L’Afghanistan, nos soldats et... Ibn Khaldoun
Peut-on imaginer ou rêver, un jour, d’un projet dans lequel de l’argent consacré à l’effort de la guerre (3 milliards en Afghanistan et 12 milliards de dollars en Irak respectivement par mois) serait injecté dans l’économie afin que le pays soit sur les bons rails ? On peut me reprocher de rêver. C’est juste, mais les grands projets utiles à l’humanité ont toujours commencé par un rêve. A bon entendeur, salut.
Le 15 janvier 2008, lors d’un attentat contre un hôtel de luxe à Kaboul, un ministre norvégien est blessé.
Le 27 avril, un attentat, qui cette fois visait directement le président Afghan, M. Hamid Karzaï, échoue et il en sort indemne.
Le 4 juin... La liste est longue, il n’ y a pas un jour qui passe sans qu’il y ait une action militaire contre les forces de l’Otan. Ainsi, lundi dernier, une embuscade a été tendue aux militaires français en patrouille de reconnaissance et de renseignement dans la vallée d’Uzbin, au nord-est de Surobi dans un secteur dit RCC (regional Command Capital) situé à 50 kilomètres environ à l’est de la capitale afghane, Kaboul. Cette patrouille était composée d’une section de 8e RPIMa en tête, d’éléments de l’armée nationale afghane suivis d’une section du Régiment de marche du Tchad et, à l’arrière, des éléments des forces spéciales américaines chargées de guider l’appui-feu aérien en cas où la patrouille serait attaquée.
Cette agression a coûté, à la France, la vie de dix de ses jeunes soldats et vingt et un blessés dont onze sont dans un état grave.
Jacques Follorou, journaliste au journal Le Monde, dépêché en Afghanistan a pu interroger les militaires blessés dont les témoignages sont contraires à la version officielle.
Eu égard aux informations ci-dessus, comment peut-on expliquer de telles réalisations de la part des talibans et leurs alliés ? Il est indiscutable que le facteur commun aux opérations des insurgés, citées dans ce texte ou non citées, est sans doute la qualité des informations et des renseignements mis à leurs dispositions.
L’embuscade, le piège tendu à nos militaires est significatif, Jacques Follorou a rapporté que, lorsque les survivants sont arrivés au col trois heures plus tard, les talibans ont été prévenus par des complices. Les déclarations du général Jean-Louis Georgelin vont dans le même sens lorsqu’il déclare que l’embuscade était bien montée et que les insurgés disposaient suffisamment de munitions. Autrement dit, ils connaissaient exactement la taille de la patrouille.
Faut-il rappeler que l’affrontement a duré plusieurs heures et sans que les talibans soient réellement inquiétés. L’un de nos militaires, cité par J. Follorou, a déclaré que les tirs des talibans n’ont pas cessé pendant quatre heures. Donc, on n‘a pas lésiné sur les moyens et leurs lignes d’approvisionnement fonctionnaient bien.
Compte tenu de son importance et de son impact, cette agression, nous fait penser qu’elle n’aurait jamais, jamais, pu avoir lieu sans la complicité (directe ou indirecte) de l’armée afghane et de ses services et, plus probablement, du service des renseignements militaires.
Tentative de comprendre le mode de fonctionnement de la société afghane avec Ibn Khaldoun
Certes, à notre niveau, on ne dispose pas des éléments tangibles qui permettent de confirmer cette analyse. Cependant, il ne faut pas oublier que la société afghane est avant tout une entité tribale et la théorie de l’historien-philosophe arabe Ibn Khaldoun pour une partie de son œuvre, « al Muqaddima= Introduction », à savoir, d’al assabiyya al kabaliyya (cohésion et solidarité) s’y vérifie pleinement.
Pour être plus simple et plus clair, soulignons l’existence de plusieurs traductions de cette expression, nous en donnons quelques-unes : al assabiyya al kabaliyya peut être traduit comme « esprit de corps », « esprit de clan » et quelquefois « force sociale », « force clanique », « force tribale », « force communautaire ou religieuse ».
Donc, dans cette société (la société afghane) dominée par al assabiyya al kabaliyya, les relations sociales sont principalement tribales ; l’appartenance de l’individu à sa tribu, au chef de tribu, prévaut à celle du daoulla (Etat). Ainsi, le comportement, l’attitude et les réactions de l’individu dans ces conditions (les conditions de tribu) sont différents des individus urbains. En face d’un problème « x », intra-tribal, je m’allie avec mon frère contre mon cousin, alors que, en cas de problème « y » inter-tribal, je m’allie avec mon cousin contre l’étranger. En l’occurrence, l’étranger ici est la force de l’Otan.
Pourquoi ignorer l’autre ?
Ne pas comprendre cette réalité de la société afghane, ne pas comprendre son mode et son mécanisme de fonctionnement, ou refuser de l’analyser profondément afin d’en tirer les conséquences, car tout simplement à nos yeux, c’est complètement caduc, ne permet pas de comprendre comment les insurgés arrivent à être bien informés et arrivent à mener leur action à terme.
Il est certain, ou quasiment certain que des éléments appartenant à la même tribu et/ou à une coalition des tribus ont intégré l’armée et ses services avec pour un seul et unique but d’être au courant de tout.
Y a-t-il une sortie ?
La question qui s’impose, c’est comment faire pour sortir de ce bourbier ? La réponse ne peut pas être militaire seulement, ça fait plus de sept ans que les forces de l’Otan se battent, ça fait plus de sept ans que les forces de l’Otan mènent des opérations de tout genre. Le nombre des militaires de l’Otan est passé de 15 000 en 2001 à 70 000 en 2008. Les talibans, chassés du pouvoir en 2001 et coincés dans des zones limitées, dominent aujourd’hui presque 50 % du territoire afghan et le pire est qu’ils opèrent maintenant à partir de 50 kilomètres de Kaboul alors que le recrutement des nouveaux moudjahiddines est en marche.
L’indispensable mutation
Donc la vraie réponse serait une mutation de la société afghane, passant d’« al’umrân badâwi ou badâwa », c’est-à-dire de « la vie rurale » vers « al’umrân hadâri ou hadâra », à savoir « la vie urbaine ». Le mécanisme de ce passage social est déterminé par « le dénouement/ la dissolution » d’« al assabiyya al kabaliyya », selon nos termes d’aujourd’hui, il nécessite des mesures socio-économiques et politiques afin de libérer l’individu de l’emprise clanique et tribale et l’intégrer dans une société plus ouverte et plus équitable.
NB : c’est une grosse erreur et un contresens de traduire les termes « al’umrân badâwi » et « al’umrân hadâri » respectivement par « vie au désert ou vie nomade » et « vie sédentaire ». Dans al Muqaddima d’Ibn Khaldoun, il y a une définition explicite et sans ambiguïté de ces deux termes. On y trouve que hadâra et badâwa se réfèrent à la vie urbaine pour le premier et la vie rurale pour le deuxième.
Sur le plan économique, jusqu’à maintenant, beaucoup de promesses pour rien, le président, M. Hamid Karzaï, ne cesse de se plaindre de ces promesses. Les Etats-Unis dépensent chaque mois 3 milliards de dollars en Afghanistan, soit 100 millions de dollars par jour, alors que l’ONU ne parvient même pas à boucler la somme de 400 millions de dollars nécessaires pour venir en aide auprès du tiers de la population afghane qui souffre de sous-alimentation.
Les jeunes Afghans et les pères de familles, dans leur lutte quotidienne pour survivre, se trouvent devant deux voies, cultiver l’opium ou intégrer les rangs des insurgés et, parfois, ils sont contraints à faire les deux à la fois. Là, le monde libre, le monde démocratique doit intervenir pour créer ou inventer la troisième voie, une voie pleine d’espoir où l’homme serait au cœur d’un projet économique de développement.
Sur le plan politique, la classe politique afghane est à l’image du reste du pays et, selon plusieurs observateurs, elle est corrompue. Nous ne nous attardons pas sur ce sujet, car après tout cette une question ne dépend que de la population afghane elle-même.
La formation des forces locales de sécurité doit constituer l’essentiel du travail de nos militaires afin que les Afghans arrivent à assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Nos militaires, comme les autres militaires d’ailleurs, quoi qu’ils fassent, sont, aux yeux de la population, des étrangers qui occupent leur pays et la source de tous leurs malheurs en sachant que les soucis de ce pays ne datent pas d’hier.
Incompréhension et inquiétude !
Une chose quand même nous intrigue dans cette guerre : pourquoi les responsables américains refusent tout contact avec les insurgés du Mullah Omar en Afghanistan alors qu’ils le font avec les autres Mullahs en Irak ?
Le président de la République, M. Sarkozy, a déclaré en avril dernier à Londres, lors de sa décision d’augmenter notre participation (700 militaires) au sein des forces de l’Otan en Afghanistan, qu’il s’engageait à convaincre le président de l’administration états-unienne, M. Bush, de changer la méthode. Pour l’instant, aucun signe ne permet de constater un tel changement.
Espoir mais sans illusion !
Peut-on imaginer ou rêver, un jour, d’un projet dans lequel de l’argent consacré à l’effort de la guerre (3 milliards en Afghanistan et 12 milliards de dollars en Irak respectivement par mois) serait injecté dans l’économie afin que le pays soit sur les bons rails ? On peut me reprocher de rêver. C’est juste, mais les grands projets utiles à l’humanité ont toujours commencé par un rêve. A bon entendeur, salut.
Fayez Nahabieh / Le 24.08.2008.
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