L’affaire Holloway et sa dérive médiatique
Ca commence comme dans un épisode de la série Magnum. La nuit est tombée sur une île tropicale bercée par des arbres divi-divi. Deux personnes ont quitté un endroit festif de la ville pour se rapprocher de la plage, sombre et déserte. C’est là que l’un des deux protagonistes disparaîtra mystérieusement, laissant une énigme à ce jour non résolue.
Nous sommes sur l’île d’Aruba, dans les Antilles néerlandaises, le 29 mai 2005. Natalee Holloway est une jeune Américaine, originaire du Mississippi, âgée de 18 ans. Elle est venue avec des amies pour fêter la fin de ses études secondaires. Cette nuit-là, elle aurait été aperçue pour la dernière fois au moment de quitter le restaurant touristique Carlos’n Charlie’s, à Oranjestad, en compagnie de trois individus : Joran van der Sloot, un jeune Néerlandais âgé de 17 ans, ainsi que de deux frères amis de celui-ci, Deepak et Satish Kalpoe.
Quelques jours plus tard, lorsque les connaissances de Natalee Holloway ne retrouvent pas leur amie à l’aéroport, l’alerte est donnée. Les trois hommes sont entendus, et disent ne rien savoir. Joran van der Sloot, qui serait la dernière personne à avoir été en sa compagnie, dit dans un premier temps l’avoir raccompagnée à son hôtel, puis annonce ensuite une deuxième version : ils se seraient embrassés sur la plage avant de se quitter.
Selon Joran, et d’après les témoignages recueillis au Carlos’n Charlies, tous deux auraient bu plus que de raison avant de quitter les lieux. On affirme en certains lieux que Joran aurait pu abuser sexuellement et tuer la jeune Américaine sur la plage puis s’être débarrassé du corps. Il est arrêté le 9 juin, puis relâché le 3 septembre de la même année en raison d’une absence de preuves.
Au vu des proportions internationales de l’affaire, les médias américains et néerlandais y accordent une importance considérable. Et, surtout, la famille de Natalee est proche du clan Bush, et le père de Joran, Paul van der Sloot, aujourd’hui avocat, était juge à Aruba au moment des faits.
Les dépenses consacrées sont sans commune mesure, et une récompense de 250 000 dollars est promise pour quiconque fournirait des renseignements permettant de résoudre l’affaire. Les enquêteurs ratissent l’île avec l’aide de milliers de volontaires. Des agents du FBI sont dépêchés sur place, et La Haye envoie 3 chasseurs F16 pour épauler 50 militaires néerlandais.
Pas de trace de Natalee. Les recherches ne livrent aucun résultat, et bien qu’il ne soit pas soutenu au niveau national, le gouverneur de l’Alabama, Bob Riley, va jusqu’à demander un boycott de l’île (!).
Un an plus tard, en avril 2006, une reconstitution est diffusée sur une chaîne de télévision aux Pays-Bas dans une émission de type Perdu de vue. Il y est établi que Peter R. de Vries, un journaliste d’investigation néerlandais spécialisé dans les affaires criminelles et connu pour employer des méthodes peu orthodoxes, a pris l’initiative de mener des recherches de son côté, mais uniquement centrées sur le suspect numéro un, Joran van der Sloot. Il ne le quittera plus d’une semelle.
Joran, justement, qui s’est installé aux Pays-Bas, est de nouveau convoqué à Aruba avant d’être relâché en novembre dernier. Une inculpation pour meurtre ne tient pas.
L’enquête s’enlise, au point d’être officiellement close le 18 décembre dernier. Peter R. de Vries se sent alors le devoir de prendre cette affaire en main sous le nez de la police. Le journaliste est décidé à aller au bout. Un face-à-face a lieu lors d’un talk-show télévisé (Paul & Witteman) le 11 janvier dernier, où Peter de Vries renvoie Joran van der Sloot à ses mensonges. Ce dernier jette un verre de vin à la figure du reporter et quitte le plateau. Depuis quelques mois, déjà, un homme d’affaires néerlando-arubais âgé de 34 ans du nom de Patrick van der Eem s’est fait enrôler par Peter R. de Vries pour faire « tomber » Joran. Sa mission consiste à gagner l’amitié du suspect et à le mettre suffisamment en confiance pour le faire parler. L’infiltrant, qui partage la même passion du poker que sa proie, et qu’il connaissait déjà un peu, s’équipe d’une Range Rover truffée de micros et de caméras cachées. Le poisson mord à l’hameçon. A coups de tambours battants le 31 janvier dernier Peter R. de Vries annonce qu’il a résolu l’affaire Holloway et que tout sera montré à la télévision. L’audimat explose. L’émission, produite par Endemol et diffusée le 3 février sur la chaîne SBS6, rafle 80 % de parts de marché et est suivie par 7 millions de téléspectateurs néerlandais (sur une population d’un peu plus de 16 millions d’habitants). La dénonciation en direct à 21 h 30 a même éclipsé les primaires américaines.
C’est monté à la manière d’un show théâtral. On y voit des bouts de films pris dans la voiture, où Joran fait des aveux à Patrick, qui est au volant. Il explique qu’il faisait l’amour à Natalee sur la plage avant que celle-ci soit prise de convulsions pour finalement rester inerte. Déclarant avoir été pris de panique, il aurait appelé un ami pour que celui-ci lui vienne en aide. Ils essayent de la réanimer, sans succès. Elle aurait bien pu être dans le coma mais peu importe, ils concluent à sa mort. Selon les dires de Joran sur son siège de passager, son ami - un armateur - l’aurait renvoyé chez lui afin de se débarrasser seul du corps de Natalee. Il l’aurait ainsi larguée d’un bateau au grand large, où les courants marins portent vers l’océan. Joran n’avait plus qu’à nier, sans remords. Les extraits s’arrêtent là, mais l’émission continue. La mère de Natalee, Beth Holloway, apparaît sur les écrans aux côtés de Peter R. de Vries. Elle est sous le choc et laisse d’abord échapper tristement à plusieurs reprises « He didn’t care ». Le reporter fixe la caméra et sa conclusion est sans appel : « Joran, tu as trompé la moitié de la planète ». Suite à l’émission, Joran van der Sloot est entendu au commissariat de Rotterdam, où il dira qu’il avait fumé un joint et disait n’importe quoi lorsque les caméras cachées le filmaient. Les psychiatres mettent en avant les « problèmes de personnalité » du suspect, et on entend également que Joran avait peut-être des raisons de vouloir impressionner son interlocuteur, qu’il a pris pour un caïd de la drogue. Enfin, le bateau qui aurait servi à éloigner le corps de la victime n’a pas été retrouvé. Les aveux sèment le doute, et le juge d’instruction estime que les enregistrements n’ont pas une valeur suffisante pour écrouer le suspect. Mais il est trop tard pour éviter une chasse aux sorcières : la chaîne commerciale s’est prise au jeu d’une dénonciation à la vindicte populaire. Des personnes se mettent à sa recherche, et Joran van der Sloot échappe de peu à un lynchage. Une foule crie à la mort devant la porte d’un appartement d’une commune du nord des Pays-Bas où il est mentionné par erreur que Joran réside, et un titre de la presse people va même jusqu’à mettre en une « Finissons-en avec ce monstre » (!). Depuis, l’intéressé se cache.
Même si les dépenses et les recettes publicitaires ont été considérables, les experts des médias se demandent comment la télévision publique, dont on attend un journalisme de qualité, a pu déraper de cette façon.
Et pour en revenir à l’affaire, on en est toujours au point mort. Joran van der Sloot est-il ce menteur pathologique et narcissique que les présentateurs de télévision ont présenté, ou n’est-il qu’un adolescent fumeur de joints victime du harcèlement d’un reporter acharné ? Quant à Natalee Holloway, le mystère reste entier. Son corps reste introuvable, et il n’est même pas tout à fait impossible qu’elle soit en vie.
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