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La balkanisation du Congo ne marchera pas

Derrière le spectacle médiatisé du Président Kabila et la politique du laissez-faire des casques bleus se dissimule un gros secret de polichinelle, aussi visible que le soleil de midi. On veut balkaniser le Congo ou, pour être plus précis, « arracher » les riches régions de l’Est pour les « confier » au Rwanda de Paul Kagamé.

C’est un vieux projet qui est entré dans sa phase de concrétisation avec la première guerre du Congo qui fut un échec malgré les fameux « accord de Lemera[1] ». Aux termes de cet accord, qui fut, en réalité, un marché de dupes, les « Rwandais » aidaient Laurent Kabila à chasser Mobutu et prenaient, en contrepartie, le contrôle des régions de l’Est du Congo. Un accord dont il est vite apparu qu’il était irréalisable. Mais les Rwandais tiennent bon. Ils continuent de s’acharner sur le Congo et rivalisent d’imaginations pour rester d’une manière ou d’une autre sur le territoire congolais (infiltrations de l’armée et de l’administration, création des rebellions fantoches, confusion sciemment entretenue sur la question de la nationalité,…). Des Congolais haut-placés seraient même dans le coup.

En tout cas, ils ont réussi l’exploit d’affaiblir considérablement l’armée congolaise offrant ainsi au Rwanda la capacité de s’enfoncer sur le territoire congolais comme dans du beurre, chaque fois que Kigali le désire.

En effet, depuis la chute de Mobutu, l’armée congolaise enchaîne des défaites absolument inimaginables face aux combattants rwandais. A Goma, il y avait vingt mille soldats congolais qui devaient se battre contre deux mille rebelles du M23. Soit dix soldats congolais contre un seul maquisard du M23. L’armée nationale a été mise en déroute. Avant même qu’on en arrive à la chute de Goma, le M23 comptait environ 300 mutins contre vingt mille soldats loyalistes. L’armée congolaise (129 mille hommes) n’a pas réussi à mater une « bande » de quelques centaines de mutins. Cette armée-là est un cas d’école en matière d’humiliation d’un peuple.

En creusant un peu on apprend des témoignages de plus en plus récurrents sur le déroulement des opérations sur le front. Les troupes congolaises, qui comprennent des éléments expérimentés (15 ans de guerre) ne perdent pas toutes les batailles contrairement à l’impression générale. A Kibumba, les Congolais avaient même infligé de lourdes pertes au M23 (113 morts). Mais, comme cela arrive trop souvent, les officiers congolais ont reçu des appels les invitant à effectuer un repli. Juste au moment où ils prenaient le dessus sur l’ennemi. Le M23 en a profité pour foncer sur Goma, déserté sans combat. C’était le même scenario à Mushake, en décembre 2007 lorsque les miliciens du CNDP de Laurent Nkunda ont massacré plus de 2.600 soldats congolais perturbés par des appels au repli alors qu’ils prenaient le dessus.

Il y a donc quelqu’un à Kinshasa qui ordonne ces replis et offre à l’ennemi les occasions de gagner du terrain. On ne cherchera pas loin : cette armée, ayant intégré des trop nombreuses rebellions et groupes armés, est profondément gangrénée par des éléments douteux qui s’activeraient à saborder le Congo de l’intérieur pour faciliter le démantèlement du pays. Un projet pourtant insensé et qui ne peut pas marcher. La balkanisation du Congo n’est pas réalisable pour au moins trois raisons.

La première est que les frontières du Congo sont héritées de la Conférence de Berlin (1884-1885). L’effondrement des frontières d’un seul Etat africain risque de provoquer un effet domino absolument catastrophique et une grosse pagaille sur le Continent Noir. Il est impossible de déplacer une seule frontière sans provoquer un bain de sang. L’exemple du Sud Soudan où la guerre se poursuit nous donne un avertissement à l’intention des apprentis sorciers qui s’aviseraient à retoucher les frontières des Etats africains.

Le Congo, à lui tout seul, partage dix frontières avec les pays de la région. Faire disparaître un Etat aussi stratégique risque de provoquer des troubles dans au moins dix pays à la fois les affinités et les antagonismes ethniques devant ressurgir, inévitablement. On peut toujours essayer, mais la deuxième guerre du Congo qui a vu s’affronter, pour la première fois de l’histoire de l’Afrique, neuf armées nationales et une trentaine de rebellions et groupes armés, nous a appris que le Pays de Lumumba n’est pas une mince affaire. Le Rwanda, pourtant aidé par les Américains, les Britanniques et bénéficiant de la totale impunité, n’y est pas parvenu. Il contrôlait presque le tiers du territoire congolais mais a dû lâcher l’affaire au bout de six millions de morts et confronté à une résistance acharnée des autochtones (Maï-Maï).

La deuxième raison rendant la balkanisation du Congo irréalisable est que le Rwanda souffre de faiblesses structurelles trop importantes pour pouvoir conquérir et conserver durablement un territoire. L’image du « Rwandais » est trop négative dans l’opinion congolaise. Kigali ne peut régner sur un territoire congolais qu’en recourant à la répression systématique quasiment au quotidien. Ça ne peut être qu’une occupation armée ou une forme de colonisation. Ce pays a-t-il la capacité de mener une politique coloniale avec tout ce que cela entraîne en termes de réprobation internationale et de violation des droits des autochtones ? Au 21ème siècle ?

En tout cas, Israël, avec de gros moyens et l’appui des démocraties occidentales (USA) n’arrive pas à tenir la Palestine.

La troisième raison est que le Rwanda n’étant pas une démocratie, sa stabilité sur la durée s’inscrit en pointillées. C’est d’ailleurs un pays assez malheureux. Toute la vie nationale repose sur les épaules d’un seul homme, sorte de patron du pays. Or, si puissant que puisse être Paul Kagamé, il n’offre aucune garantie à moyen et à long terme. Les Libyens se sont rendu compte de la fragilité des régimes dictatoriaux. Lorsque le sort s’est acharné sur la personne de Mouammar Kadhafi, le pays tout entier s’est effondré. Qui a dit qu’un jour le sort ne va pas s’acharner sur la personne de Paul Kagamé ?

En définitive, pour ces trois raisons (il y en a d’autres), la balkanisation du Congo au profit du Rwanda est un projet hautement improbable.

 

Boniface MUSAVULI




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7 réactions à cet article    


  • Olivier Perriet Olivier Perriet 28 novembre 2012 10:28

    Finalement, Mobutu, c’était pas si mal ?


    • leypanou 28 novembre 2012 10:41

      @auteur :

      "Lorsque le sort s’est acharné sur la personne de Mouammar Kadhafi, le pays tout entier s’est effondré. Qui a dit qu’un jour le sort ne va pas s’acharner sur la personne de Paul Kagamé ? «  : c’est qui le sort ? Vous devez être un croyant en un Dieu Tout puissant créateur du ciel et de la terre pour sortir de tels propos.

      Que la balkanisation du RDC puisse être possible ou non est une chose ; en attendant, les Congolais trinquent. Il y a trop de richesses naturelles au RDC pour que l’empire et les voyous, états ou non, la laissent tranquilles.

      De même, vous dites : »En tout cas, Israël, avec de gros moyens et l’appui des démocraties occidentales (USA) n’arrive pas à tenir la Palestine". Mais d’après vous, la vie des Palestiniens va de mieux en mieux ou de mal en pis ? Et les colonisations, il y en a de moins en moins ou même un commencement de démantèlement ou il y a encore plus de colonies qu’avant ?

      Khadafi a été destitué car il dérangeait les intérêts de l’empire, le sort n’a rien à voir là-dedans.

      Finalement, des gens comme vous sont peut-être plus dangereuses car elles endormissent la population sur un prétendu sort qui est un excellent prétexte pour ne rien faire ou si peu.


      • MUSAVULI MUSAVULI 28 novembre 2012 13:25

        Vous devez m’avoir mal compris. Je dis que s’il devait arriver un malheur à Paul Kagamé, le Rwanda connaîtrait tellement de troubles internes qu’il ne pourra plus mener son projet consistant à s’accaparer les territoires du Congo. Je dis aussi que ce pays n’a pas les reins assez solides pour conquérir et conserver dans la durée une région de la taille du Kivu. Bien entendu, il peut y mettre la pagaille comme ce qui se passe actuellement, mais ce n’est pas cela la balkanisation. C’est à la limite du gangstérisme d’État.
        Sur la Libye, je suis désolé, mais il faut voir les choses telles qu’elles sont. Dans une démocratie, lorsqu’un Président n’est plus désirable, il s’en va et le pays reste (Sarkozy est parti, la France est restée). Dans une dictature, lorsque le Président s’en va, le pays sombre dans l’anarchie (Mobutu et le Zaïre-Congo, Kadhafi et la Libye, Saddam Hussein et l’Irak,...). Il en sera, sûrement, de même pour le Rwanda dont je plains le peuple qui ne mérite pas ce qui risque de lui tomber dessus dès la chute de l’actuel dictateur de Kigali.


      • jean dupondal 28 novembre 2012 15:59

        Kabila est sans doute le meilleur allie de Kagame.

        Quand le Congo aura a sa tete le chef qu’il merite et qui prendra a coeur les interets de son pays le Rwanda sera balayer et liberer du meme coup.


        • MUSAVULI MUSAVULI 28 novembre 2012 19:11

          Ça, c’est une certitude. Ce qui amène à considérer que le Congo n’est pas un Etat souverain. Les accords internationaux et les actes juridiques que Joseph Kabila, sujet rwandais, au service du Rwanda et non du peuple congolais, a pu conclure devraient être invalidés sur le plan du droit. Le pays étant sous tutelle, ses autorités n’ont pas la capacité juridique pour engager le peuple congolais.


        • Mwana Mikombo 28 novembre 2012 21:59

          @l’auteur. Les remarques de leypanou paraissent de bon sens. La chute ou la mise à l’écart d’une manière ou d’une autre de Paul Kagamé à elle seule n’est pas une garantie pour que le Congo trouve le calme. Vous même vous relevez le fait que le Rwanda ne soit pas un pays démocratique. D’ailleurs en Afrique, il n’y a pas un seul pays démocratique. Encore que le concept de démocratie, concept occidental, est très élastique et très fumeux, même en Occident. Kagamé et ses proches, comme tous les régimes politiques en Afrique, ne sont que des pions manipulés du bout des doigts par les occidentaux pour assouvir leur cupidité, même si ces pions ont leur propre couleur. C’est sur cet aspect des choses qu’il faudrait beaucoup plus insister.

          Lorsque Kabila Père avait réussi à chasser Mobutu et à prendre le pouvoir avec le soutien d’une large coalition Rwanda-Ouganda-Zimbabwé-Angola suite au génocide rwandais exécuté par le régime Hutu d’Habyarimana, cela avait soulevé de grands espoirs chez bons nombres d’africains nos parents. Cet espoir était que cette large coalition allait se traduire par le regroupement de ces Etats en une seule fédération. Ce qui était alors très facile à réaliser compte tenu de la catastrophe humaine et morale dans laquelle le génocide rwandais avait plongé la région et l’Afrique. Malheureusement, les différents Etats étant portés à bout de bras par les occidentaux, ces Etats néocoloniaux furent incapables d’entrevoir cette issue qui eût été salutaire pour les peuples de la Région des Grands Lacs et pour l’Afrique.

          Quiconque veut, en faveur de l’Afrique noire, traiter le problème de la stabilité et de l’émancipation politique, économique et culturelle des peuples africains, ne doit pas se borner dans le carcan des frontières coloniales. Celui-là, ou celle-là, pour être sérieux, doit nécessairement se situer dans une perspective fédératrice de ces peuples balkanisés par les européens. La poursuite de cette solution suppose au préalable l’entente et la fusion des mouvements indépendantistes des divers Etats en un seul mouvement autour d’un centre de coordination unique. Toute solution qui passe à côté est nécessairement catastrophique, faisant le jeu des occidentaux.


          • Bertrand Loubard 29 novembre 2012 16:21

            Les frontières héritées du colonialisme ont été « figées » par l’OUA elle-même…mais les exemples de l’ex-Sahara espagnol et du sud Soudan, entre autres, sont bien là pour montrer que le remise en cause de la « géopolitique héritée » est peut être relativement rentable en terme de retour sur investissement.

            Tout d’abord les « autochtones » des régions annexées, des territoire divisés, des zones conquises seront-ils des victimes ? Et si oui, seront-elles des victimes « worthy » ou « unworthy ». Et si cela en vaut la peine, reconnaissons que certain(e)s ont déjà estimé qu’il faut parfois pouvoir regarder dans une autre direction et laisser aux peuples « amis » le droit de « choisir » leur destinée. Et bien entendu les media « main stream » de nos démocraties s’empresseront de dénoncer les crimes de Guerres des ennemis de nos « amis » tout en occultant les crimes contre la Paix de nos clients.

            Ce que représentera la pagaille d’une balkanisation du Congo ? Cela devra se compter en « milliards » d’armements, en « milliards » de transports, en « milliards » de trafic, en « milliards » du produit des pillages des ressources minières, en « milliards » d’aides humanitaires et de programmes de reconstruction. Il ne faudra pas oublier le côté positif sur les surpopulations de ces régions que représente une mortalité accrue par guerres, épidémies et dégâts collatéraux Il n’est pas cynique de compter en millions de morts (les « nègres » se comptent-ils aussi en « millions de morts » ?).

            Pour ce qui est des cours des matières premières l’effet d’un chaos au Congo est sans doute plus que satisfaisant, compte tenu que l’offre se maintiendra à un niveau relativement bas du fait que les faibles rendements du « creusage » et du « concassage » manuels entraîneront la non satisfaction de la demande et donc des tensions se manifesteront pour que le flux et les cours de ces matières premières gardent une élasticité réduite, prévisible et « durable ».

            Finalement les investissements nécessaires à l’« émergence » de nouvelles marionnettes au Rwanda, en Ouganda ou au Congo ne se justifient pas encore, compte tenu que les dépenses liées à la mise en place des tyrans actuellement intronisés ne sont pas encore amorties, depuis 1990….Le boulot pourra être laissé à l’alternance du pourvoir, attendue dans la Communauté Internationale, dans environ quatre ans.

            Non, la balkanisation de l’Afrique centrale a encore de beaux jours devant elle. Depuis les « indépendances », n’avons-nous pas cessé de nous mettre en cas de légitime défense vis-à-vis des pays du tiers monde….Ne nous encerclent-ils pas ? Même par Islamistes interposés ? Les attitudes du "droit à la légitime défense« ont fait place à celles de la »légitime défense préventive", à l’intervention humanitaire et ce, jusqu’à l’ingérence libératrice, cause de l’« Otanasie » de 60.000 Libyens sur les 80.000 morts de la Guerre.

            Il y a des signes qui ne trompent pas….Non, ce n’est pas l’admission du Rwanda au Conseil de Sécurité. En effet, en 1976-1977, la Roumanie, sous le régime de Ceausescu qui se proclamait alors « le Génie des Carpates » et "le Danube de la Pensée", avait méritée cette place….alors pourquoi pas le Rwanda de Kagamé en 2012… ? Non, ce qui semblerait plus signifiant sinon plus inquiétant, c’est que des gens comme les Forest, Michel, Blair et Cie "retireraient leurs billes du jeu" ; les dégâts collatéraux risqueraient-ils de leur faire perdre trop de temps…… ?

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