sont passées et reparties. La Turquie est toujours là », a souligné son porte-parole, conseillant aux Kurdes « de ne pas trop miser sur une présence par définition éphémère ». Le départ des troupes américaines ferait, par contre, l’affaire des shiites. Majoritaires, contrôlant des milices aguerries et le sud pétrolifère, appuyés sur leur allié iranien, ils feront encore plus la loi, et contesteront le monopole kurde sur Mossoul. Paradoxalement, le renforcement de l’armée américaine ferait le jeu des caciques sunnites qui, tout en combattant les GI, savent pertinemment que leur départ sonnerait l’hallali quant à leur présence à la direction du pays. Donc leur marginalisation et leur confinement sur la partie « inutile » de l’Irak. Pour les Américains, le tableau ci-dessus est un casse-tête horrible. Ils s’appuient localement sur l’allié de leur pire ennemi (l’Iran) et sont priés de rester pour faire barrage à leur meilleur allié régional - qui risque à tout moment de leur tourner le dos - (la Turquie). Les « alliés des Américains au niveau local » (shiites) possèdent deux leviers pour leur faire comprendre qu’ils ne sont plus tolérés. Au sein même de l’Irak les chefs religieux « extrémistes » et leurs milices tels Mostada Sadr (qu’ils protègent) et les forces de sécurité fraîchement constituées (qu’ils noyautent). Au-dehors des frontières, le Hezbollah qui les conteste et déstabilise leur politique moyen-orientale quand bon lui semble. Et enfin, le gouvernement et les multiples autorités iraniennes qui jouent le rapport de force et la déstabilisation régionale, tout en exigeant une participation active dans la solution du problème irakien. Abandonner les sunnites, d’autre part, rend les relations avec le monde musulman - et plus particulièrement les théocraties arabiques - problématique. D’autant plus que la présence des armées américaines aux pays du Golfe - ayant été payée au prix fort par la radicalisation et le renforcement d’Al Qaïda - n’est justifiée que, justement, par l’objectif d’une normalisation en Irak qui préserverait son identité et la juste représentation sunnite. L’explosion de joie de « la rue » à Téhéran après l’annonce de l’exécution de Saddam Hussein montrait bien, aussi bien que le mutisme des « alliés musulmans » du Caire, d’Aman de Riad et d’Islamabad, que l’Iran (et la Turquie) participeraient de plus en plus énergiquement à l’effondrement de la politique américaine, aussi longtemps que son armée campe dans la région. Et que toute faute de Washington sera payée au prix fort tout en étant applaudie, puisqu’elle ne fait que radicaliser les contradictions irakiennes. Il y a encore quelques mois, le renforcement des troupes américaines aurait pu, à la limite, se justifier, être une solution au désastre de l’intervention. Aujourd’hui, il n’a plus de sens. Il est trop tard. Mieux vaut laisser les communautés seules régler le problème, tant la présence américaine complique les données et tant celle-ci paraît de plus en plus comme un élément de manipulation par les forces régionales et locales qui ne sert qu’à les éloigner d’une table de négociation pourtant obligatoire. Enfin, tant que les troupes américaines combattront pour des miniparcelles d’autorité sur le sol irakien, désormais prisonnières et à portée de fusil, toute pression géopolitique sur Téhéran paraît hasardeuse... Envahir l’Irak a empêché de régler à temps le problème afghan. L’occuper encore aujourd’hui dans ces conditions empêche tout espoir de régler le problème iranien.
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