L’autre cygne noir de l’année 2020, le pétrole
La récente chute spectaculaire des cours boursiers du pétrole représente certes un gain de pouvoir d'achat pour les particuliers et les industries consommatrices, mais se révèle source de profondes instabilités pour les Régions/ Pays producteurs. Depuis le début de l'année, on observe une chute des cours du baril de brut en $ de l'ordre de 60%, ce qui est considérable (cours au 27 Mars : 25, 92 $ le baril). La propagation du COVID-19 a créé un choc de demande dans un marché où l'offre était devenue excédentaire.
Les Majors et les Entreprises du secteur parapétrolier
Les sociétés pétrolières privées, nées de très importantes fusions à la fin des années 1990 sont aujourd'hui au nombre de cinq, dont Total en France. On observe de la part des majors une résilience aux fluctuations du prix du brut, du fait de leur diversification ainsi que de leurs efforts visant à abaisser leur point mort. Elles ont été très fortement affectées par la baisse des prix qui a fait chuter leur résultat net en moyenne de 67% en 2015. Dans le contexte actuel de cours en chute libre, elles vont être contraintes de réduire leurs ambitions en matière de forage de champs pétroliers, donc leurs investissements en Exploration-Production ainsi que leurs couts d'exploitation, incluant les recrutements. Leurs dépenses pourraient chuter de 15% avec un baril à 30$, ce qui représente 100 Mds de $ de coupes dans les investissements du secteur. En France, le groupe Total apparaît suffisamment solide pour affronter la tempête. Son point mort en 2019 est inférieur à 25$ le baril contre plus de 100$ en 2014. Un récent communiqué de presse de son Président prévoit d'accélérer son programme d'économies en investissements et dépenses d'exploitation.
Alors que les secteur parapétrolier avait déjà perdu 80% de sa valeur boursière depuis la chute des cours intervenue à partir de l'été 2014, les évènements récents vont impacter la rentabilité des ces sociétés, voire leur survie. La scission de TechnipFMC (Franco Américaine) aura lieu lorsque les marchés financiers seront rétablis. Face à une nouvelle baisse des cours de plus de 60% depuis le début de l'année la France qui regroupe des leaders mondiaux dans leur domaine, va avoir besoin d'une intervention de l'Etat, présent au capital de certaines d'entre elles dont TechnipFMC et Vallourec. Il s'agit d'éviter la disparition d'acteurs industriels à la pointe de la technologie en matière d'études sismiques, forages, construction de plateformes offshore, et de leurs employés. Rappelons ici que selon les données de l'UFIP (Union Française des Industries Pétrolières) les opérateurs pétroliers créent de la richesse en France et participent au dynamisme économique des régions en employant directement et indirectement environ 200000 personnes.
Rivalités géopolitiques et appréciation des risques Régions / Pays
L'échec des négociations de l'OPEP + lors du Week-End du 7 mars dernier et la guerre déclarée par l'Arabie Saoudite sur ses prix de vente marquent une rupture du cartel Opep- Russie après quatre années de stratégie pétrolière coordonnée. Dans le contexte de chute de la croissance économique provoquée par l'épidémie du COVID-19, le 9 Mars les cours du baril de brut ont subi la plus forte baisse quotidienne depuis la Guerre du golfe en 1991. La région Arabo persique, dans laquelle les Etats-Unis et la Russie n'ont pas réussi à s'implanter politiquement repose sur d'immenses ressources en hydrocarbures qui représentent la quasi totalité des revenus et l'insolente prospérité des Etats et monarchies qui la composent. Aux niveaux de production actuels, le point mort se situe autour de 83 $ le baril pour l'Arabie Saoudite et à 43 $ pour la Russie, ces deux pays étant les deux plus grands exportateurs mondiaux d'or noir (Source FMI). La stratégie de la Russie consiste à bloquer la croissance des parts de marché du gaz de schiste américain et refuse ainsi de réduire sa production, face aux sanctions américaines entravant le développement de champs offshore. Le point mort pour la production de gaz de schiste aux Etats-Unis se situe entre 35 et 40$ le baril. D'autre part le niveau d'exportation en MB/j des Etats-Unis, de la Russie et de l'Arabie Saoudite sont à peu près semblables. Aux Etats-Unis les acteurs les plus risqués sont ceux qui opèrent dans l'univers du pétrole non conventionnel, les investissements y étant financièrement plus lourds à réaliser. Ces sociétés vont-elles être rachetées à la casse par Exxon et Chevron ? La question va se poser assez rapidement.
Pour les pays émergents producteurs à couts élevés, cette guerre des prix est entièrement irréfléchie d'un point de vue économique. Le prix du pétrole nécessaire pour équilibrer le budget des Etats producteurs (point mort) dépasse les 50$ le baril en Irak, au Koweit et au Quatar, et plus de 100$ le baril au Nigéria et au Venezuela. En Amérique Latine, le Venezuela qui dispose des plus grandes réserves prouvées au monde, entre dans la septième année de contraction de son activité. L'effondrement de sa production pétrolière, couplée aux sanctions américaines qui empêchent la livraison d'une partie des barils produits a considérablement réduit la rente pétrolière qui alimentait jusqu'alors les dépenses publiques.
En Afrique l’Algérie, l'Irak, le Quatar l'Angola, le Gabon et le Nigéria risquent aussi d'être encore plus déstabilisés, rendant nécessaire la transformation de leur économie. Des cours de pétrole faibles à moyen terme pourraient dans ces pays fragiles provoquer la multiplication des troubles sociaux, l'appauvrissement d'une population jeune, obligeant les Etats à modifier leur politique économique. Sauront-ils le faire, et avec quels moyens ?
Alors que le chiffre d'affaires de l'industrie chargée d'extraire les hydrocarbures apparaît dix fois supérieur aux autres industries, à l'origine de profits considérables (Source Michel Auzanneau : Or Noir, la grande histoire du pétrole, 2015), les fluctuations hiératiques de son cours deviennent préoccupantes, conduisant à l'aggravation de la crise économique actuelle. Les rivalités géopolitiques entre pays et leurs enjeux de pouvoir devraient remettre à l'ordre du jour le thème de l’après pétrole. Mais il n'en sera rien, malgré les demandes de plus en plus pressantes des écologistes, l'objectif étant de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030.
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https://www.arte.tv/fr/videos/090211-000-A/dallas-ton-univers-impitoyable/
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