L’Europe est-elle schizophrène ?
Récemment l’Europe s’est choisi 28 commissaires européens, et, le lundi 13 octobre sur l’antenne de France Culture, dans l’émission « les matins » Sven Giegold, député vert allemand et européen, posait, par animateur interposé, à l’ex commissaire européen Michel Barnier, la question qui fâche.

Avec une certaine ironie il déclarait : « drôle de commission européenne que l’on nous présente là : le commissaire européen à l’énergie, l’espagnol Miguel Arias Canete, a des intérêts dans le monde pétrolier, celui aux finances, Pierre Moscovici n’a pas mis de l’ordre dans les comptes de son pays quand il était ministre de l’économie, celui chargé du numérique, Günther Oettinger, a déclaré qu’il demanderait à son fils ce qu’est internet, celui à l’immigration, le grec Dimitris Avramopoulos vient d’un pays ou le bilan en la matière est peu flatteur, et le commissaire chargé des problèmes financiers, le britannique Jonathan Hill est un ancien lobbyiste des banques qui a dit haut et fort ne pas croire en l’Europe ». lien
Inutile de s’attarder sur la réponse de Michel Barnier, qui fut exemplaire en matière de langue de bois, mais n’est-il pas en effet du domaine de la schizophrénie de nommer à des postes si importants, des élus qui n’ont pas tous, jusque là, fais preuve de compétences dans les domaines qui leur ont été confiés ?
En tout cas, ces désignations ont ému quelques politiques, dont la députée libérale Sylvie Goulard, qui demandait, au sujet de Moscovici, des « éclaircissements sur sa crédibilité pour la mise en œuvre du pacte de stabilité »…
Pour certains, ces nominations ont été l’objet d’un chantage sur l’air de « si vous acceptez Canete, ce sera ok pour Moscovici ».
Canete, interrogé par la commission, sur le risque de conflit d’intérêt possible, à éludé habilement la question, et finalement, on le sait, a était nommé au poste du climat et de l’énergie, alors qu’il fut élu président du conseil d’administration d’entreprises pétrolières.
Moscovici, à qui la député libérale néerlandaise Sophie In’t Veld lançait : « comment être certains que vous serez le braconnier devenu garde chasse ? » l’intéressé à répondu, droit dans ses bottes : « je suis là pour faire respecter les règles, pas pour les modifier…pas pour défendre je ne sais quelle dérogation » (lien) et il a eu la place convoitée…lien
Mais peut-on prolonger la réflexion acide de Sven Giegold en ce qui concerne les autres commissaires européens ?
Le président est finalement le luxembourgeois Jean-Claude Juncker alors qu’il avait été largement contesté par la Grande Bretagne, la Hongrie, la Suède, le Danemark, les Pays Bas, et la chancelière allemande. lien
Passons rapidement sur les 5 commissaires déjà épinglés par Sven Giegold, et par d’autres, pour nous intéresser aux 23 autres.
Le Lituanien Vytenis Andriukaitis, médecin de formation, est chargé de la santé et de la sécurité alimentaire et si le lien est évident entre la médecine et la santé, quid de ses capacités à traiter la sécurité alimentaire ?
L’Estonien Andrus Ansip, chargé du marché unique numérique, devra s’attacher a faire respecter les normes européennes aux géants de l’informatique, comme Google, par exemple, mais quand on sait qu’il a fait des études de chimie organique, puis plus tard d’agronomie, on est en droit de poser la question de ses compétences au poste où il a été nommé. lien
La Polonaise Elzbieta Benkowska, vice premier ministre dans son pays, hérite du marché intérieur, de l’industrie, de l’entreprenariat et des PME ainsi que des infrastructures dont on sait que nombreuses sont classées GPI (grands projets inutiles) dont le projet ferroviaire Lyon Turin fait partie, et si les lobbyistes de celui-ci ont tenté de l’inclure dans un tracé qui irait un jour de Lisbonne à Kiev, on peut lucidement s’interroger sur les capacités de l’élue à ce poste.
Elle est impliquée dans le scandale des écoutes qui avait ébranlé le gouvernement Tusk, en raison de ses conversations avec l’un des responsables des services secrets polonais. lien
La Slovène Alenka Bratusek, premier ministre dans son pays, mais aussi ministre de la santé, s’occupera de l’énergie et on essaye en vain de voir quels liens subtils existent entre la santé et l’énergie…nucléaire et cancer, par exemple ?
La Roumaine Corina Cretu, fut journaliste et est chargée de la politique régionale, et eut des liens connus dans le passé avec le KGB…et à la particularité d’avoir étalé, par email interposés, son amour pour un certain Colin Powell, l’ex-secrétaire d’Etat américain de G.W Bush, lequel confirme l’avoir rencontré, sans toutefois admettre une possible liaison. lien
Le Letton Valdis Dombrovskis hérite de la gestion de l’Euro et du dialogue social, après avoir du démissionner de son poste de premier ministre après l’effondrement d’un super marché à Riga qui a provoqué la mort de plus 54 personnes et dont il avait assumé la responsabilité. lien
La Bulgare et économiste Kristalina Georgieva, après avoir été commissaire à l’aide humanitaire, s’occupera du Budget et des ressources humaines. lien
L’Autrichien Johannes Hahn, muni d’un doctorat de philosophie, hérite de la politique européenne de voisinage et des négociations d’élargissement, et devra particulièrement s’occuper de la crise ukrainienne.
C’est l’un des rares défenseurs d’une croissance économique soutenue et durable, mais aura-t-il les moyens de ses ambitions ? lien
L’Irlandais Phil Hogan est chargé de l’agriculture et du développement rural, mais dans son pays, les taxes sur l’eau et la propriété immobilière ne l’ont pas rendu très populaire, et il est possible que cet homme qui a empêché le relogement d’une famille de Rom dans sa circonscription n'améliore pas beaucoup son image de marque. lien
Il doit aussi travailler sur l’épineux dossier TAFTA, et veiller à la contribution de l’agriculture à la lutte contre le changement climatique.
La juriste Tchèque Vera Jourova, est chargée de la justice, des consommateurs, et de l’égalité des genres, et devra débloquer les négociations sur la directive anti-discrimination. lien
Le Finlandais Jyrki Katainen s’occupera de l’emploi, de la croissance, des investissements, et de la compétitivité, et sera chargé de gérer les 300 milliards d’euros que l’Europe compte investir pour permettre la relance économique, mais le gâchis financier que représente dans son pays, l’EPR d’AREVA, qui a déjà couté 3 fois plus que prévu, atteignant les 9 milliards d’euros, ne semble pas avoir affaibli sa soif d’investissements ? lien
La Suédoise Cecilia Malmström hérite du commerce, et s’occupera entre autres du très controversé TAFTA qu’elle soutient obstinément. lien
Le Croate Neven Mimica, ancien communiste, s’attaquera à la coopération internationale et au développement.
Le Portugais Carlos Moedas, est chargé de la recherche, de la science et de l’innovation, et même s’il était aussi ingénieur issu de l’école des Ponts et Chaussée française, il est surtout connu pour ses compétences en économie.
L’Italienne Federica Mogherini devient la haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, alors que son attachement à la politique menée par Poutine n’est un secret pour personne.
Le Hongrois Tibor Navracsocs hérite de l’éducation, de la culture, et de la citoyenneté, alors qu’il a été très critiqué pour avoir réformé la justice hongroise, réduisant aussi les compétences de la Cour Constitutionnelle.
Le Slovaque Maros Sefcovic est chargé des transports et de l’espace alors que ses compétences, si l’on veut bien considérer ses diplômes, sont le droit et l’économie.
Le Chypriote Christos Stylianides s’occupera de l’aide humanitaire et de la gestion des crises, et l’ex chirurgien dentiste qu’il était pourrait bien s’y casser les dents.
La Belge Marianne Thyssen s’attaquera à l’emploi, aux affaires sociales, à la compétence et à la mobilité du travail, alors qu’elle est plutôt spécialisée dans la fiscalité et la protection des consommateurs…
Le Néerlandais et ex diplomate Frans Timmermans, numéro 2 de ce groupe, veillera à une meilleure règlementation, aux relations inter-institutionnelles, à l’état de droit, et à la charte des droits fondamentaux,
Le Maltais Karmenu Vella hérite de l’environnement, des affaires maritimes et de la pêche, mais l’actionnaire de nombreuses sociétés, notamment dans le domaine du voyage, et du jeu, qu’il est, semble assez éloigné des questions sensibles de l’environnement.
Fermant la marche, la Danoise Margrethe Vestager hérite du domaine de la concurrence, et en bonne libérale qu’elle est, cette ex ministre des affaires économiques et de l’intérieur au Danemark, après avoir été ministre de l’éducation, devra entre autre traquer l’évasion fiscale…surprenant parcours…
Etrange assemblée donc, où l’on voit la carpe fréquenter le lapin, et les loups entrer peut-être dans la bergerie, ce qui ne sera pas de nature à rassurer les français, et quelques autres, qui, on s’en souvient, avaient largement rejeté le traité européen de Lisbonne. lien
Comme dit mon vieil ami africain, emboitant le pas de Jodorowsky : « un oiseau né en cage pense que voler est une maladie ».
L’image illustrant l’article vient de « observatoiredeleurope.com »
Merci aux internautes pour leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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