La Chine éveillée
Napoléon, puis Peyrefitte… on nous l’avait bien dit qu’elle nous ferait trembler… Si vous avez moins de 50 ans, je vais vous annoncer une mélancolique nouvelle. Cette idée d’être les meilleurs en tout, parce qu’on est blanc, judéo-chrétien, gréco-latin, Occidental, quoi, n’a plus beaucoup d’avenir.
Vous croyez qu’on aura toujours les meilleurs sièges au spectacle du monde, parce qu’on est créatif, aventureux, rationnel, qu’on a inventé la liberté et la démocratie, la science et la technologie, l’altruisme et la charité ? Vous allez être déçus. Le résultat le plus permanent de la crise actuelle, c’est que, lorsqu’elle sera terminée, l’Occident ne sera plus dans le fauteuil, mais sur le strapontin.
La Chine prend le volant. Tragique ? N’exagérons rien. Sur le plan cosmique, sub specie aeternitatis, une vaguelette imperceptible. Sans importance pour Gaïa et un détail pour ce qui, on l’espère, sera la longue histoire de l’humanité. Mais peut-être éprouverez-vous une vague nostalgie, dans vos vieux jours, à penser que vous aurez été les derniers dans le siège du conducteur. Un rétablissement psychologique à faire, aussi, pour la génération de vos enfants qui ne seront plus la Race des Seigneurs.
On écrira certainement des livres sur la longue décadence de notre civilisation, mais bornons nous ici au dernier chapitre. La double déconstruction, depuis deux générations, d’une part de nos valeurs et, d’autre part, de notre structure de production.
Pour nos valeurs, on a accepté qu’elles soient cyniquement remplacées par un égoïsme pur, menant à la perte de confiance en tout et en tous qui est la conséquence logique de la projection sur les autres de cet égoïsme que l’on ressent en soi. Fatal pour une société, puisque celle-ci repose économiquement sur la division du travail, politiquement sur la délégation réciproque de tâches et de l’autorité pour les accomplir et que le concept même de bonheur, qui sert de justification à tout effort commun, repose sur l’hypothèse que l’on est plus heureux lorsque l’on n’est pas seul…
Pour la production, la recherche d’un optimisation du profit sur un horizon n’excédant pas celui d’une vie humaine a conduit l’Occident à exporter sa capacité même de production industrielle, lâchant la proie pour l’ombre et n‘en gardant que le contrôle des variables financières. Contrôle précaire qui ne vaut que si est respecté un consensus que seule la force militaire peut imposer à ceux qui n’en profitent pas.
Sans autre valeur que son cynique égoïsme, l’Occident, qui a bradé les outils de création de la richesse réelle, se retrouve avec des symboles monétaires qui ne valent plus rien et une force militaire qui peut encore détruire, mais dont il a été amplement prouvé, au Vietnmam et en Irak, que ses effectifs n’auraient ni la motivation ni la vertu, au sens romain du terme, de gagner une véritable guerre. L’Occident est devenu ce « tigre en papier » dont parlait Mao.
La Chine va sortir grande gagnante de cette crise. Elle a tous les atouts. D’abord, elle a celui évident d’une capacité de production en plein essor, ostensiblement tournée vers l’exportation, mais dont la fusion du politique et de l’économique a permis l’éclosion en Chine d’un nouveau “capitalisme d’État” qui pourrait réorienter rapidement cette capacité vers la consommation domestique.
La réorienter sans les arguties auxquelles une tentative de ce genre donnerait lieu, dans une démocratie occidentale mandataire d’un capitalisme privé. Si la Chine était contrainte de cesser d’exporter — ou choisissait simplement de le faire — elle ne ferait que des heureux dans sa population, dont elle pourrait mieux satisfaire la demande de consommation depuis longtemps réprimée. La Chine produit.
Que des heureux ? À quelques exceptions près… dont on pourrait attendre la plus grande discrétion. Cette discrétion est le deuxième grand atout de la Chine. La Chine est une dictature que sa population Han considère majoritairement bienveillante et éclairée et que ses minorités tibétaine, ouigour et autres n’ont pas la masse critique de contester. La Chine est gouvernée.
Elle n’est pas, comme l’Occident, tombée dans le piège tendu par le Capitalisme d’une pseudo démocratie totalement soluble dans une omniprésente corruption et donc complètement manipulée par le pouvoir financier. On a compris en Chine que, dans une économie monétaire, l’État n’est pas vassal de l’argent. Celui qui a le pouvoir politique CRÉE la monnaie et y ajoute à sa convenance le pouvoir économique.
Dans une Chine quasi-autarcique, le pouvoir d’opposition d’un pouvoir économique distinct de celui de l’État n’est pas aujourd’hui une véritable menace. Ce qui manque à l’autarchie chinoise, d’ailleurs, elle peut, avec ces milliers de milliards de dollars US qu’elle a accumulés, l’acheter sans problème de tous ceux qui croient encore que cet argent vaut quelque chose… Et ce ne sera pas les USA qui les détromperont.
Avec une gouvernance bien en selle, une structure de production réelle solide et même un ligne de défense dans le virtuel monétaire, la Chine poursuit un plan impeccable, comblant rapidement les quelques retards technologiques qui lui restent. Dans dix ans ce sera fait et même ses transferts de connaissances avec l’Occident se feront d’égal a égal… D’égal à égal … en théorie.
En pratique, sa force d’attraction industrielle permettra à la Chine de faire venir à elle tous les experts qui lui manqueraient, même dans les filières du tertiaire où elle ne se serait pas hissée au premier rang. L’équilibre des forces basculera alors de plus en plus vite vers la Chine… .
Les dirigeants chinois semblent modestes. Ils parlent de construire une société de « prospérité moyenne », en rattrapant dans 20 ans le PIB par habitant du Portugal, un parent pauvre de l’UE. Mais le modeste PIB par habitant du Portugal, pour 1,3 milliards de Chinois, c’est plus que le PIB combiné des USA et de Europe incluant la Russie !
Quand son économie aura complété sa transformation vers la demande domestique et que son PIB aura ainsi augmenté, la Chine ne voudra plus – en fait, ne POURRA plus – vendre à l’Occident les biens industriels que nous accoutumons chaque jour davantage d’acheter d’elle. Si nous n’avons pas alors reconstitué chez-nous une structure industrielle complète, pour remplacer celle que nous avons démantelée, notre niveau de vie s’effondrera… et la population mécontente tirera ses conclusions.
La population, aigrie, comparera les vessies qu’auront apportées une démocratie bidon et un capitalisme exploiteur, avec les lanternes magiques de l’enrichissement accéléré et de la paix sociale « à la chinoise », sous l’égide d’une oligarchie en possession tranquille de la richesse et trouvant sa seule satisfaction dans la dominance.
Il n’est pas sûr que les Occidentaux ne renonceront pas à des bribes de liberté pour avoir la paix, la sécurité et la prospérité. S’ils font ce choix, l’ultime export de la Chine à l’Occident aura été être son mode de gouvernance… Une tyrannie efficace et qu’on souhaite bienveillante qui, d’ailleurs, a été le modèle par défaut de l’Histoire avant que ne viennent les Lumières.
À la victoire économique de la Chine s’ajoutera alors sa victoire idéologique, quand l’expérience démocratique, qui a été le rêve de l’Occident depuis deux siècles, ne sera pas violemment détruite, mais doucement effacée… J’aimerais une autre fin au scénario.
Pierre JC Allard
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