La Birmanie et les Rohingyas

Les Rohingyas qui ont quitté la Birmanie pour l'état musulman du Bangladesh, tout le monde en a parlé il y a 3 mois.
Le pape François s'est rendu en Birmanie où il a été reçu par Aung San Suu Kyi, la conseillère spéciale de l'état birman et où il a rencontré le chef de l'armée.
Omar Sy le comédien, Jérôme Jarre créateur de start-up et héros de snapchat ont lancé depuis le Bangladesh un appel à l'aide internationale.
Depuis fin août 2017, 600000 Rohingyas ont quitté leurs villages de l'état Rakhine ou Arakan dans l'ouest de la Birmanie, à la suite d'une campagne de répression de l'armée due, thèse officielle, à des exactions commises contre l'état birman et ses représentants.
Pour l'ONU c'est une véritable épuration ethnique. Pour les birmans il s'agit de se défendre d'une minorité agissante dangereuse.
Qu'est-ce qui peut expliquer cette situation dans cette Birmanie bouddhiste de 53 millions d'habitants ?
Un peu d'histoire
Au musée Guimet à Paris une exposition a dévoilé le regard amoureux que les photographes britanniques ont jeté au 19ème siècle sur la Birmanie avec ses princesses, ses nobles dames, ses myriades de populations, Shans, Karens, Kachins. Joseph Kessel lui-même le grand écrivain gaulliste vantait "les pagodes qui dégageaient des brumes leurs étincelantes aiguilles d'or".
C'était le temps de la colonisation anglaise, qui a laissé de nombreuses traces dans le pays jusqu'à nos jours.
Après l'indépendance obtenue en 1948 et la sortie du Commonwealth anglais, une démocratie parlementaire s'installe jusqu'au coup d'état militaire de 1962. Pendant plus de 50 ans la Birmanie va connaitre des juntes militaires qui ont débaptisé le pays en Myanmar en 1989.
Aung San Suu Kyi
Dans les pays occidentaux, le personnage emblématique de la Birmanie dans ces 30 dernières années c'est la prisonnière du régime, Aung San Suu Kyi, assignée à résidence au 54 avenue de l'université à Rangoon, la première capitale de la Birmanie.
Elle sera ainsi détenue de nombreuses années, de 1990 date de la victoire confisquée de son parti politique aux élections législatives, à 2010 date de sa libération définitive.
En 1991 elle reçoit le prix Nobel de la Paix. Et on se rappelle les hommes politiques qui essaient de lui rendre visite quand les juntes au pouvoir l'autorisent.
Le film "The Lady" de Luc Besson raconte cette vie de l'héroïne, dissidente la plus connue d'Asie, avec son courage indomptable, la mort de son mari en 1999, d'un cancer, et ses 2 enfants réfugiés en Angleterre.
En 2015, elle obtient à nouveau une majorité forte aux législatives et depuis la Birmanie se réadapte à un temps plus démocratique.
Une économie qui peine
Le pays est pauvre, l'agriculture majoritaire. Et parmi les pays d'Asie du Sud-Est c'est le taux de croissance le plus bas.
Mais le potentiel du pays est grand avec ses richesses naturelles, sa position stratégique en Asie, entre l'Inde et la Chine. Le tourisme prend de l'ampleur depuis les changements politiques et apporte des devises.
La Birmanie pays bouddhiste
Dans ce Myanmar renaissant qui s'ouvre peu à peu au reste du monde, le Parlement élu démocratiquement (même si des sièges échoient aux représentants de l'armée) débat de plusieurs projets de lois inspirés par une frange importante du bouddhisme birman. Parmi les sujets mis en avant, la diminution des mariages interreligieux, la polygamie musulmane, le divorce qui est interdit chez les musulmans, les conversions religieuses, l'adultère et le contrôle des naissances des minorités (comme l'avait déjà prévu la junte militaire en 2005 en limitant la procréation à 2 enfants par femme dans la communauté musulmane).
La première réunion du Parlement sur la diversité ethnique date de janvier 2011 ; le Parti pour la Solidarité et le Développement de l'Union, majoritaire, et la Ligue Nationale pour la Démocratie d'Aung San Suu Kyi, ayant souhaité que le Parlement soit un lieu de débat public sur les questions religieuses qui agitent l'opinion.
Ma Ba Tha bouddhiste vs Rohingyas musulmans
Dans les années 50, des mosquées avaient été brûlées à Mandalay, ancienne capitale royale, au nord de Rangoon.
Dans la constitution de 1947, une place spéciale avait été faite pour le bouddhisme majoritaire qui n'était pourtant pas religion d'état puisqu'il y avait la liberté de culte octroyée aux chrétiens et aux animistes.
Dès 2014, la presse occidentale s'est émue des graves tensions religieuses touchant les Rohingyas, minorité musulmane. En février 2014, 40 personnes d'un village dans l'état d'Arakan (nommé Rakhine par les autorités birmanes) ont été massacrées, tandis qu'en juin 2015, des centaines d'exilés Rohingyas sont secourus tant bien que mal sur les côtes d'Indonésie et de Malaisie.
Au Myanmar, les bouddhistes de toutes obédiences représentent plus des 2/3 de la population, le dernier tiers incluant les minorités ethniques. Le sentiment religieux et la diversité religieuse avaient été mis en quelque sorte entre parenthèses pendant les juntes militaires, qui tentaient d'imposer le sécularisme.
Ce qui n'empêchera pas la création d'un mouvement politico-religieux radical et bouddhiste, qui a vu le jour depuis la fin de la censure en 2012. Et avec le développement des réseaux sociaux, dont Facebook, qui explose, de nombreuses rumeurs sont propagées faisant monter les tensions et les violences.
Une véritable mobilisation s'effectue ainsi à travers le mouvement bouddhiste, ultra-nationaliste et anti-musulman, Ma Ba Tha, ou Comité pour la protection de la race et de la religion.
Estimant que la société birmane est menacée de l'extérieur, ce mouvement met en avant la nécessité de moraliser la société. Des bonzes charismatiques s'avèrent capables d'organiser des séminaires, de discourir en public, de lancer des pétitions. Des religieux dont le message est en totale cohérence avec les luttes identitaires et le "Stop insulting Buddhism" "Arrêtez d'insulter le Boudhisme". Des religieux outrés, qui ont trouvé odieuse la représentation d'un Bouddha avec des écouteurs dans les oreilles.
Ashin Wirathu, à qui le "Time" américain avait réservé sa couverture avec le titre "le visage de la terreur bouddhiste" et les bouddhistes Rakhine sont à l'avant-garde du mouvement anti-Rohingyas : " les Rohingyas ne sont pas une ethnie birmane" ; " Pas de Rohingyas dans le pays Rakhine". Ils considèrent que les Rohingyas ont passé la frontière entre Birmanie et Bangladesh et qu'ils n'ont qu'à retourner d'où ils viennent.
Aung San Suu Kyi et l'unité du pays
Aucun parti n'a rejeté en bloc la discussion sur les projets de lois sur la religion et son influence sur la société, discutés au Parlement. Des députés sont embarrassés. Un tiers d'entre eux s'est absenté lors des débats. Certaines élites intellectuelles birmanes sont mal à l'aise. Des associations de la société civile ont dénoncé ces lois et veulent les contester devant les tribunaux.
Malgré les avis largement défavorables de membres de son parti, Aun San Suu Kyi s'astreint à se plier au choix de la majorité pour préserver la cohésion du Myanmar et épargner au pays de nouvelles divisions.
Le prix Nobel de la Paix, qui est aussi prix Sakharov, s'affirme mobilisée en faveur des droits de la femme birmane, menacés par le sectarisme et le poids trop lourd de pratiques d'un autre temps. Et elle s'engage avec force devant le pape François à "protéger les droits et à promouvoir la tolérance pour tous".
"Nous allons avancer", dit-elle," aussi vite que possible avec l'aide positive de tous nos amis. Notre gouvernement a pour objectif de faire ressortir la beauté de notre diversité et à la renforcer, en protégeant les droits, en encourageant la tolérance et en garantissant la sécurité pour tous".
Elle souhaite que l'on parle "des musulmans de l'état Rakhine" dans la terminologie officielle. Elle veut éviter l'appellation "Bangladais", habitants du Bangladesh, en référence à l'arrivée des Rohingyas sur le sol birman. Et elle ne veut plus, non plus, de l'appellation "Rohingyas" employée par les musulmans pour se désigner eux-mêmes.
La dirigeante birmane a accepté toutes les demandes formulées par les européens : l'arrêt des violences, la mise en place d'une mission des Nations Unies pour enquêter sur les massacres, l'ouverture d'un processus de rapatriement des réfugiés, l'établissement d'un accès humanitaire pour eux.
En écho à cet engagement fort, Mathieu Ricard, proche conseiller du Dalaï Lama, répète avec force que le bouddhisme n'admet en aucune façon la violence. "Le Dalaï Lama l'a maintes fois répété : "dans le bouddhisme, il n'y a aucune justification à la violence dans quelque but que ce soit".
Aux dernières nouvelles, la Birmanie et le Bangladesh ont décidé à la mi-janvier de rapatrier 700 000 réfugiés dans les 2 ans qui viennent. En janvier 1500 nouveaux arrivants au Bangladesh ont été répertoriés en provenance de Birmanie, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
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