L’Iran, la bombe et les dauphins
On sait que les Etats-Unis sont tentés, enfin Dick Cheney surtout, d’intervenir militairement en Iran, sous prétexte que ce pays prépare des bombes nucléaires. Ce que l’Iran dément, s’accrochant à une simple poursuite d’un nucléaire civil initié par... les Français, sous le Shah d’Iran.
Pour ce qui est des allégations du gouvernement iranien, une récente déclaration de l’émissaire des Nations Unies semble aller dans ce sens. Selon Mohamed El Baradeï, prix Nobel de la Paix 2005, en effet, "il n’y a aucune preuve indiquant que l’Iran avait effectivement entrepris de fabriquer une bombe atomique." Pire encore, selon lui, les menaces américaines sont vaines et "ne font que jeter de l’huile sur le feu". Et Baredeï de rappeler un précédent célèbre : "Bien que nous ayons dit qu’il est évident que nous ne disposons pas de documentation qui prouve l’existence d’armes à destruction massive en Irak, on ne nous a pas donné le temps suffisant pour continuer les enquêtes et la guerre a éclaté." Bref, le dossier iranien ressemble comme deux gouttes d’eau au dossier de l’Irak de Saddam Hussein. Pour peu que les services secrets de W. Bush nous trouvent des armes de destruction massive là aussi... La France s’est depuis rangée à l’idée d’une attaque ou d’un conflit armé, deux de ses dirigeants, dont le président lui-même et son ministre des Affaires étrangères ayant cité le nom de "guerre" à leur retour des Etats-Unis. A croire que W. Bush leur a donné en exclusivité la date de l’assaut américain. Et ce n’est pas la dernière intervention d’Hervé Morin qui va nous en faire douter : "Nos renseignements, corroborés par ceux d’autres pays, nous donnent le sentiment contraire" dit-il à propos des armes nucléaires iraniennes. Car les sources de renseignement français à Téhéran ne permettent pas d’être aussi catégorique. Ne serait-ce que pour une raison simple : le recrutement actuel de spécialistes de la région est au point mort. On se demande d’où viennent les affirmations d’Hervé Morin. De la CIA ?
Or, à ce jour, où en sommes-nous de ces menaces et de cette montée par tous les moyens possibles vers un conflit ? On attend les Américains au détour, en fait. Les spécialistes depuis toujours de la provocation ne peuvent oublier leur savoir-faire : l’épisode du Liberty, en plein conflit israëlo-arabe, ou de l’incident du Golfe du Tonkin, en pleine guerre du Viêtnam, nous rappellent que cette méthode est celle du mode opératoire habituel à la CIA. Ces dernières semaines, un incident étrange s’est produit qui pourrait conduire aux mêmes conséquences. Un B-52 américain a traversé les Etats-Unis muni de six missiles nucléaires armés. Le cas, incroyable, est un cas d’école, tant on sait le nombre élevé de barrières hiérarchiques à tous niveaux pour empêcher le premier pékin venu de jouer les docteurs Folamour. Quelqu’un a bien dû donner l’ordre "d’en haut", car ces têtes nucléaires faisaient partie d’un lot officiel à retirer du service, paraît-il. Imaginez le tableau : on retire des ogives, on en perd une par hasard ou par mégarde pendant le transport de la base où elle était (Minot Air Force Base, N.D) à la base où le B-52 se rendait (Barksdale Air Force Base, LA). Et on se retrouve avec une bombe nucléaire de 150 kilotonnes dans la nature (voire six). A partir de là, faut décider qu’en faire. On compte sur l’esprit tordu de Dick Cheney pour trouver un usage façon Liberty ou fausses jonques coréennes, et le tour est joué. Beaucoup pensent alors à un Twin Tower bis, les dégâts en plus. L’excuse pour ratiboiser l’Iran est alors toute trouvée ! Et l’holocauste mondial qui suit de peu, qui va avec ?
A quoi s’ajoute un étrange épiphénomène de ce qu’on a déjà raconté ici sur l’armada militaire américaine présente dans le Golfe, à quelques encâblures de l’Iran. 18 000 soldats, qui n’attendent qu’une excuse pour attaquer les sites déjà ciblés de production ou d’enrichissement d’uranium. Cette incroyable armada, pour communiquer et détecter la présence de sous-marins russes, obligatoirement dans les parages, vu la position de Vladimir Poutine sur le sujet, utilise des ondes micrométriques pour s’échanger des messages ou surveiller l’adversaire potentiel. Un remarquable reportage d’Arte, il y a quelques semaines, nous montrait la longue quête d’une journaliste qui tentait de faire un lien entre ces fameux sonars et les échouages de dauphins sur le côtes. Avec brio, elle démontrait que le dauphin qui plonge à 450 m de profondeur (!) pour se nourrir, s’il est affolé par un sonar, remonte à tout vitesse, sans prendre le temps de faire les paliers habituels et... meurt, des bulles d’air dans tout le système sanguin et le foie. La démonstration était concluante, servie par des images de synthèse soignées et des autopsies édifiantes. Un superbe reportage. Mais pourquoi donc vous parler des dauphins, au fait, au lieu de vous parler de la guerre ?
Oh, pour rien : le 20 octobre dernier, une dépêche d’AFP annonce que des écologistes iraniens, je cite, "s’inquiètent de la recrudescence d’échouages de dauphins. 150 en tout, qui s’ajoutent aux 79 qui s’étaient déjà échoués en septembre dernier". Les écologistes iraniens, c’est une découverte, sont encore plus candides que leurs collègues européens. Selon eux, ce sont les seuls "pêcheurs du golfe qui sont responsables de ses décès" à répétitions. La presse iranienne titre depuis régulièrement Le Suicide collectif des dauphins continue. Or les animaux ne se suicident pas. La préparation intensive de l’attaque aussi continue, serions-nous plutôt tentés de dire.
PS : pendant que l’on glose sur le programme nucléaire iranien, les préparatifs continuent. Des observateurs plus attentionnés que d’autres ont remarqué qu’à Diego Garcia, dans l’océan Indien, depuis quelques semaines, ça bâtissait sec. Diego Garcia est... anglais, et avait déjà servi de base de relais aux avions ravitailleurs américains durant les deux guerres du Golfe. Les hangars érigés à la hâte le sont pour une espèce fort particulière d’avion, le B2, cette aile volante dont la peinture extérieure ne résiste pas longtemps aux intempéries. Selon ces mêmes observateurs, les B2 emporteraient la toute nouvelle bombe, la "Massive Ordnance Penetrator" (ou MOP) de 15 tonnes, surnommée "Big Blu", (sans "e", pour rappeler les autres bombes "BLU"), testée le 14 mars dernier en plein désert du Mojave sur ce qui était une maquette des installations souterraines iraniennes.Une vieille tradition, dans le Mojave, semble-t-il. La demande budgétaire américaine date du 23 octobre dernier seulement, et a été votée au Congrès, qui a accordé 88 millions de dollars pour modifier les B2. Le chantier principal consistant à enlever le barillet central des soutes à bombes pour caser le monstre explosif à bord. L’excuse donnée est assez explicite : c’est "in response to an urgent operational need from theater commander". Ça urge tant que ça de transporter et de larguer ces nouvelles bombes plus efficaces que les "Daisy Cutters" employées en 2001 à Tora Bora... ? L’île de Diego Garcia accueille aussi le Navy Submarine Warfare Center, autrement dit le centre de commandement des sous-marins US dans la région. On sait que l’amiral US qui dirigera l’attaque est à bord d’un sous-marin d’attaque. On ne peut pas être plus clair ! Les généraux américains semblent avoir renoncé à l’emploi d’armes nucléaires tactiques... mais pas à une opération d’envergure en Iran. Opération qui ne saurait plus trop tarder maintenant. A un seul détail près : selon Bœing, le contrat obtenu pour modifier un nombre indéterminé de B2 prendrait encore 7 mois pour se réaliser entièrement. Ça nous mènerait en avril 2008. D’ici là, pas mal de dauphins auront encore le temps de s’échouer sur les côtes iraniennes, à mon humble avis.
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