L’élection du Conseil Fédéral Suisse par le peuple : quitte ou double ?
Le 9 juin prochain, les électeurs suisses s'exprimeront sur l'initiative de l'Union démocratique du Centre. Celle-ci propose que l’élection des conseillers fédéraux (l'organe executif) soit soumise au suffrage universel direct. « C'est une chance pour la démocratie directe » avancent les partisans de la réforme. Mais ce n'est pas le point de vue de tout le monde. Analyse.
Un million de Francs suisse. C'est le budget de campagne de l'Union Démocratique du Centre (UDC), lancée le 22 avril dernier, et censée promouvoir l'incitative populaire du parti déposée il y a bientôt un an. Le projet : élire dorénavant les conseillers fédéraux, tous les 4 ans, au suffrage direct. Jusqu'à présent, c'est l'Assemblée Fédéral qui choisissait les 7 membres du collège. Tous les moyens sont bons, selon le site de la campagne du parti conservateur pour « combler cette lacune du système de démocratie directe de la Suisse ». Selon eux, une telle réforme serait le fer de lance d'un développement démocratique réel dans le pays.
« Le peuple est incorruptible »
C'est ainsi que les services de communication politique de l'UDC ont commencé une campagne dont la palette d'argumentaire concilie le jargon technique et le lexique populiste. L'enjeu, c'est la démocratie directe pour le parti qui souhaite imiter le système d’élection des conseils cantonaux à l’échelle fédérale. Cette réforme aurait comme principale conséquence de séparer davantage les pouvoirs exécutifs et législatifs. En outre, les élus seraient davantage responsables devant « le peuple », le pouvoir serait donc plus transparent. L'avantage pour la démocratie helvétique est donc incontestable si l'on en croit les partisans de l'initiative. Ces derniers, à l'image de l’éloquent Tonni Brunner, président de l'UDC, n'hésitent pas à s'appuyer sur le discours de l'évidence, qui oppose « le peuple » à « la classe politique ». « Le peuple est incorruptible » déclare celui-ci, « faites confiance au peuple ».
Néanmoins, « le peuple » paraît plutôt sûr de refuser l'initiative le 9 juin prochain. Selon un sondage SRG SSR du 3 mai sur les prochaines votations, les Suisses sont clairement contre l’initiative. En effet, 67% des personnes interrogées sont opposées au projet, alors que seulement 25% y sont favorables. Le sondage souligne aussi le grand clivage droite-gauche. Les sympathisants Verts, Socialistes ou même radicaux sont opposés à plus de 70% au projet. En revanche, du côté UDC, 56% des électeurs se disent favorables ou plutôt favorables.
Les détracteurs du projet sont clairs : adopter cette initiative c'est remettre en cause la stabilité même des institutions. Le socialiste François Cherix explique que, bien loin de renforcer la démocratie directe, cette réforme va mener à une impasse. À la manière des États-Unis d'Amérique, l’élection ne dépendra plus que du budget de campagne et des candidats imposés par les partis politiques. Enfin il développe l'idée que ce projet n'a pas de sens dans un pays comme la Suisse, dans lequel des candidats nationaux seront présentés sans même être connus, dans les autres régions linguistiques.
Une chance pour la démocratie...ou pour l'UDC ?
En vue des sondages, il est donc peu probables que les cadres de l'UDC aient en tête une véritable réforme constitutionnelle. Une analyse politique plus poussée nous montrerait que ce projet est en fait une stratégie partisane. D'un côté parce que le parti souffre d'une sous représentation au Conseil fédéral, et que le suffrage majoritaire directe serait un atout pour lui. Cette stratégie, ce sont les socialistes qui l'ont inventé. Depuis la constitution fédérale de 1848, et plus tard à travers plusieurs initiatives, le Parti Socialiste utilisa cette tentative d'ouverture du Conseil Fédéral afin de se faire une place dans le pouvoir exécutif. D'un autre côté, cette initiative pourrait profiter à la communication politique de l'UDC. En plus d'occuper la scène médiatique, les discours du parti n'oublient pas de façonner le schisme entre le « peuple », « et la classe politique » dont ils ne feraient, bien sûr, pas parti.
Alors démocratique, ou non ?
Cette bataille est ainsi un débat de fond. A la question, l’élection du Conseil fédéral par le peuple est-elle une chance ou un risque pour la démocratie helvétique, il n'y a pas de réponse. En fait, cela soulève deux conceptions de la démocratie. Une technocratie stable mais monopolisée d'une « classe politique » fermées ? Ou alors, un système plus représentatif mais soumis au populisme et au pouvoir de l'argent ? Quoiqu'il en soit « il faut faire confiance au peuple » et l’électeur suisse aura l'occasion de s'exprimer lors des votations du 9 juin prochain.
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