L’armée américaine, de l’incompétence au Folamour
On a pu lire encore récemment ici même des contributions d’individus proches des neo-cons venus tenter de nous vendre, encore une fois leurs belles salades bushiennes. En dehors de leur positionnement politique, prouvé par l’administration de leurs blogs personnels, les arguments qu’ils développent sont faibles pour défendre une occupation de pays qui est depuis longtemps devenu un fiasco, visible et journalier. Tenter de déguiser cela en grande victoire militaire est une vue de l’esprit. Le général Petraeus a beau clamer que l’ordre est revenu dans le pays, les explosions des attentats continuent le jour même (et aujourd’hui encore). Leur nombre a baissé, certes, mais au prix d’un enfermement des militaires américains dans des quartiers bouclés, cernés par des murs de béton et un filtrage des allées et venues qui bloque toute l’économie locale, et empêche le pays de se relever. Le tableau présenté par ces neo-cons est tout rose, or il ne faut pas se leurrer : il demeure noir, ostensiblement noir. Et nous pouvons, en dehors de la propagande officielle, en trouver tous les jours des preuves de cette noirceur. Et ceci au sein même de l’armée américaine, le signe d’un profond malaise au sein de l’institution.
Une armée soumise à la réserve habituelle, mais qui n’en peut plus de passer pour la lampiste de décisions politiques inconséquentes. Les généraux américains sont depuis longtemps au bord de la révolte, et le font savoir de plus en plus ouvertement. Ils ont l’expérience des conflits perdus ces dernières années, et savent que la voix choisie en Irak est une impasse véritable, dont ils ne sortiront pas grandis, bien au contraire. Le départ annoncé, s’il a lieu un jour, plongera le pays dans le chaos, tout le monde le sait, à part que ce chaos n’est pas le fruit du hasard, mais celui d’une décision politique. Une décision qui n’est même pas celle d’un gouvernement, mais bien celle d’un lobby militaire dont le but n’est pas de gagner une guerre, mais de vendre le maximum d’appareils et d’armes afin de satisfaire une poignée de milliardaires, dont plusieurs à la tête du pays. Le but n’est plus de gagner les guerres, donc, mais bien de les faire durer le plus longtemps possible. En ponctionnant au maximum les citoyens américains, dont une majeure partie des impôts sert à nourrir ce lobby militaire dont Eisenhower nous avait prévenus de se méfier. Des citoyens leurrés par une propagande et par le manque de diffusion des erreurs journalières de cette armée tombée aux mains des société privées, qui font désormais la loi, celle du plus fort et du plus offrant.
Dans ce cortège de protestations contre la politique militaire américaine, un texte particulier, arrivé sur les téléscripteurs en mars dernier, a fait figure de véritable bombe. Un texte au vitriol, "A failure in generalship", pour dénoncer une incurie généralisée, destiné par e-mail à un lieutenant colonel, Paul Yingling, envoyé lui-même à l’époque par Georges Bush à Bagdad au nom de "The Surge", le nom donné aux renforts destinés à juguler l’opposition des troupes de Sadr et des insurgés en Irak. Un texte qui laminait les prises de position des politiques, et qui possédait aussi un poids considérable, car émanant non pas d’un simple observateur ou d’un journaliste, mais d’un autre militaire, ami du premier, le lieutenant colonel Gian Gentile. Ce texte, quatre mois après son envoi, peut toujours faire figure de référence dans l’analyse du conflit actuel et des mauvaises réponses données par le pouvoir politique aux problèmes journaliers induits par une occupation mal préparée et totalement désorganisée. Pour beaucoup de journalistes, ce texte incendiaire, publié dans le magazine Armed Forces Journal, est devenu le "J’accuse" de Zola, contre le lobby militaire, version vingt et unième siècle.
Selon Gentile, les généraux américains, pour garder leur place, ont constamment menti sur les coûts réels de cette occupation auprès de leur commandant suprême Georges Bush, qui, à partir de ces informations partiales et tronquées, n’a fait que prendre des décisions pire encore. Ce texte a d’autant plus de poids que son auteur est également professeur d’histoire à West Point, l’académie militaire dont la réputation mondiale n’est plus à faire. Le point sur lequel insistait Gentile, dans son échange épistolaire avec Yingling, était le fait que ce dernier n’osait pas encore nommer les responsables de l’incurie qu’il voyait : or, selon Gentile, c’était le fait de manquer de courage, nous dirons de courage politique de ne pas citer de noms : selon lui, par exemple, de Georges Casey, qui était directement responsable de l’impréparation de The Surge, ce qui mettait directement son nouveau supérieur et remplaçant, en l’occurrence Petraeus, dans l’embarras. Casey avait réussi à faire l’unanimité contre lui. ("He is very low-key, very low-profile"... quel jugement !). Un Petraeus qui avait reposé d’emblée son action sur une façon différente d’aborder le conflit. Dans leurs débats, une idée ressort : celle de la négation totale de la notion de "guerre au terrorisme", selon tous deux une notion totalement inadéquate face à ce qui devrait être de l’antiguérilla et rien d’autre. Mais avec une nuance de taille chez Gentile : selon lui, Petraeus, convaincu de nouvelles méthodes antinomiques de celles appliquées par ces prédécesseurs ne fait pas mieux dans l’autre sens, car il demande à son armée de s’occuper de choses qui ne sont pas de son ressort et pour laquelle ses soldats n’ont reçu aucune formation. Au premier désastre de l’impréparation de l’invasion s’en ajoute un second. Petraeus a engagé une action contre les sources idéologiques de cette guérilla, à savoir du contre-renseignement et l’usage des techniques de psychologie de la subversion, mais trop tard et de façon disproportionnée.
Sans le savoir, nos deux officiers lucides décrivaient déjà en mars dernier ce que les chercheurs de la Rand travaillant pour le Pentagone étaient eux aussi en train de voir et d’écrire. Et ce que reprend en juin 2008 Brian Burton dans ses très bonnes feuilles du Armed Forces Journal, intitulées "The counterterrorismenl paradox", où il décrit un Al-Quaïda qui n’a même plus besoin de camps d’entrainement en Aghanistan ou au Pakistan : "as former CIA officer Marc Sageman describes, the new generation of radical Islamist terrorists has not “been trained in terrorist camps” and probably has no direct links to al-Qaida Central". Rather, they are self-recruited, “self-financed and self-trained” individuals already living in Western countries who “form fluid, informal networks” through the Internet, a phenomenon known as “leaderless jihad.” Ben Laden ne sert donc plus à rien, et pour tout vous dire j’en étais arrivé aux mêmes conclusions depuis longtemps. Mort, il est même plus efficace que vivant. Les services secrets américains sont également forcés selon Burton d’avouer que le premier résultat probant de l’invasion de l’Irak est d’avoir fabriqué une génération complète de jihadistes : "according to U.S. intelligence in 2006, the “Iraq conflict has become the ‘cause celebre’ for jihadists, breeding a deep resentment of U.S. involvement in the Muslim world and cultivating supporters for the global jihadist movement.” Et selon Burton, l’occupation prolongée de l’Irak a amplifié la chose : "the increased U.S. military presence in the Middle East in direct combat roles confirms terrorist narratives of an American war on Islam and generates popular sympathies in the Muslim world for their cause". Burton recommande en conclusion à l’armée américaine d’organiser des forces spéciales, et non de demander aux militaires actuels de s’en charger. "This counterterrorism model requires a long-term commitment of competent personnel able to operate effectively with people of different linguistic and cultural backgrounds, and should not be limited to drawing on one service’s personnel ; furthermore each service’s personnel would have specific knowledge and capabilities to impart to allied forces. It’s critical that the Adviser Corps produces local security forces that are capable of countering terrorism and insurgency, rather than mirror-imaging conventional U.S. forces, as occurred in the Vietnam War." L’accent étant mis dans l’immersion par petites équipes dans le milieu naturel, grâce avant tout à ce qui a toujours manqué aux forces américaines au Proche et au Moyen-Orient : à savoir d’hommes parlant parfaitement la langue du pays. L’interrogateur de Saddam Hussein avait déjà insisté sur ce point crucial qui fait toujours défaut aujourd’hui, même si Ryan Crocker, ambassadeur américain à Bagdad est un des rares à savoir le faire.
Mais Gentile va plus loin tout en rejoignant Burton : selon lui, Petraeus est bien désormais partisan de cette méthode, assisté par un nombre impressionnant de conseillers compétents, mais... il trouve désormais que son application est impossible. Selon lui, l’armée américaine n’est pas omnipotente, et ne peut prendre en charge l’intégralité d’un problème aussi vaste que celui d’une occupation ratée dès le début et son rattrapage actuel par des méthodes davantage psychologiques que militaires. Pour prendre une image parlante, Gentile parle de ces fameux conseillers comme étant "The Matrix", en hommage davantage à Baudrillard qu’aux films grotesques des frères Wachowski. Et pour reprendre une phrase du général Odierno, qui a été lui aussi commandant en chef en Irak, Petraeus essaie de s’intéresser aussi à ce qui entoure la résistance à l’occupation du pays :"we don’t just talk about the enemy, we talk about the environment". Celle d’une guerre de rues, celle d’insurgés et d’une véritable résistance à une occupation, et non à des "terroristes" aveugles comme la propagande américaine nous le raconte depuis cinq ans. Pour ne rien avoir compris de cet "environnement", les troupes américaines sont dans une impasse totale.
Le meilleur exemple de cet imbroglio, ce sont les seuls succès obtenus en Afghanistan, par une méthode fort particulière, celle appliquée par les soldats hollandais et leur état-major. Celle d’aller au-devant de la population, de pactiser et de discuter, et d’entrer en contact souvent avec cette population. Les soldats hollandais sont les seuls à faire leurs tournées sans nécessairement porter leur casque. Et sont ceux aussi qui ont le ratio le plus faible de pertes en engagement. Le phénomène avait été particulièrement bien décrit dans un remarquable article du New York Times. La méthode marche, ou plutôt marchait. Au point que les talibans, pour tenter d’inverser cette méthode, en sont venus à tuer le propre fils du général en chef hollandais, qui était sur place pour influer sur la pratique qui portait ses fruits, et ce sans l’ombre d’un doute. Les Hollandais ont démontré la démarche à suivre, et n’ont pas été suivis : en deux ou trois bombardements massifs de la coalition, leurs espoirs ont été vite ruinés. Tout était à refaire. Une seule erreur et c’est le travail d’approche de trois années qui se retrouvait flanqué par terre. Le problème étant qu’il n’y en a pas eu qu’une seule. Les populations commençaient juste à prendre confiance et à rompre l’omerta sur les exactions et les pressions talibanes. Les occupants perdaient progressivement leur statut de troupe d’occupation pour prendre l’uniforme plus respecté de la défense du pays face à l’agression talibane. Raté.
Comparativement, en Irak, le choix de faire venir plus de 7 000 véhicules blindés à coque en V pour résister aux roadsides bombs dévastatrices les a à nouveau enfermés entre des plaques de blindages et des meurtrières étroites : plus aucun contact possible dans ces tanks légers. Les contacts étant déjà fort restreints en raison de l’écueil de la langue, ils sont désormais réduits à des échanges furtifs. La population voit défiler à toute vitesse des voitures blindées fermées, alors que les généraux qui les envoient parlent de sociologie et de psychologie des populations ! Ce n’est pas le seul paradoxe de ce conflit insoluble désormais. Les Américains, pour paraphraser Odierno, viennent de s’apercevoir que Bagdad n’était pas Houston, que les paysages de Tikrit n’étaient pas ceux du Texas, et que les individus qu’ils croisaient n’étaient pas tous nécessairement des poseurs de bombes. Mais des êtres humains, avec un énorme défaut il est vrai : de ne pas parler la langue de l’oncle Sam, car il est évidemment impossible à un soldat moyen bardé de tatouages irrévérencieux, voire franchement racistes, d’imaginer que c’est à lui d’apprendre les rudiments de la langue du pays. Et ce, à un stade fort avancé de l’organisation de l’armée : c’est ainsi qu’on a appris via des revues spécialisées d’aviation que l’US Air Force a longuement tardé pour mettre à bord de ses Boeing RC-135 River Joint Elint des traducteurs, les Américains interceptant pendant des mois des conversations téléphoniques qui ne pouvaient être utilisées en temps réel, faute de compréhension immédiate. Les talibans, en Afghanistan, avec leurs dialectes pachtounes l’ont bien compris. Ils ne s’embarrassent pas de crypter leurs échanges, persuadés qu’à l’autre bout pas un seul interprète n’existe, pas un seul ne comprend. On en est au stade de l’usage d’un patois pour déstabiliser la plus grande armée du monde ! Les talibans ont tout compris à l’usage du téléphone portable, comme nous avons déjà pu le dire dans ces colonnes. Des téléphones portables à la base du déclenchement des bombes de bords de route, ces engins à moins de 20 dollars pièce capables de volatiliser des jeeps à 650 000 dollars. Toute l’absurdité de cette guerre dans ce second exemple.
Le fiasco est à tous les étages. Yingling est celui qui en parle le mieux, en prime : comme Gentile, c’est un homme de terrain, qui commandait le 1er bataillon de la 21e division d’artillerie en Irak. L’exemple qu’il raconte résume toute l’étendue de la différence entre un système militaire juché sur ses habitudes et les contraintes nouvelles d’un conflit récent. Un jour, on a demandé à Yingling de garder des prisonniers. Pour cela, il a fait un rapport à sa hiérarchie demandant l’acquisition de matériels spécifiques et de gens formés pour ça, en bon responsable et en homme conscient des limites de son bataillon. Pour toute réponse, on lui a envoyé des véhicules lanceurs de missiles... Selon lui, l’armée armée américaine s’est trompée de guerre en 1990 quand ont été construits ces véhicules inadaptés, et aujourd’hui la hiérarchie, en utilisant ces matériels à contre-usage, détruit tout simplement à petits feux cette même armée. On a longuement évoqué ici le cas des Humvees inadéquats et pourtant envoyés par dizaines de milliers sur place.
Petraeus, qui, on l’a vu, des collègues l’ont bien décrit ici même, n’est pas une bille, s’est entouré d’une meute de conseillers d’un certain pedigree : James Mattis, le commandant de l’US Joint Forces Command, David Kilucen, un Australien employé au département d’Etat, devenu spécialiste des zones tribales, Peter Mansoor, un colonel lui aussi enseignant l’histoire militaire, et John Nagul, lieutenant colonel en retraite, celui qui a rédigé le manuel qui a valu à Petraeus d’être nommé à son poste actuel, devenu la Bible actuelle pour l’Irak, "CounterInsurgency Field Material", surnommé dossier FM34 dans la nomenclature de l’armée. Mais aussi Janine Davidson, une spécialiste des opérations spéciales, première pilote femme de C-130, à lire impérativement ici ! Ou encore une anthropologue, Montgomery McFate, auteur d’un rapport fondamental, aidée par d’autres rapporteuses telles que Charlotte Hunter et même une spécialiste des droits de l’homme comme Sarah Sewall (conseillère de Barack Obama !). Ou encore Eric M. Simpson, membre du think thank démocrate "Center for a New American Society", et d’autres spécialistes de l’anti-guérilla : Colin Kahl, Nate Fick, Roger Carstens, Shawn Brimley, etc. Une équipe assez hétéroclite, mais très ouverte, qui n’a pas l’heur des militaires traditionnels, qui ne digèrent pas de recevoir des ordres en provenance de ces conseillers, surtout s’ils sont féminins, et où Nagl est perçu comme celui n’ayant jamais été promu colonel... et pourtant, l’équipe de Petraeus semble bien avoir compris des choses. Ecoutez ce que disait déjà Janine Davidson en septembre 2005 : "History demonstrates that successful counterinsurgency requires an integrated civil-military effort focused on strengthening local institutions, not just chasing down bad guys. Unfortunately, the United States lacks the nonmilitary institutional capacity to carry out this strategy — and if current political trends continue, it will not have the capacity to "build" anytime soon". Selon elle, c’est clair : "nettoyer" une zone infestée d’insurgé ne sert à rien si cela n’est pas suivi d’une reconquête dans les esprits. Or en Irak, avant Petraeus, ce n’était que cela :"In the new strategy, "clearing" an area of insurgents through aggressive military operations is only useful if that same area is then "held" by security forces that can prevent insurgents from resuming violence against the civilian population. But U.S. forces cannot hold these areas forever". Sans Police organisée, pour prendre le relais, capable d’empêcher les violences, pas la peine d’y croire. C’est râpé.
Selon Gentile, le demi-tour conceptuel a donc bien été fait par Petraeus, et les frappes aériennes massives qui avaient encore cours en 2007 abandonnées au profit du travail de l’infanterie sur le terrain. Place à la psychologie. Mais le demi-tour, selon lui, a été trop brusque, ce que les hommes sur le terrain ne comprennent pas aujourd’hui. Il y a un an, on leur demandait d’abattre sans trop de sommations, aujourd’hui de discuter. Cette attitude est compréhensible, c’est la même que dénonce un autre grand dirigeant de l’armée américaine. En mars dernier également, en effet, au moment où éclatait l’affaire de "The Matrix", l’amiral Fallon abandonnait son poste. Officiellement sans avoir été viré. Officieusement pour s’être opposé à l’escalade contre l’Iran. Le 29 juillet dernier, en costume d’amiral, il a tenu une conférence, sa première apparition depuis son retrait, au National Press Club à Washington. Pour la première fois, il a parlé de dissensions graves au sein même de l’armée, évoquant le fait que les soldats sur le terrain ne "suivent plus" leurs chefs, ayant du mal à évaluer leur positionnement vis-à-vis de la politique militaire mise en place. Le doute sur la façon de résoudre le problème s’est installé : "if our people, our troops, the men and women in uniform, particularly out in the combat zones, with all that we had going on, had an idea, however they acquired it, that their commander was at odds with their commander in chief, that is a situation which is intolerable to my mind." C’est l’effet pervers du demi-tour conceptuel de Petraeus. Il eût fallu faire de l’anti-guérilla dès la première heure, cela aurait évité une bonne partie des 4 000 morts chez les soldats, et aujourd’hui éviter de trop en faire, à les mettre en danger inutilement en leur demandant de se rapprocher des populations. Ce qu’a remarqué Fallon, et ce que peu de gens ont vu, c’est que le retrait progressif des troupes en Irak s’accompagne d’un maintien obligatoire de la présence maritime dans le Golfe, pour ne pas perdre la main dans la région. Un maintien, voire un renforcement. Le message est clair : pour lui, en effet, ce sont toujours des préparatifs déguisés pour une ouverture du conflit à l’Iran. Et sur ce point, il demeure très clair, sans vouloir revenir sur son éviction prématurée pour autant. Peut-être qu’un jour on lui élèvera une statue, à Fallon, pour nous avoir évité un conflit nucléaire. Pour sûr que l’Histoire dans les années à venir lui rendra justice d’avoir démissionné avec autant de fracas.
Car le piège est en train de se refermer sur l’armée américaine. Elle a déjà affirmé, par la voix de Robert Gates, confiant (un peu trop !) dans le calme relatif qui s’installe, de se détourner de l’Irak, où un dénommé Moqtada-Al Sadr n’attend que cela pour s’emparer du pouvoir, pour aller relever l’Afghanistan, où les talibans sont en train de regagner la partie, faute d’un nombre de soldats suffisants dans la coalition. Des informations de la CIA indiquent en effet cette semaine que les dirigeants d’Al-Quaïda qui étaient en Irak se sont déjà réfugiés en Afghanistan, suivant l’exemple de ce qu’avait fait leur chef après Tora Bora. Le hic, c’est que l’Afghanistan est un joli piège, tendu par le Pakistan à son propre allié américain. Selon la CIA, en effet, les derniers attentats meurtriers contre l’ambassade indienne sont bien le fait de l’ISI, les services secrets Pakistanais, vexés des accords nucléaires passés entre l’Inde et les Etats-Unis. On le sait, on l’a vu, notamment ici, le rôle de l’ISI n’a jamais été clair, et son soutien à la cause talibane désormais évident, confirmé aujourd’hui par la CIA. Le spectre de Bhutto réapparaît aussitôt, ainsi que celui du double jeu de Musharraf, en guerre contre le terrorisme selon Washington, alors qu’il n’eut de cesse de protéger ses dirigeants. Le peu d’empressement à les traquer, et le fait de s’être parfois fait massacrer par des bombardements américains en faisant semblant de le faire n’ont pas arrangé les choses : si l’Irak, un jour, sort de son bourbier, l’Aghanistan en a un de tout prêt juste à côté, qui ne demande qu’à enliser les soldats qui y mettront les pieds, Français y compris. L’Irak s’enlise, et son voisin est la proie d’une lutte féroce d’influence entre deux vieux ennemis héréditaires, l’Inde et le Pakistan, qui pourraient facilement en venir aux mains par têtes nucléaires interposées. Ce sera ça ou un lobby militaire qui pourrait être pressé d’intervenir en Iran... ou de laisser faire un autre pays fort tenté par les actions délibérées. La visite éclair du chef du US Joint Chiefs of Staff, Michael Mullen, à Tel-Aviv semble vouloir signifier que les Etats-Unis ne veulent pas donner le feu vert aux Israéliens et n’ouvriront donc pas les couloirs aériens irakiens. De leur côté, Robert Gates et Condoleezza Rice pèsent de tout leur poids sur les derniers faucons, dont le vice-président Cheney pour éviter l’extension du conflit à l’Iran. Cheney, lui, s’enfermant dans sa logique de guerre selon Seymour Hersh (l’homme qui avait révélé le massacre de My Laï) : selon lui, Cheney aurait avoué récemment songer à une opération des Navys Seals déguisés en Gardiens de la Révolution qui tournerait mal, un remake de l’attaque de la baie du Tonkin.
En résumé, il serait prêt à sacrifier ses propres troupes d’élite pour arriver à ses fins. Il n’y a donc pas que de l’incompétence dans ce gouvernement et cette direction d’armée, il y a aussi de la folie pure et simple, celle d’un homme accroché au pouvoir depuis son entrée à la Maison-Blanche en 1969 maintenant, et qui a participé à tous les coups fourrés du père avant de diriger ceux du fils. Dick Cheney n’a rien du Saint-Esprit pourtant : les langues de feu qu’il voudrait voir déverser sur l’Iran ne lui serviraient qu’à garder son emprise, en demandant au pays de le lui voter, ces pleins pouvoirs, pour une raison de force majeure, celle d’un conflit nucléaire. Cela semble fou, et pourtant ceux qui l’ont côtoyé savent qu’il en est bien capable. Selon l’auteur du texte incendaire, pour résumer, les Américains en Irak ont préparé leur invasion comme les Français s’étaient retranchés en 1940 derrière leur ligne Maginot et leur vision de la guerre de 1914 : "the most tragic error a general can make is to assume without much reflection that wars of the future will look much like wars of the past. Following World War I, French generals committed this error, assuming that the next war would involve static battles dominated by firepower and fixed fortifications. Throughout the interwar years, French generals raised, equipped, armed and trained the French military to fight the last war. In stark contrast, German generals spent the interwar years attempting to break the stalemate created by firepower and fortifications. They developed a new form of war - the blitzkrieg - that integrated mobility, firepower and decentralized tactics". On ne peut être plus clair. "Le manque de vision des champs de bataille furturs représente un manquement dans la compétence professionnelle", écrit avec justesse Gentile dans son terrible pamphlet. Nous en conclurons avec lui que cette guerre d’Irak est menée depuis le début par des incompétents, qui masquent à coup d’annonces et de propagande leur complète inadaptation à conduire la plus grande puissance militaire mondiale. Il ne nous manque plus aujourd’hui que le colonel Jack Ripper comme général en chef de cette armée, et la prophétie de Kubrick sera bien réelle. Mais nous ne serons plus là pour la vérifier.
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