Iran : une photo choc qui coûte cher

Le 9 juillet 1999, (18 Tir du calendrier persan) une manifestation étudiante éclate à Téhéran à la suite de l’annonce de la fermeture du quotidien Salaam décidée par la censure religieuse. Très populaire auprès des milieux intellectuels et universitaires, ce journal est l’un des plus favorables au projet réformateur du président Mohammad Khatami. Les manifestants voient dans la suspension de cette publication un signal contraire à leurs attentes démocratiques.

Pour la première fois depuis l’avènement de la révolution islamique en 1979, un vent de révolte souffle dans la capitale iranienne. Le mouvement, d’abord limité aux campus universitaires, prend rapidement possession de la rue. Pendant six jours, les étudiant de Téhéran, d’Ispahan, de Tabriz et de Machad manifestent leur rejet du radicalisme islamique, et réclament l’application des réformes promises par le gouvernement.
Ils critiquent ouvertement le système et son plus haut représentant, le guide suprême de la République islamique : l’ayatollah Ali Khamenei.

A leurs yeux, celui-ci dispose d’un pouvoir trop important ; et incarne le principal responsable au blocage des réformes, à l’immobilisme des institutions, et au refus de l’ouverture démocratique du régime.

Pour les autorités, la critique du plus éminent personnage politique et religieux ne peut rester impunie. La milice paramilitaire du Bassij réplique par une répression violente qui fait de nombreux blessés parmi les étudiants.

Lors de ces évènements, l’un d’eux brandit à bout de bras un tee-shirt blanc maculé de sang. Il s’appelle Ahmad Batebi. L’étoffe dont il s’est emparé appartient à l’un de ses camarades qui vient d’être battu par les forces de l’ordre. Un photographe immortalise l’instant, et le cliché fait rapidement le tour du monde. Il paraît notamment en couverture du célèbre hebdomadaire britannique The Economist.

Par cette simple photographie, Ahmad Batebi devient le symbole de la jeunesse iranienne luttant pour la démocratie, et résistant au despotisme du pouvoir en place. Pour l’étudiant, c’est le début de gros ennuis.

Le calvaire d’Ahmad Betabi

Pour les dépositaires du régime islamiste, la photographie d’Ahmad Betabi constitue une mauvaise presse dont ils se seraient bien passés. Dès lors l’étudiant doit payer. Arrêté une première fois, il atterrit à la prison d’Evin où il subit lors d’interrogatoires musclés de nombreux sévices et actes de tortures. Il est ensuite condamné à mort par un tribunal révolutionnaire pour atteinte à la sûreté de l’Etat et mise en danger de la sécurité nationale. Son procès tenu à huis clos est si inéquitable que le verdict sera révisé deux fois : la peine commuée dans un premier temps à quinze ans est finalement réduite à dix.

En mars 2005, Ahmad Batebi bénéficie d’une mesure de libération provisoire. Il en profite pour se marier et reprendre une vie normale. Mais lorsque sa permission arrive à expiration, il refuse de retourner en détention. Le 27 juillet 2006, Batebi est de nouveau arrêté par les forces de sécurité, et retrouve la prison d’Evin, où il est placé en cellule de haute sécurité sous la direction des services de renseignement. Alors qu’il est atteint par de graves problèmes de santé, aucun traitement médical n’est mis à sa disposition. Selon certaines informations, il aurait eu une attaque cérébrale et souffrirait depuis de nombreuses pertes de connaissance. Son docteur, Hesam Firouzi, a écrit un courrier aux autorités carcérales, dans lequel il indique que son patient risque la paralysie ou une crise cardiaque, et doit sortir de prison pour recevoir les soins d’un spécialiste.

Les autorités sont restées sourdes à l’appel du médecin, et ce dernier a lui-même été emprisonné pour avoir apporté des médicaments au malade. Le père d’Ahmad Batebi a pu voir son fils à la prison, et a exprimé son inquiétude : "Notre fils perd peu à peu la vie et personne n’en prend la responsabilité. J’ai vraiment l’impression qu’ils pourraient lui faire du mal cette fois. Je lis dans ses yeux qu’il appelle au secours, mais que puis-je faire ?"
Sa crainte est grande de voir son fils mourir en prison comme c’est arrivé à Akbar Mohammadi. En juillet 2006, l’étudiant qui, comme Ahmad Betabi, avait participé aux protestations étudiantes du 18 Tir, est mort en détention dans des circonstances suspectes.